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Education dans la région de l’Est : Quand des élèves grelottent sous 418 paillotes

Publié le jeudi 19 janvier 2012 à 01h03min

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La rentrée scolaire est effective depuis le 1er octobre 2011 à l’Est comme partout ailleurs sur toute l’étendue du territoire national. Dans une « randonnée » qui l’a conduit tour à tour dans les provinces de la Kompienga, de la Komondjari et du Gourma, trois des cinq provinces que compte la région de l’Est, Sidwaya vous fait découvrir l’effectivité de la rentrée mais également les conditions dans les quelles les cours sont dispensés.

La région de l’Est occupe 17 % du territoire national en termes de superficie avec près de 2 millions d’habitants. Elle partage ses frontières avec trois pays que sont le Niger, le Bénin et le Togo. Elle fait partie également des régions où le taux de scolarisation est des plus faibles. La province de la Kompienga, la première étape de la « randonnée » compte 61 écoles primaires, soit au total 276 classes. 32 de ces classes sont de simples hangars en paille. Partageant ses frontières avec le Togo et le Bénin, elle est une zone où les populations sont essentiellement des agriculteurs. L’école de Tindangou dans la commune de Pama compte six classes pour 315 élèves avec un seul logement pour les 6 enseignants. 130 de ces élèves prennent leurs cours sous des paillotes.

L’école "B" de Nadiagou, pour sa part, est composée de 3 classes sans logements pour enseignants. Mais les élèves de cette école, contrairement à leurs camarades de Tindangou, suivent les cours confortablement assis sur des tables-bancs dans des salles de classe faites de matériaux définitifs. L’école "D" de Pama est l’une des plus mal loties dans cette commune. Elle compte 5 salles de classe dont l’une est sous paillote et l’autre sous un arbre. La province de la Komondjari fait frontière avec le Niger. A entendre une autorité de cette entité administrative, les populations sont réfractaires à toute forme de sensibilisation sur la scolarisation. Dans cette province, on dénombre 7 écoles comprenant 25 salles de classe, toutes sous paillotes. L’école de Gayéri-peulh, la première visitée compte 4 salles de classe avec un effectif de 85 élèves. Ce n’est que le premier trimestre mais déjà, l’école enregistre 10 abandons.

C’est une école située à proximité d’un bas-fond avec des concessions aux alentours. La rentrée ici n’est effective qu’après les récoltes, à entendre les différents acteurs. Fada, le chef-lieu de la région du Gourma, a aussi des classes sous paillotes. C’est le cas de l’école Sarboungou "B". Une école à 6 classes dont 2 en paillotes. Sarboungou "C" est une école à trois classes mais le bâtiment attend toujours portes et fenêtres. Cette situation a contraint les acteurs à réaliser des hangars en seccos en guise de classe pour permettre à l’école de fonctionner. Et, à entendre les responsables en charge de l’Education nationale de la région, dans les autres provinces, on y dénombre de nombreuses classes sous paillotes. La province de la Tapoa par exemple compte à elle seule, 75 classes sous paillote.

Conditions de travail difficiles

« Je n’ai jamais eu cette malchance d’enseigner sous paillotes. Je compatis à la souffrance de mes collègues qui sont dans de telles conditions. Je ne souhaite pas être dans cette situation car il me sera très difficile de donner un bon rendement… », a laissé entendre Mme Yvette Kièma/Thombiano, enseignante à l’école "B" de Gayéri. Et son collègue de l’école Sarboungou "C" de Fada, Mme Madeleine Lompo/Ouoba de renchérir : « très souvent, on est tenté de dire que nous avons mal choisi en optant pour l’enseignement. Sinon, comment comprendre que personne ne nous écoute quand nous leur disons que nos conditions de travail sont pénibles ».

Mme Jeanne Nikiéma est moins chanceuse que ses deux collègues. Elle dispense ses cours sous un arbre. « Nous nous déplaçons en fonction de la position du soleil pour pouvoir bénéficier de l’ombre… », explique- t- elle. Nombreux sont les enseignants qui dispensent le savoir aux enfants dans des conditions précaires dans cette partie du Burkina. Pour le directeur de l’école de Tindangou, Diaboado Combari, dont l’établissement compte 3 salles de classe en hangars, les enfants qui prennent leurs cours dans de telles conditions sont exposés aux intempéries.« Le froid dérange les plus petits. Et à cause du vent, on ne peut pas dresser un tableau en bonne et due forme dans ces classes. Les enseignants eux-mêmes ne s’y sentent pas… », souligne-t-il. Mme Jeanne Nikièma, qui enseigne ses élèves sous un arbre à l’école "D" de Pama, utilise un tronc d’arbre comme support pour le tableau.

Non loin de là, des troupeaux d’animaux broutent les restes de tiges de mil. Les beuglements des bêtes perturbent les cours à tel point que l’enseignante revoie les matières déjà étudiées avant chaque cours. « Les élèves sont distraits au moindre mouvement des animaux qui paissent autour ; ce qui fait qu’ils ne suivent pas et il faut tout le temps répéter, surveiller. C’est fatigant... ». La répétition est, certes, pédagogique, selon cette enseignante, mais elle estime que c’est quand-même trop.

A l’école Gayéri-peulh où toutes les quatre classes de l’école sont sous paillotes, le directeur Abdou Ouoba explique que même les parents d’élèves hèlent leurs enfants en plein cours lorsqu’ils passent à côté. « Très souvent, quand nous sommes en classe, les passants nous interpellent de loin pour nous saluer. Ceux qui y ont leurs enfants les appellent. Et leurs camarades non scolarisés, chargés de surveiller sur les troupeaux qui passent quelquefois à dix mètres des salles de classe sans abri les appellent. Cela perturbe les séances de cours… », note Abdou Ouoba.

Sa collègue Sani Amsou Ouoba qui tient la classe de CE2 soutient que les parents ne comprennent pas. « Ils vous écoutent poliment mais le lendemain, les enfants sont encore là avec les animaux. On n’y peut rien », a-t-elle noté. Souvent les distances qui séparent les salles de classe ne sont pas grandes.

« Quand je suis avec mes élèves en plein cours, si de l’autre côté un élève fait une lecture, tous les yeux sont rivés sur cette classe puisque nos hangars sont sans clôture. Ce qui fait que c’est difficile pour nous. La concentration est difficile », confie Abdou Noaga Nassouri. Cet instituteur qui enseigne sous un hangar en seccos se dit inquiet. « Le toit est bas et ne protège pas les élèves du soleil. Le soir ou à midi nous sommes obligés de nous déplacer. Je n’ai pas encore fait d’évaluation mais je suis inquiet… », affirme-t-il.

Les effectifs pléthoriques compliquent davantage la tâche des enseignants. Les tables-bancs ne sont pas souvent suffisants pour les élèves. Ce qui amène certains élèves à suivre les cours assis à même le sol. Difficile donc pour l’enseignant de circuler dans la salle.

Les enseignants dans certaines écoles ont trouvé une idée pour pallier cette difficulté dans les classes à effectifs pléthoriques. C’est le cas à l’école "B" de Sarboungou. Les élèves sont scindés en deux groupes. Un groupe passe une semaine sous le hangar pendant que l’autre occupe le bâtiment.« Nous avons un effectif de 138 élèves avec 29 tables-bancs. Pour recopier les leçons, nous faisons descendre une bonne partie des enfants afin de permettre aux autres restés sur les tables-bancs de recopier. Pendant l’harmattan les enfants grelottent. Certains souffrent tout le temps de maladies respiratoires. Mais avec un tel effectif, nous ne savons pas comment nous y prendre pour assurer un bon enseignement aux enfants… », indique Alexandre Coulibaly, enseignant de la classe de CE1 de l’école de Sarbongou "B".

Mme Saara Yonli/Lankoandé qui tient la classe de CE2 a un effectif de 120 enfants. « Je rencontre beaucoup de difficultés avec un tel effectif. Je n’arrive pas à les encadrer. Vu leur nombre, le temps imparti pour les différentes disciplines est insuffisant et je ne peux pas interroger beaucoup d’élèves. Je n’arrive pas à finir la séance dans le temps requis… », relève-t-elle.

Parmi les difficultés rencontrées par les enseignants dans cette région du Burkina figurent également les abandons. Les uns et les autres s’accordent à dire que la cause de cette situation se trouve dans les difficiles conditions que les enfants vivent dans les écoles. Jessica Compaoré est un élève de la classe de CE1 dans une école privée à Pama. Un jour, alors qu’elle est inscrite dans une école publique dont sa classe est sous hangar, elle avise son père qu’elle n’en peut plus de suivre des cours dans de telles conditions. « Au début, elle m’a dit qu’elle n’allait pas s’asseoir sous un hangar pendant que ces camarades sont dans un bâtiment. J’ai cru à des caprices d’enfant mais cela persistait. Elle a tenu toute l’année mais l’année suivante, elle a refusé catégoriquement d’y retourner. J’ai été donc obligé de l’inscrire dans une école privée où elle avait la chance de suivre les cours dans un bâtiment », a expliqué son père Elie Compaoré.

Le cas de la classe de CE2 de Gayéri-peulh est patent. Avec un effectif de 85 enfants au départ, la classe se retrouve aujourd’hui avec 34 élèves, les autres ayant jeté l’éponge.

Les reptiles s’invitent en classe

L’insécurité et le manque d’hygiène s’invitent également dans les écoles. Pour les enseignants, dispenser des cours dans des salles de classe où la sécurité des pensionnaires est menacée n’est pas une bonne chose. Dans les classes sous paillotes, élèves et enseignants sont sous la menace des reptiles et autres. « Notre école étant à proximité d’un bas-fond, les serpents font parfois irruption dans les salles de classe... », relève Abdou Ouoba. A cela s’ajoute le fait que les classes en paillotes ne sont pas solides et ne résistent pas aux attaques des termites. « L’année dernière, le hangar est tombé plusieurs fois sur nous, blessant parfois des élèves. Lorsqu’on alerte les parents, ils ne se manifestent pas. Finalement, c’est le directeur et les plus grands élèves qui redressent le hangar. Avant cette réparation, nous faisons les cours sur les décombres… », relève Madeleine Lompo/Ouoba de l’école Sarboungou "C".

Son collègue Mahama Ouali, directeur de l’école Sarboungou "C", lui, est furieux contre les décideurs pour leur négligence : « Comment comprendre qu’une école soit construite et tôlée sans pour autant qu’on ne fixe ni portes ni fenêtres et que la même école, trois ans plus tard, soit décoiffée par le vent » Et il ajoute : « Nous sommes sans fontaine. Lors des cours d’hygiène, les élèves nous disent qu’il leur manque de l’eau pour laver les mains avant de manger. C’est honteux mais nous les comprenons… », martèle-t-il avant de lâcher laconiquement : « Les élèves et nous, nous nous bousculons derrière les buissons pour nous soulager ».

La précarité des infrastructures servant de salles de classe fait qu’il est très risqué d’y faire des cours à la période des pluies. « Dans cette région, le début de l’hivernage est souvent accompagné de vents violents. Lorsqu’il y a une pluie accompagnée de vent, il est difficile de poursuivre les cours sous les hangars. Les élèves courent se réfugier dans les autres classes. Aussi, dès les premières pluies, il faut arrêter les cours… », indique Diaboado Combari.

La région de l’Est compte 896 écoles, soit 3156 salles de classe dont 316 classes multigrades pour 3256 enseignants. Malgré tout, il y a un manque de 285 enseignants pour toute la région. Dans cet ensemble, on compte au total 418 classes sous paillotes. La région a enregistré 21 585 nouveaux inscrits pour la rentrée scolaire 2011-2012. Mais, en dépit de ces chiffres, le taux de scolarisation dans cette partie du pays reste très faible. Le directeur provincial de l’Education nationale de la Komondjari affirme que cette situation dépend de plusieurs facteurs : « Les enfants scolarisables sont dispersés dans les hameaux de culture. Le niveau de prise de conscience des populations et le choix du site pour implanter une école posent toujours problème… », explique le directeur provincial, Abylaicé Rouamba.

A l’écouter, il est important de prendre des précautions avant d’implanter une école. « Si vous désignez une école par le nom de l’ethnie habitant un hameau de culture, vous ne verrez pas les populations des autres hameaux y envoyer leurs enfants. Le cas de l’école Gayéri-peulh est patent. Depuis la construction de l’école, on n’a pas encore enregistré un seul enfant gourmantché. Pour eux, cette école a été uniquement construite pour les Peuls.

Nous avons essayé de les sensibiliser et cette année nous avons pu recruter cinq enfants gourmantchés. Il faut donc lier la dénomination de l’école au nom du village qu’aux hameaux de cultures. On a baptisé des écoles ici du nom Pabou-Gourma, Pabou-peul, Pabou-mossi… C’est ce qu’il faut désormais éviter de faire… », conseille Abylaicé Rouamba.

Le comportement de l’enseignant y est aussi pour quelque chose dans le faible taux de scolarisation, à en croire les acteurs de l’éducation. Les parents inscrivent leurs enfants à l’école lorsqu’ils estiment que l’instituteur du village est bien intégré dans la communauté. « Pour les parents, il faut que l’enseignant soit leur ami. S’il participe à leur joie et à leurs peines, alors c’est un bon enseignant. Autrement, il faut s’attendre à ce que beaucoup s’abstiennent d’amener leurs enfants à l’école… », indique M. Abylaicé Rouamba. Celui-ci explique que le recrutement des élèves se fait de porte à porte, notamment chez les imams, les pasteurs, les chefs traditionnels. La région enregistre un déficit de logements d’enseignants. Moins de 50 % d’entre eux, selon les autorités régionales de l’éducation, bénéficient de logements. Les autres sont obligés de trouver des logements dans les villes. Dans certaines localités comme Tindangou, le seul logement construit pour six enseignants est inhabité, ceux-ci préférant, selon le directeur Diaboado Combari, être en ville où ils peuvent trouver certaines commodités comme l’électricité.

Mais il y en a qui estiment que l’indemnité de logement ne permet pas de supporter le coût d’une location fixé selon les humeurs du propriétaire. « Cette situation porte préjudice à l’enseignement car à cause de la distance certains arrivent souvent en retard… », note le chef de service de gestion des ressources financières, infrastructures et logistique de la Kompienga, M.Combamtanga Rasmané.

Relever le taux de scolarisation

Pour rehausser le taux de scolarisation dans la région, les initiatives ne manquent pas. De l’autorité à l’enseignant, chacun élabore des projets. « Nous avons en projet, l’organisation d’une foire qui contribuera à relever le taux de scolarisation. Il s’agira d’exposer nos problèmes. Nous comptons sur les ressortissants de la province pour réaliser des écoles en matériaux définitifs… », relève le directeur provincial de l’Education de la Komondjari,Abylaicé Rouamba. La directrice régionale, Mme Odile Ouédraogo/Hien reconnaît qu’il y a un besoin crucial en infrastructures dans la région de l’Est. Pour elle, les paillotes viennent suppléer le manque d’infrastructures. Mais la durée de vie d’une classe en paillotes est d’une année scolaire. Pour relever le taux de scolarisation, Odile Ouédraogo propose la construction d’écoles en matériaux définitifs, de combler le déficit en enseignants.« Nous avons un besoin crucial d’infrastructures. La mobilisation sociale a permis aux parents d’avoir de l’engouement pour la scolarisation de leurs enfants.

Les parents développent des initiatives qui sont les classes sous paillotes.Il nous faut donc des enseignants pour combler le vide et relever ainsi le taux de scolarisation », souligne la directrice régionale. Et le gouverneur de la région, Bertin Somda de renchérir : « Nous avons besoin d’enseignants de qualité qui se préoccupent de l’avenir des enfants. Il faut donner une formation de qualité à nos enfants et non pas les enseigner de façon livresque. C’est de cela dont nous avons besoin pour rehausser le niveau de l’éducation ». L’éducation est une dette sociale qui se paie sans différé, et lorsqu’on parle d’éducation, les besoins sont énormes. Mais dans ces conditions précaires et ardues dans lesquelles enseignants dispensent les cours émergeront des têtes pleines et bien faites pour la nation entière. Aristote n’a-t-il pas dit : « L’éducation a des racines amères, mais ses fruits sont doux ».

Wendyam Valentin COMPAORE (valentin.compaore@yahoo.fr)


Un taux de scolarisation faible

En dépit de tout cela, les résultats sont plus ou moins encourageants même si dans certaines provinces, le taux de scolarisation est très faible. La province de la Kompienga enregistre par exemple un taux brut de scolarisation de 78 % et 88 % de taux d’alphabétisation. La Tapoa a, quant à elle, un taux brut de scolarisation de 47%, et un taux brut d’alphabétisation de 19%. La Gnagna a 51,3% de taux brut de scolarisation et 53,1% de taux brut d’alphabétisation. La Komondjari occupe la dernière place avec un taux brut d’alphabétisation de 38,5 %, de scolarisation de 37,3 % contre un taux national de 76 %. Les conditions difficiles d’apprentissage expliquent-elles ces faibles taux. La directrice régionale de l’Est, Odile Ouédraogo/Hien estime que cela est évident. « L’idéal, c’est d’avoir des écoles avec des logements. Car, il faut que l’enseignant soit dans des conditions optimums… », reconnaît-elle.

W.V.C

Sidwaya

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