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« L’Œil du Vatican » se pose avec une acuité particulière sur le Sénégal à la veille d’une présidentielle à risques

Publié le jeudi 19 janvier 2012 à 01h02min

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Il y a, bien sûr, une donnée objective : le 50ème anniversaire de l’établissement de relations diplomatiques entre le Saint-Siège et la République du Sénégal. C’était le 17 novembre 1961 et Dakar a été la première capitale de l’AOF-AEF à reconnaître le rôle géopolitique du Saint-Siège. Mais on pouvait penser que la messe célébrée le 26 décembre 2011 à la cathédrale du Souvenir africain de Dakar, coprésidée par l’archevêque de Dakar, le cardinal Théodore Adrien Sarr, et le nonce apostolique, Mgr Louis Mariano Montemayor, ainsi que les discours qui ont suivi devaient suffire à commémorer cet événement dans un pays musulman à plus de 94 % ! On notera que le gouvernement n’y était représenté que « par une délégation du ministère des Affaires étrangères » et que les commentateurs souligneront que la visite de Jean-Paul II (19-22 février 1992), avait été le « point d’orgue » des relations entre Dakar et la Cité du Vatican.

C’était alors Abdou Diouf qui était président. C’était oublier aussi qu’Abdoulaye Wade avait été le seul chef d’Etat de l’ex-AOF-AEF, et un des rares chefs d’Etat d’Afrique (ils étaient sept au total me semble-t-il), à avoir participé, à Rome, aux cérémonies des obsèques du pape Jean-Paul II (8 avril 2005). L’événement « vaut bien une messe » ! Pas plus ? Manifestement, le Vatican a tenu à en rajouter. Mgr Dominique Mamberti, secrétaire d’Etat chargé des relations avec les Etats - le ministre des Affaires étrangères du Saint-Siège - a fait le déplacement jusqu’à Dakar, quelques jours plus tard, pour « une visite de travail et d’amitié » (14-17 janvier 2012). Au programme, entretiens avec le ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères (Madické Niang), le premier ministre (Souleymane Ndéné Ndiaye) et Wade ; visite à Gorée (où, voici près de vingt ans, en février 1992, Jean-Paul II avait demandé pardon pour l’implication de l’Eglise et du monde dans la traite des Noirs) et au monastère bénédictin de Keur Moussa, à 150 km de Dakar, fondé en 1963 par Dom Jean Prou, abbé de Solesmes.

Il y a, aussi, une donnée subjective à tout cela. Dans quelques semaines (le 26 février 2012), une présidentielle à hauts risques va être organisée au Sénégal. Wade, candidat à un second quinquennat (qui serait son troisième mandat, le premier ayant été un septennat), se voit reprocher aujourd’hui par l’opposition d’être « de loin, des trois présidents du Sénégal, celui qui a le plus médiatisé ses opinions religieuses » et d’avoir « utilisé ses convictions pour tenter de séduire l’électorat mouride ». Le 9 janvier 2012, Wade a relancé la polémique à ce sujet après avoir déclaré, lors du pèlerinage du Magal, à Touba, haut lieu de la confrérie mouride : « J’aide toutes les confréries, mais à vrai dire je ne peux pas mettre Touba au même pied d’égalité que les autres ». La visite de Mgr Dominique Mamberti, quelques jours plus tard, aura donc été l’occasion de remettre les pendules à l’heure… du pape*.

A l’issue de la messe concélébrée dans le cadre de cette visite, le cardinal Théodore Adrien Sarr, archevêque de Dakar, s’est fait le chantre de la… laïcité. « Cette laïcité au Sénégal, a-t-il rappelé, signifie que l’Etat se déclare non confessionnel et admet la séparation des pouvoirs temporel et spirituel. Ce faisant, l’Etat du Sénégal se déclare reconnaître les valeurs et la place primordiale de la religion dans la vie des personnes et leur communauté ».

De son côté, la représentante du pouvoir à cette cérémonie, la ministre des Relations avec les institutions, Thérèse Coumba Diop, s’est contentée d’affirmer que « le Sénégal est un exemple dans le domaine de la démocratie, mais également dans le domaine du dialogue interreligieux ». Une exemplarité fortement contestée, actuellement, par les Sénégalais, dans l’un et l’autre domaines. « Personne ne veut d’un président de la République qui va essayer de créer de la division, de la distance juste pour ses propres prétentions et ses propres ambitions politiques. Ce dont les Sénégalais ont besoin, et surtout relativement aux confréries, c’est quelqu’un qui unifie l’idée de la nation parce que, que ce soit Touba ou Tivaouane, ce sont des entités de la nation sénégalaise » (Cheikh Bamba Dieye, leader du Front pour le socialisme et la démocratie/Benno Jubël, s’exprimant sur RFI - 13 janvier 2012).

Si le ministre des Affaires étrangères, Madické Niang, a appelé à « combattre le fanatisme et l’extrémisme pour que la religion ne soit pas source de violence », Mgr Dominique Mamberti, s’est inscrit dans le quotidien du Sénégal rappelant que l’Etat doit être « neutre » dans les affaires religieuses ; « une neutralité qui ne veut pas dire que l’Etat du Sénégal est indifférent à la religion, car il aide et contribue au développement et à l’épanouissement de la société », a-t-il ajouté. « Nous suivons avec tristesse les problèmes qui menacent la stabilité comme les guerres, surtout lorsqu’elles opposent des populations pour des raisons religieuses », a précisé Mgr Mamberti évoquant à cet instant l’Afrique et soulignant aussitôt : « alors que, comme au Sénégal, la religion doit être un facteur de réconciliation et de paix ». Propos soft du chef de la diplomatie vaticane (qui connaît l’islam et l’Afrique : né à Marrakech, il a été en poste en Algérie, au Liban, en Somalie, au Soudan, en Erythrée) qui traduisent cependant la préoccupation du Saint-Siège quant à l’exacerbation des tensions politiques qui pourraient devenir sociales puis religieuses dans ce pays où « les Dieux et les hommes » n’ont pas toujours fait bon ménage.

L’Eglise catholique a, au Sénégal, des rapports qui sont « bons » avec les musulmans. C’est le cardinal Théodore-Adrien Sarr qui l’affirmait voici quelques années. Il ajoutait aussitôt : « Mais nous restons prudents ». D’autant plus que les confréries musulmanes sont, à l’occasion, instrumentalisées par le pouvoir et que Sarr se déclare « déçu par les hommes politiques qui n’ont aucune ambition pour développer le pays » (La Croix du 6 novembre 2009). On se souvient des questions posées, en juin 2007, dans Walfadjri, par Théodore Ndiaye, président de Présence chrétienne : « Y-a-t’il des chrétiens au Sénégal ? Ce régime nous respecte-t-il ? Notre président a-t-il un problème avec la communauté chrétienne ? ». Ndiaye dénonçait alors la quasi-totale absence de chrétiens au sein du gouvernement et de l’Assemblée nationale. Il s’insurgera encore quand l’ancien ministre Jean-Paul Dias, compagnon de Wade au sein du PDS historique (il en a été exclu en 1993), figure « médiatique » de l’opposition depuis, sera interpellé par la police, en avril 2006, jour du Vendredi Saint, alors qu’il participe au Chemin de Croix à la cathédrale de Dakar, pour injure au chef de l’Etat.

La liste est longue des incidents qui ont envenimé les relations entre la communauté catholique et le pouvoir (sans oublier les menaces de mort formulées à l’encontre du clergé en 2004) et qui pèsent d’un poids particulier, aujourd’hui, à la veille de la présidentielle. Poids d’autant plus particulier que Wade vient d’être contraint d’appeler à la rescousse la communauté Sant’Egidio, proche du Vatican, dans l’affaire de la Casamance. En 2000, il avait promis de régler ce conflit « en quelques mois ». Il reconnaît avoir échoué, par la faute, dit-il, de Laurent Gbagbo qui a soutenu la fraction radicale du MFDC dirigée par Salif Diallo. Aujourd’hui, au Sénégal, au plan diplomatique, la balle est désormais dans le camp du Vatican. Incroyable !

* C’est en s’inspirant des appels à la prière musulmane que l’Eglise catholique d’Occident aurait institué l’Angélus qui, à six heures, midi et dix-huit heures glorifie les mystères de l’Immaculée Conception (« Angelus Domini nuntiavit Mariae »). Mais c’est à l’occasion de la Première Croisade que le pape a ordonné de prier la Vierge, à midi, pour ceux qui étaient partis combattre en Terre Sainte. C’est ainsi que midi a été caractérisé dans le monde catholique occidental comme « l’heure du pape ».

La Dépêche Diplomatique

Jean-Pierre Béjot, éditeur-conseil

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