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Nouvelle chronique ouagalaise : Le Burkina Faso comme vigie de l’Afrique de l’Ouest (3/12)

Publié le lundi 6 février 2012 à 12h46min

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Les pérégrinations habituelles de l’Union africaine ne passionnent pas grand monde. Plus encore en période Coupe d’Afrique des Nations (CAN). 700 fonctionnaires vont travailler dans le nouveau building d’Addis-Abeba (cf. LDD Burkina Faso 0282/Mardi 31 janvier 2012). La question est de savoir pour quels résultats. Première échéance : le Sénégal. Impossible d’y échapper depuis ce terrible week-end où le Conseil constitutionnel a décidé d’envoyer dans le mur la démocratie sénégalaise.

Radio Méditerranée International, à Tanger, pour qui je commente régulièrement l’actualité africaine m’a cherché jusqu’à Ouaga, valises à peine posées, pour me faire dire ce que j’avais à dire sur la question. Irresponsabilité du pouvoir, impéritie de l’opposition. Mais, au-delà de ce qui se passe au Sénégal, c’est la question de la limitation des mandats qui se pose encore une fois. Limitation et respect de cette limitation.

La presse burkinabè s’est, bien sûr, emparée de cette affaire. Dans son édito du mardi 31 janvier 2012, Le Pays compare ce qui vient de se passer à Dakar, où la non-rétroactivité des lois est invoquée, et ce qui s’était passé au Burkina Faso en 2010 au sujet de la candidature de Blaise Compaoré, validée par le Conseil constitutionnel « alors que des démarches avaient été entreprises pour s’y opposer. Ainsi donc, la jurisprudence du Faso a fait école au pays de la Téranga. Le chef de l’Etat sénégalais avait d’ailleurs cité le cas burkinabè dans sa tentative de justification du bien-fondé de sa candidature. Il s’est donc inspiré de l’exemple burkinabè, sûr qu’il est que les juges constitutionnels sont sous coupe réglée [sic]. En copiant son homologue burkinabè, qu’il n’hésite même pas à citer comme exemple à imiter, Wade contribue à allonger la liste des tripatouilleurs de constitution. Et la stratégie semble si savamment élaborée que l’opposition et la société civile n’y voient souvent que du feu. Faisant souvent preuve d’un manque de vigilance étonnant, celles-ci finissent toujours par se faire prendre dans ce piège à cons que le pouvoir en place leur tend ».

Pas besoin d’être constitutionnaliste pour trouver acrobatique ce comparatif, mais c’est une permanence de la presse burkinabè que de prendre en compte ce qui se passe ailleurs pour laisser penser ce qui pourrait se passer chez elle. Cela a été vrai avec Tandja au Niger mais aussi avec la situation guinénne. Ainsi, D. Evariste Ouédraogo écrivait ce mercredi 1er février 2012, dans L’Observateur Paalga, commentant la demande des « Occidentaux » faite à Wade de se retirer de la présidentielle : « Le moins que l’on puisse dire est que l’attitude des Occidentaux est celle du médecin après la mort. La pression intervient trop tard. Il leur fallait bien réagir avant le verdict de la haute juridiction sénégalaise pour empêcher Gorgui d’empoisonner et de détériorer le climat social dans son propre pays […] Espérons que sous d’autres cieux, comme au Burkina Faso, les vigies de la démocratie et de l’expression de la volonté populaire ne vont pas attendre que les tripatouilleurs accomplissent leur basse besogne avant de ruer dans les brancards ». Le mot de la fin pour Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana dans L’Observateur Paalga (lundi 30 janvier 2012) : « Le Sénégal vit un moment critique de son histoire : d’une part, un chef octogénaire qui compte remettre le couvert et, d’autre part, une opposition dont le programme politique se résume en Tout sauf Wade, et, en ligne de mire une présidentielle lourde de tous les dangers. Plaise à Dieu que ce phare de la démocratie en Afrique de l’Ouest ne connaisse le syndrome ivoirien ».

Le mot de la fin à L’Observateur Paalga car on remarquera la retenue, sur cette question sensible, du quotidien national Sidwaya. Dans son édition du mardi 31 janvier 2012, Sidwaya, sous la signature d’Adama Bayala, ne s’intéresse qu’au cas de Youssou N’Dour. Alors qu’au cours du week-end, le Conseil constitutionnel sénégalais a maintenu ses décisions antérieures concernant les différentes candidatures, il apparaît pour Bayala que le rejet du dossier de « l’artiste-politique » serait « simplement un échec retentissant et fracassant » pour « You ». En considérant que la décision du Conseil constitutionnel relève d’une « attitude suspecte », ce qui tendrait à « convaincre ceux qui doutaient encore des capacités de l’homme à réussir en politique », Bayala classe Youssou N’Dour dans la catégorie des « nombreux cadres politiques africains qui inquiètent les vieilles gardes de leurs pays ». Mais, étrangement, la seule interrogation de Bayala quant au devenir du Sénégal, « c’est de savoir pour qui il [Youssou N’Dour] va demander de voter ». Et alors que la tension est maximale à Dakar et ailleurs au Sénégal, Bayala conseille à « You » de « faire valoir ses talents de grand manager et de dirigeant » au sein de son mouvement citoyen. Rien de plus… !

Personne ne peut penser qu’il y ait actuellement une « affaire sénégalaise » qui ne se résumerait pas, finalement, qu’à une « affaire Wade ». Ce ne sont pas tant les institutions qui sont en cause que l’instrumentalisation qui en est faite. La candidature de « You » visait essentiellement à désavouer la classe politique sénégalaise dans son ensemble, pouvoir comme opposition. C’était, selon moi, la négation de la politique. Mais c’était pour Wade laisser entrer un inconnu dans la maison. Or la stratégie électorale du chef de l’Etat est avérée : gagner au premier tour comme il l’a fait, contre toute attente, en 2007. C’est dans cette perspective qu’il avait tenté d’imposer, voici quelques mois (suscitant dès lors la montée en puissance de l’opposition à sa candidature), une majorité à 25 %. C’est dire que le « tripatouillage » ne date pas d’aujourd’hui. « You » était certain de réunir sur son seul nom l’expression du mécontentement de la jeunesse urbaine sénégalaise ; et, mathématiquement, sa présence interdisait une victoire de Wade dès le premier tour. « You » absent de la confrontation électorale, les jeunes n’avaient guère de motivation pour aller voter pour des personnalités dont la crédibilité politique est inconsistante. Mais la donne vient de changer : tout autant que la confirmation par le Conseil constitutionnel de la validité de la candidature de Wade, la non qualification de « You » est perçue comme un sale coup du pouvoir. Deux raisons plutôt qu’une, désormais, d’aller aux urnes ! La violence de la répression en donne une troisième.

L’essentiel n’est pas là. C’est Alain Juppé, le ministre des Affaires étrangères et Européennes, qui le dit : la question posée est celle du nécessaire « passage de générations ». Ben Ali, Moubarak, Kadhafi sont tombés en Afrique du Nord. En Afrique subsaharienne, Tandja et Gbagbo ont dû, eux aussi, abandonner le pouvoir. Wade est condamné. Il est clair, désormais, que tout mandat supplémentaire sera perçu comme un mandat de trop. Le temps s’est accéléré ; on zappe. Les chefs d’Etat comme les programmes télé. Il n’est plus question de s’installer au pouvoir. Il s’agit d’être au pouvoir pour faire bouger les lignes, effectivement, et que le changement soit perceptible pour le pays mais aussi et surtout pour la population. Si l’Afrique a été le continent du long terme, le court terme, désormais, s’impose à tous.

Cette évolution des choses nous ramène à l’Union africaine. Qui est, une fois encore, bien silencieuse sur le cas Wade comme elle l’a été, l’an dernier, sur Ben Ali, Moubarak… En 2011, l’UA était présidée par le chef de l’Etat équato-guinéen, Obiang Nguema Mbasogo, militaire arrivé au pouvoir il y a plus de trois décennies à la suite d’un coup d’Etat, et qui n’a pas la réputation d’un démocrate. Obiang vient de laisser la place au chef de l’Etat béninois. Une autre génération. Un technocrate, élu et réélu aussi « démocratiquement » que possible pour un deuxième mandat. C’est dire qu’il est mieux placé que son prédécesseur pour se pencher sur la question du nécessaire « passage de générations ». En attendant, la situation ne cesse de se détériorer dramatiquement au Sénégal et pourrait faire des émules ailleurs. Il est temps d’ouvrir un dialogue politique et social sur la limite au-delà de laquelle le ticket présidentiel n’est plus valable.

A suivre
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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