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Nouvelle chronique ouagalaise : Le Burkina Faso comme vigie de l’Afrique de l’Ouest (10/12)

Publié le mercredi 15 février 2012 à 12h05min

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« Capitaliser ! ». Quand on se penche sur l’état des lieux de la vie politique et diplomatique du Burkina Faso, c’est effectivement ce qui vient à l’esprit. Les expériences plurielles d’un pays singulier doivent nécessairement déboucher sur un « plus ». Parfois, effectivement, on peut s’agacer, ici, à juste titre, d’une profusion d’opérations significatives dont on n’assure pas le suivi ; ou tellement lentement que l’événement est balayé par un autre et qu’il faut passer à autre chose.

Les questions posées ont toujours la même réponse : « Pas de problème ! » ; mais rien n’est moins sûr. C’est que le Burkina Faso me fait penser, souvent, à ces artistes de cirque de mon enfance, des Coréens ou des Chinois, qui entreprenaient de faire tourner de plus en plus d’assiettes sur des bambous jusqu’à l’instant délicat où trop d’assiettes sur trop de bambous en mouvement laissent penser que tout va aller par terre.

« Capitaliser ! ». C’est Yemdaogo Eric Tiaré qui me remet en tête ce mot d’ordre alors qu’il me reçoit à Ouaga. Tiaré, conseiller des Affaires étrangères, est le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale depuis le 4 juillet 2011. Et à ce titre, il a été porté, récemment, à la présidence du conseil d’administration de l’Institut des hautes études internationales (INHEI). Qui peut penser qu’il n’y aurait pas de légitimité, pour le Burkina Faso, dont l’expérience internationale est incomparable (quand les Mossi émergent de leur orgueilleuse humilité, et qu’ils regardent ce qui se passe autour d’eux, ils expriment pleinement leur réelle capacité d’organisation des affaires publiques), à être, effectivement, pour l’Afrique francophone, ce pôle de formation supérieure et de réflexion sur les affaires du continent et du monde ? Sauf que l’on attend avec impatience que tout cela « produise » effectivement de la formation, de la réflexion ; et de l’excellence.

Avec l’arrivée de Tiaré à la présidence du CA on peut penser qu’on va, enfin, dans le bon sens. Il a la réputation de s’être illustré dans la mise en place de la représentation diplomatique du Burkina Faso en Afrique du Sud. Ce juriste diplômé de l’Ecole de droit de Ouagadougou et de l’ENAM (section diplomatie), dont il est sorti en 1985, ne manque pas d’expérience. En poste à Ottawa (Canada), il va être envoyé en stage à Paris, au Quai d’Orsay, où, aux côtés de Bernard Valéro, l’actuel porte-parole du ministère français des Affaires étrangères et européennes, il va apprendre un nouveau job. Youssouf Ouédraogo était alors le patron de la diplomatie burkinabè et l’idée était de mettre en place un porte-parolat du ministère des Affaires étrangères à l’instar de ce qui se fait en France notamment. Mais Ouaga n’était pas alors le hub diplomatique qu’il est devenu et personne ne s’intéressait à ce que pouvait avoir à dire les Burkinabè sur les questions de l’Afrique et du monde. D’autant plus que c’était au lendemain de « l’affaire Zongo » et que Ouaga n’était pas en odeur de sainteté sur la scène diplomatique. La donne va changer avec le déclenchement de la « crise ivoiro-ivoirienne ». En 2003, Tiaré se retrouve justement en Côte d’Ivoire. Il va y rester jusqu’à fin 2006 (juste avant que ne soient signés les accords de Ouagadougou en 2007) et y vivre des moments cruciaux, douloureux, dramatiques. Son séjour à Marcory n’est pas pour lui son meilleur souvenir ; mais il y a pris conscience de l’extrême volatilité des situations diplomatiques. Et y a noué des relations avec Emmanuel Beth, alors patron de la force « Licorne », aujourd’hui ambassadeur de France à Ouaga.

C’est alors qu’il va être chargé, le 25 octobre 2006, en tant que ministre conseiller, de l’ouverture de la représentation diplomatique du Burkina Faso en Afrique du Sud. Avant de revenir à Ouaga comme directeur général des Affaires juridiques et consulaires puis d’être nommé secrétaire général du MAECR. Il prend en charge l’administration diplomatique burkinabè dans un contexte régional ouest-africain délicat au lendemain d’un « printemps arabe » dont nul ne sait encore sur quoi il va déboucher (mais dont on sait déjà qu’il permet la diffusion massive et incontrôlées d’armes auprès de civils et de groupes terroristes partout dans le corridor sahélo-saharien). A Abidjan, la situation s’est normalisée ; mais n’est pas pour autant stabilisée et Tiaré, qui connaît parfaitement les rapports de forces sur le terrain ivoirien, politiques et militaires, reste tout particulièrement vigilant. Et voilà que (sans compter les deux Guinée, toujours à la limite de l’implosion, et le Nord-Nigeria) le Sénégal entre dans la danse autour du chaudron de toutes les sorcières d’Afrique, aussitôt rejoint par le Mali, alors que Djibrill Bassolé, le ministre des Affaires étrangères, est encore mobilisé sur le dossier du Darfour pour lequel il vient tout juste de faire un A/R au Soudan.

C’est dans ce contexte particulièrement complexe que l’on reparle de l’INHEI dont Tiaré vient de prendre la présidence du CA. Ce n’est pas vraiment une nouveauté. Il existait déjà un Institut diplomatique et des relations internationales (IDRI) dont la fermeture avait été décidée en avril 2007. L’INHEI va être créé en novembre 2008 et un an plus tard, le 7 octobre 2009, seront nommés les membres de son conseil d’administration auquel participent alors des représentants des ministères des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, de l’Economie et des Finances, de la Défense, de l’Environnement et du Cadre de vie, des Enseignements secondaire, supérieur et de la Recherche scientifique, de la Fonction publique et de la Réforme de l’Etat (+ un administrateur représentant les universités). C’est le ministre plénipotentiaire Alain Francis Gustave Ilboudo qui sera alors nommé PCA.

Le jeudi 2 décembre 2010, à l’occasion du 50ème anniversaire de la diplomatie burkinabè, Alain Bédouma Yoda, alors ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, avait présidé la cérémonie de rentrée solennelle des élèves de la première promotion. Pas foule : 14 étudiants (dont 5 étudiantes). L’INHEI, dont le directeur général et président du conseil scientifique demeure le professeur Didace Gampiné, dispense une formation en deux ans à des maîtrisards, à des professionnels des relations internationales et à des « auditeurs ». Deux années d’étude sanctionnées par un DES en diplomatie et relations internationales. Il revendique sa pluridisciplinarité (histoire, économie, droit…). L’INHEI est, à l’instar de beaucoup de structures universitaires burkinabè, sans locaux et sans corps professoral. Des locaux sont en cours de construction à Loumbila (où se trouvait déjà l’IDRI) et, pour le reste, il faudra bien que les étudiants s’adaptent (ils en ont l’habitude) et que les professeurs se… « démerdent » pour trouver des locaux où se poser pour leurs cours (ils en ont l’habitude eux aussi).

A l’origine, sous tutelle du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale et du ministère de l’Economie et des Finances, l’INHEI a un conseil d’administration composé de représentants du MAECR (hormis Eric Tiaré, il y a là Ibsen Sifana Koné, conseiller des Affaires étrangères, chef de cabinet du ministre) et du… ministère de la Défense nationale et des anciens combattants. Il y a là, encore, un représentant des universités, un représentant des élèves et auditeurs, un représentant du personnel administratif. Ils sont tous nommés pour trois ans.

Tiaré ambitionne de faire de cet institut un pôle régional africain de formation et de réflexion, capable de multiplier les colloques, les séminaires, les contributions, les publications, etc. sur les questions géopolitiques. Au-delà de l’éternelle question de la paix et de la sécurité en Afrique et des médiations burkinabè, les sujets d’étude ne manquent pas et si l’INHEI finit par avoir les moyens de ses ambitions, nul doute qu’il puisse devenir, à Ouaga, ce pôle d’excellence qui permettra enfin de « capitaliser » les expériences du Burkina Faso en matière de relations internationales. Le savoir-faire de sa classe dirigeante et les réflexions et les études de ses « intellectuels », trop souvent marginalisés sur la scène diplomatique, le méritent bien.

FIN

Jean-Pierre BEJOT
La Déppêche Diplomatique

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