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Vente à crédit : Le "Taag-raogo", une nouvelle "ancienne" pratique commerciale ?

Publié le mercredi 20 octobre 2004 à 06h46min

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Une nouvelle pratique se développe dans le milieu féminin : Le "Taag-raogo’’. Ici le mode de remboursement est journalier, parfois mensuel. Manque de moyens, phénomène de mode ou juste une pratique ancienne ?

Le "Taag-raogo’’ vous connaissez ? Certainement non ! A moins que vous ne fassiez partie de la famille des "Taag-raogo demba’’. Le Taag-raogo, c’est une pratique qui consiste à céder à une cliente une marchandise à crédit et à se faire rembourser par tranche selon des modalités arrêtées par le vendeur et l’acheteur. Dans le système taag-raogo, un article qui se vend au comptant à 5000 F CFA est cédé à crédit à 6000 F ou 7000 F.

Le mode de paiement que l’on appelle taag-raogo se fait quotidiennement à raison de 100 F, 200 F selon le prix de l’article et l’entente convenue.

Littéralement traduite du mooré au français, "taag-raogo’’ signifie "tracer sur du bois’’.

Autrefois, pour matérialiser les échéances de règlements déjà écoulées, vendeurs et acheteurs font des petits tirets ou croix soit sur le pilier en bois du hangar, soit sur la table de vente ou tout simplement sur le mur de la maison d’habitation.

De nos jours, les cahiers ont remplacé les tables, les piliers des hangars et les murs. Ce phénomène s’est généralisé et l’on se pose des questions sur les origines de la résurgence de cette ancienne pratique qui avait quasiment disparu des pratiques commerciales burkinabè.

Faiblesse du pouvoir d’achat ? Dévaluation ? Mode ? Telles sont les questions que l’on peut se poser. Selon M. André Nyamba, sociologue, enseignant à l’université de Ouagadougou, cette pratique a toujours existé. "Ce qu’on appelle "Taag-raogo’’ en mooré, ce n’est pas un phénomène si nouveau. Il devient spécifique ces temps-ci parce que les données matérielles entrent en ligne de compte. Aussi, il faut remarquer que le changement social du fait que nous sommes entrés dans une société de consommation à outrance, augmente l’impact du phénomène’’.

Ce genre commercial était jadis pratiqué par les ménagères. Mais de nos jours, les femmes salariées s’y adonnent aussi. La nouveauté est l’adhésion de plus en plus importante des hommes.

Que vend-on ?

Le Taag-raogo concerne en grande partie les articles féminins. Les plus prisés sont les pagnes, les bijoux, parfums, savons, chaussures, produits de beauté etc. A la mode, ces articles ont un prix élevé. Aussi, ces vendeurs s’approvisionnent auprès de grossistes, de détaillants ou d’autres revendeurs et vont à la recherche de potentiels clients. Ils jouent de ce fait le rôle de relais entre leurs sources d’approvisionnement et les clients.

Beaucoup de femmes se sont lancées dans ce commerce et chacune y va de ses moyens. A pied, à vélo, à moto, en voiture, c’est selon....
Elles sillonnent les lieux où elles comptent dénicher un nouveau client (service, domicile, marché etc.).

Mais pourquoi un tel engouement pour cette pratique commerciale ? Pour Bernadette Kafando, vendeuse de chemises-pagnes, la raison est évidente : "Les clients manquent souvent d’argent alors qu’ils veulent s’habiller...’’.

Quant à Fati Ouédraogo, une cliente, elle avoue souvent être poussée par la mode. "J’ai souvent recours au Taag-raogo lorsque quelque chose est à la mode et je n’ai pas l’argent nécessaire pour payer. En payant à tempérament, c’est tout comme si j’achetais cash’’.

L’insuffisance du pouvoir d’achat et surtout le phénomène de mode peuvent expliquer le succès du "Taag-raogo’’ au sein de la population.

En effet, le désir d’être conforme aux exigences de la société moderne pousse des ménages à des comportements que les sociologues n’ont pas fini d’expliquer. Ainsi des personnes vont au-delà de leur pouvoir d’achat. Comment comprendre qu’un article dont le prix dépasse le pouvoir d’achat de la cliente soit l’objet de "Taag-raogo’’ ?

Des femmes sans revenus réguliers et voulant à tout prix paraître se lancent dans cette aventure. La suite peut souvent tourner au cauchemar.

Un filon pour les vendeuses

Ce commerce permet aux vendeuses de se tirer d’affaire. Selon Awa Traoré, vendeuse d’articles divers : "On se débrouille. On gagne juste ce qu’il faut. Moi particulièrement, je vais au cours le soir après la matinée de vente (...). Cela ne me pose pas de problème’’.

Bernadette Kafando est aussi de cet avis : "Je m’en tire bien. J’écoule facilement mes produits mais j’ai un travail’’.

Pourtant, cette activité demande beaucoup de courage de la part des vendeuses. Une journée de commerce, pour Awa Traoré, n’est pas de tout repos. "Je pars le matin chez mon fournisseur. De là, je vois les nouveautés que je dois présenter aux clients car toutes les deux semaines, on a des nouveautés. Après cette étape, je fais la ronde des services, de mes connaissances, céder à crédit ou prendre des commandes. Souvent le soir, je suis exténuée’’, confit-elle.

Rien ne semble faire obstacle à son commerce, même pas les clients qui ne veulent pas s’exécuter. Pour elle, ce sont les risques du métier. "Dans ce commerce, on rencontre toutes sortes de personnes. Certaines respectent les délais, tandis que d’autres vous donnent des faux rendez-vous’’.

Pour elle, plus le délai passe plus elle majore le prix. Un article de 2500 F peut atteindre 5000 F. Pour Awa Traoré, ce réajustement du prix est juste : "Ceux qui prennent à crédit sont nombreux. Aussi, il faut faire la ronde pour rentrer en possession de son argent. Tous nos bénéfices sont reconvertis en frais de taxi ou de carburant’’.

Le Taag-raogo est à l’origine de nombreux désagréments. Souvent des conflits éclatent entre vendeurs et acheteurs dus au non respect du délai ou au refus de payer.

Pour éviter ces désagréments, des femmes n’adhèrent pas au Taag-raogo. Mme Alimata Balima, gérante de télécentre est de celles-là. "Le Taag-raogo est bien lorsqu’on n’a pas l’argent nécessaire à un moment donné. Je n’adhère pas à ce genre de commerce parce je préfère payer au comptant du fait de la différence de prix. "Un article au Taag-raogo peut valoir le double de son prix au comptant’’.

C’est pourquoi Mme Balima ajoute : "payer au comptant n’est pas signe de richesse. Il suffit de bien s’organiser pour le faire’’. Pourtant, les vendeuses qui pratiquent le Taag-raogo ne manquent pas d’imagination ou d’argument pour convaincre même les plus sceptiques à accepter leurs produits.

Les mauvais payeurs expliquent souvent qu’ils ont été obligés ou qu’on leur a forcé la main. Qu’à cela ne tienne, répliquent les vendeuses, on ne peut pas obliger une personne adulte. En dépit des difficultés, les vendeuses continuent leur Taag-raogo.

Mais comment envisagent-elles leur avenir dans ce commerce ? Pour Awa Traoré, les difficultés surgissent dans tous les métiers. Est-ce une raison pour que les gens abandonnent ? "Nous ne sommes pas les bienvenues dans des services. Les patrons nous font comprendre qu’on perturbe le travail’’.

Toutefois, ces femmes possèdent des marchés autres que les services. Pour elles, ce commerce est un moyen de s’en sortir. Même si elles font d’autres activités, ce commerce représente à leurs yeux, une passion qu’elles ne sont pas prêtes à abandonner.

Minata COULIBALY (Stagiaire)
Sidwaya

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