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Nouvelle chronique ouagalaise : Le Burkina Faso comme vigie de l’Afrique de l’Ouest (9/12)

Publié le lundi 13 février 2012 à 15h14min

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Je viens de boucler ma première semaine à Ouagadougou. Débarquant ici, il y avait deux préoccupations internationales majeures : les habituels errements de l’Union africaine, incapable, cette fois, de dégager un consensus sur un président de sa Commission ; les habituels errements de l’opposition sénégalaise incapable de se positionner sur la bonne ligne face à sa bête noire : Abdoulaye Wade. Il y a le feu à Dakar ; et les pompiers africains discutent pendant ce temps-là leur prime d’intervention sur les incendies.

Le feu à Dakar couve encore tandis qu’un nouvel incendie se déclare dans le Nord-Mali et que les braises s’envolent déjà, un peu partout, dans la région. Une nouvelle vague de naufragés du Sahel vient de se déverser à Ti-n-Akof (non loin des fameux gisements de calcaire de Ti-n-Khassane), dans la province de l’Oudalan, la plus au Nord du pays, frontalière du Niger. Un tsunami de réfugiés maliens qui viennent de I-n-Tillit. Cette fois, c’est Mahorou Kanazoé qui raconte cet exode dans Le Pays (mercredi 8 février 2012). Dans le même numéro, Abdoulaye Tao, raconte comment quelques têtes d’affiche de la prochaine présidentielle « ont tu leurs différences politiques pour tenter une union sacrée afin de rétablir rapidement la paix et la stabilité dans cette partie du pays ». Un forum national sur cette question doit se tenir du 17 au 19 février 2012. Reste à savoir qui y participera.

« Sous d’autres cieux, écrit Tao, les partis d’opposition auraient rué dans les brancards, histoire de discréditer un parti au pouvoir qui, pendant dix années de règne, n’a pas pu trouver une solution durable à ce conflit ». Tao ne le dit pas mais il suffit de tourner la page pour lire la dénonciation, par Boundi Ouoba, du comportement de l’opposition sénégalaise qui « risque de se tromper de combat en offrant, sans le savoir, le pouvoir sur un plateau d’or à un patriarche dont la témérité n’a d’égale que son obstination ». C’est qu’à Dakar, l’opposition invente chaque jour une nouvelle stratégie qui vise à isoler Wade ; sans jamais se rendre compte que, refusant la confrontation électorale avec le « Vieux », sur le terrain du programme, elle se décrédibilise plus encore.

Les médias internationaux non spécialisés commencent à communiquer sur cette nouvelle « rébellion touarègue » et sa cohorte de déplacés qui, selon le conseil des ministres de ce matin (mercredi 8 février 2012) sont d’ores et déjà plus de 8.000 au Burkina Faso. Le gouvernement a rappelé, à cette occasion, ses « traditions d’accueil et d’hospitalité ». Pas de répit. Le dossier de la « crise ivoiro-ivoirienne » n’est pas encore refermé que s’ouvre déjà une autre brèche et pas n’importe laquelle. La déstabilisation du Mali aura nécessairement un impact sur les pays frontaliers dont beaucoup, d’ailleurs, ne se portent pas bien. Mauritanie, Sénégal, Guinée, Côte d’Ivoire, Niger et, bien sûr, Burkina Faso sont les voisins de cet immense territoire où, il faut le reconnaître, un réel laxisme s’est instauré depuis un certain nombre d’années.

On peut penser que ce pays a réussi, par le passé, sa « rupture » avec le régime dictatorial et particulièrement prévaricateur de Traoré, on peut penser qu’il a réussi sa transition démocratique au temps de Konaré et l’alternance au temps de Touré, on peut s’interroger cependant sur la vraie nature d’Amadou Toumani Touré et de son rôle au Mali. Soutien de Traoré avant de le liquider, il a propulsé Konaré à la présidence avant d’en prendre la suite. Et laisse une grenade dégoupillée dans l’urne qui décidera du choix de son successeur !

Il y a, manifestement, quelque chose de déréglé en Afrique de l’Ouest. Au sens large. En y incluant cette Afrique du Nord que, trop longtemps, on a voulu déconnecter de sa « face noire ». Il faudra chercher le point de départ de ce dérèglement. Beaucoup y verront les effets collatéraux du « printemps arabe ». Il faudrait mettre en cause, plus sûrement, les dictatures qui, depuis des décennies, ont bloqué l’évolution des pays afro-méditerranéens ; avec l’amicale complicité des « démocraties » d’Europe de l’Ouest. Depuis l’effondrement des régimes Ben Ali, Moubarak, Kadhafi, chacun savait que la situation était à risques. On le disait haut et fort à Bamako comme à Niamey ; et à Ouaga, Paris avait pris la précaution de nommer comme ambassadeur un galonné habitué au baroud (le général Emmanuel Beth). Mais il est vrai qu’il n’est jamais facile pour un chef d’Etat malien comme nigérien d’apparaître comme stigmatisant les comportements de certains leaders de la rébellion touarègue tant il est vrai que cette communauté a su (depuis, sans doute, que Pierre Benoît a écrit L’Atlantide) se positionner dans l’opinion publique occidentale, et particulièrement dans la nébuleuse ONGiste, comme une « élite » africaine authentique et mystérieuse, différente (rien à voir avec les « Nègres »), et dont « l’aristocratique » comportement faisait oublier qu’elle était, aussi, esclavagiste et fondamentalement « sexiste » (et c’est une euphémisme !). Elle est devenue, depuis, uniquement opportuniste !

Le mythe de « l’homme bleu » vire au rouge. Et au ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, comme au ministère de la Défense et des Anciens combattants, on se préoccupe activement de la détérioration de la conjoncture politique et sécuritaire malienne. On aurait aimé un peu plus de tranquillité pour consolider une situation « ivoiro-ivoirienne » qui, selon Ouaga, demeure préoccupante au-delà de l’agglomération d’Abidjan. Il y a un « traumatisme » ivoirien au Burkina Faso. Et les hommes de la Lagune Ebrié ont perdu leur aura.

Même Alassane D. Ouattara ne bénéficie pas, ici, de la crédibilité dont on l’affuble, généralement, vu de l’étranger. « L’homme de Paris » n’est pas celui de Ouaga. Trop de suffisance ; et trop d’insuffisances. « Avant qu’il ne soit trop tard, il convient que les autorités ivoiriennes administrent la rigueur en préférant la dictature de la transparence à la démocratie de l’opacité », écrivait Adama Bayala, dans le très officiel quotidien national Sidwaya (23 janvier 2012), au lendemain de l’agression de sympathisants FPI par des éléments « incontrôlés ». Ce soir (mercredi 8 février 2012), alors que le Mali affronte la Côte d’Ivoire en demi-finale de la CAN à Libreville, je ne trouve personne pour soutenir les « Eléphants », l’équipe nationale ivoirienne. « C’est la faute à Laurent [Gbagbo] » me dit-on ; la connexion entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire a laissé la place à la détestation. Et même dans les milieux officiels, on se gausse facilement d’un comportement ostentatoire des nouvelles « élites publiques » ivoiriennes qui tranche avec l’habituelle réserve d’une population burkinabè « majoritairement mossi ».

Pas question pour autant d’en rajouter. Ouaga s’efforce de calmer le jeu avec Abidjan. Y compris sur un passé douloureux pour les Burkinabè. Dans la « crise ivoiro-ivoirienne », ils ont souvent été en première ligne et ont plus perdu que des Ivoiriens qui, il est vrai, n’avaient pas entrepris grand-chose pour le développement de leur pays*. En Côte d’Ivoire, l’ambassadeur du Burkina Faso, Justin Koutaba, sillonne le pays de long en large à la rencontre de la diaspora burkinabè. Partout, il tient le même discours : développer la culture de la fraternité et de la solidarité pour l’installation d’une paix durable, d’une harmonie et d’un « vivre ensemble » entre communautés. Sans jamais perdre de vue de promouvoir l’action des opérateurs économiques burkinabè installés en Côte d’Ivoire. Et ce n’est pas un hasard non plus si le consul général du Burkina Faso à Abidjan, Patrice Kafando, a été élu « l’homme de l’année 2011 des Burkinabè en Côte d’Ivoire ».

* C’est le département de Soubré, dans la région de la Nawa, en pays bété, qui selon le consul honoraire Jean de Dieu Zoundi, enregistre la plus forte concentration de Burkinabè : 1 million d’individus. Ce département est, par ailleurs, le premier producteur de cacao ivoirien avec environ un quart de la production nationale. Chaque jour, une centaine de Burkinabè y sont accueillis dans le cadre de la relance de la production agricole : café, cacao, hévéa.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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