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Nouvelle chronique ouagalaise : Le Burkina Faso comme vigie de l’Afrique de l’Ouest (2/12)

Publié le lundi 6 février 2012 à 12h37min

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Destination Ouaga via Casa. La capitale économique du Maroc est, pour l’Europe, la porte d’entrée en Afrique noire. Afrique de l’Ouest, bien sûr ; mais aussi Afrique centrale : Douala, Libreville et même Malabo. S’interrogeant sur les nouvelles orientations diplomatiques dictées par l’arrivée au pouvoir du leader du Parti justice et développement (PJD), Abdelilah Benkirane, L’Economiste (cf. LDD Burkina Faso 0281/Lundi 30 janvier 2012) écrivait dans son édition d’hier, lundi 30 janvier 2012 (éditorial d’Abdelmounaïm Dilami), que « pour le moment, le Maghreb n’est que virtuel. L’Algérie a clairement manifesté son opposition à changer sa stratégie. Dans les faits, elle maintient sa politique volontariste de « non-Maghreb ».

Quant au monde arabe, sans remettre en cause les relations culturelles, politiques et économiques que le Maroc entretient avec ces pays, il faut raison garder. Les possibilités de développement peuvent difficilement aller au-delà des aspects financiers. Sans compter qu’en dehors de la Tunisie, les pays arabes sont polarisés sur le monde anglo-saxon, pas sur le Maghreb ou sur l’Europe ».

Au-delà de « l’incontournabilité » de la relation euro-marocaine, le quotidien économique marocain considère que « certes, le Maroc doit élargir son champ relationnel sur les plans économique et diplomatique. Mais cet élargissement devrait aller vers l’Afrique d’abord, là où les potentialités sont réelles et porteuses d’espoir pour les entreprises marocaines ».

Le Maroc n’est plus membre de l’Union africaine. Mais cela pourrait changer. Youssef Amrani, ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, l’a dit à Leïla Slimani (Jeune Afrique du 29 janvier 2012) : « Le Maroc est et restera africain. Nous reviendrons un jour dans l’UA, quand les circonstances qui ont présidé à notre départ auront été revues. Pour autant, notre absence de cette institution n’entrave pas notre politique africaine ». La meilleure preuve en est que son patron, Saâdeddine El Othmani, était en « visite de travail » à Addis-Abeba pendant que s’y déroulait le sommet de l’UA. L’occasion pour lui de rencontrer ses homologues kenyan (une liaison aérienne Casa-Nairobi est envisagée) et djiboutien. Le Maroc est actuellement membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et on sait les tensions qui persistent dans la Corne de l’Afrique et le rôle qu’y jouent, en tant qu’acteurs, le Kenya et Djibouti. Mais El Othmani a également rencontré dans la capitale éthiopienne Thomas Boni Yayi, président de la République du Bénin et, surtout, élu au cours de ce week-end à la présidence de l’UA. Officiellement, les entretiens ont porté sur les questions bilatérales (notamment la mise en place d’un Comité de coopération politique entre le Maroc et le Bénin), mais nul ne peut douter que le chef de la diplomatie marocaine a pris date dans l’agenda du président tout neuf de l’UA.

Me voilà débarquant à Ouaga (l’aérogare ressemble enfin à un équipement aéroportuaire après n’avoir été qu’un immense chantier). Et c’est à Ouaga que j’apprends que le ministre des Affaires étrangères du Maroc a également rencontré à Addis-Abeba le président du Faso ; entretien sur lequel la presse marocaine a fait l’impasse. Avec Blaise Compaoré, les entretiens ont porté non seulement sur les relations bilatérales (« excellentes, historiques et solides » a dit El Othmani, et qu’il convient de « consolider » et « d’élargir ») mais aussi et surtout sur l’Union africaine et la situation « troublée » en Afrique subsaharienne.

Ce qui importe, aussi, dans ce dialogue intra-africain, c’est la présentation que la nouvelle équipe marocaine fait de ce qui s’est passé au Maroc ces derniers mois. Et qui est passé quelque peu inaperçu en France compte tenu de la priorité accordée aux situations que connaissent la Tunisie tout d’abord, la Libye ensuite et la Syrie enfin. « Le Maroc, a déclaré El Othmani, a connu une révolution des urnes calme avec des réformes politiques dans le cadre de la stabilité du pays ; mais il a entamé sa démocratisation sans grands obstacles au contraire de ce qui s’est passé dans d’autres pays avec des tueries, de véritables troubles ». « Révolution » et « démocratisation » ! Il n’est pas un diplomate du Quai d’Orsay, un politique de l’Elysée, de Matignon, de l’Assemblée nationale ou du Sénat pour caractériser ainsi, officiellement, ce qui vient de se passer au Maroc dès lors que ces deux mots laisseraient entendre que le Royaume du Maroc n’était pas entré dans la voie de la « démocratie » et que pour y parvenir il fallait une « révolution », fusse-t-elle « des urnes ». Quelle horreur pour les « élites » françaises qui ont fait du royaume leur résidence secondaire !

L’autre grand sujet abordé par le ministre marocain des Affaires étrangères et le président du Faso a porté sur l’Union africaine. El Othmani a confirmé « un retour prochain de son pays au sein de l’Union ». Et si, à Addis Abeba, le chef de la diplomatie marocaine, s’est aussi entretenu avec son homologue kenyan c’était non seulement pour évoquer la situation tendue dans la Corne de l’Afrique (cf. supra) mais, également, parce que c’est le Kenyan Erastus Mwencha, vice-président de la Commission de l’UA, qui va assurer, pendant six mois, l’intérim de président de la Commission. Enfin, on l’a cru pendant un certain temps. Effectivement, si Jean Ping, le sortant, a empêché l’accession à ce poste de la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini Zuma, l’ayant emporté lors des trois tours de scrutin, il n’a pas pu réunir la majorité des deux-tiers requise (32 voix pour contre 20 bulletins blancs ; la majorité qualifiée se situait à 36 voix). Finalement, il vient d’être décidé, en nocturne, que Ping et son équipe seraient reconduits provisoirement à la tête de la Commission, jusqu’à ce que l’UA se réunisse à nouveau, en juin 2012, pour se mettre enfin d’accord sur un candidat consensuel.

Boulkindi Couldiati, dans Le Pays (lundi 30 janvier 2012), estime que la bataille Ping-Zuma est, « un affrontement des deux blocs » : francophone et anglophone. « C’est une chose connue, écrit-il. Contrairement à l’Afrique anglophone, l’Afrique francophone s’est toujours montrée championne dans l’art de ruser avec les principes de la démocratie, si bien que l’on se demande ce que peut bien apporter un homme issu de ses rangs, à cette Union qui manque aujourd’hui de leader charismatique et pragmatique ». Il n’est pas certain que le Kenya, l’Afrique du Sud, le Nigeria sans compter le Libéria, la Sierra Leone, le Soudan… soient des modèles de démocratie, plus encore de démocratie apaisée, mais leur indépendance vis-à-vis de l’ex-puissance coloniale est incontestablement plus forte qu’en terres francophones.

Au lendemain de la défaite de Ping, Abdoulaye Tiao, dans Le Pays (31 janvier 2012), a évoqué un « camouflet ». « Cette joute électorale, écrit-il, nous sort des sentiers battus des convenances diplomatiques qui ont longtemps plongé l’organisation continentale dans une sorte d’incurie, garage douillet pour homme politique en préretraite. La contestation par la voie des urnes de la reconduction de Jean Ping donne le signal, il faut l’espérer désormais, qu’il ne faut plus seulement un carnet d’adresses diplomatiques fourni pour briguer ce poste de président. Il faut, en plus, un programme et des résultats probants sur le terrain. C’est le seul gage pour être réélu ».

Mais, une fois encore, c’est la question bien plus des hommes que des institutions (et, plus encore, de l’activité de ces institutions) qui est posée. L’UA dispose désormais de son building à Addis-Abeba. « 100 milliards de francs CFA, mobilier compris » commente L’Observateur Paalga (lundi 30 janvier 2012). Beau cadeau de la République populaire de Chine. Arnaud de La Grange, correspondant à Pékin du quotidien Le Figaro, écrit (30 janvier 2012) : « En offrant à l’Union africaine (UA) son nouveau siège, la Chine marque spectaculairement sa montée en puissance sur le continent africain ». C’est le moins que l’on puisse dire ! Et il est finalement symbolique que le premier président de la Commission à s’y installer (au moins pour six mois) soit le descendant d’un émigré chinois en Afrique.

A suivre

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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