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Chambre de commerce du Burkina : Alizèta Ouédraogo va devoir booster la relation économique avec la Côte d’Ivoire (1/2)

Publié le mardi 3 janvier 2012 à 10h37min

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Il y a, comme cela, des concordances des temps qui s’inscrivent dans l’histoire des pays. Bien sûr, il ne faut pas en exagérer la portée ; mais on ne peut pas ne pas remarquer que la Chambre de commerce et d’industrie du Burkina Faso a été appelée à élire un nouveau président alors que l’économie du pays devrait retrouver une nouvelle vigueur à la suite du retour de la Côte d’Ivoire sur la scène politique, diplomatique et, surtout, économique régionale. Les destins de Ouaga et d’Abidjan sont sinon liés tout au moins étroitement imbriqués.

Les « relations fraternelles » entre les deux pays sont « un capital inestimable qui, mieux que les discours, mieux que des dispositions artificielles, créent les conditions de la confiance, de l’assurance et de la sécurité indispensables à la réussite des affaires ». Celui qui s’exprimait ainsi s’appelait Jean-Michel Moulod. Il était alors PDG du Port autonome d’Abidjan. C’était le jeudi 18 novembre 1993, et la Chambre de commerce, d’industrie et d’artisanat (CCIA) du Burkina Faso venait enfin d’installer dans la capitale ivoirienne son représentant, un jeune cadre économique de 29 ans : Emmanuel Yoda. La cérémonie s’était déroulée dans le salon « La Palmeraie » de l’hôtel Tiama.

Et Mahorou Kanazoé, qui couvrait l’événement pour le quotidien burkinabè Le Pays, écrira (23 novembre 1993) : « La capitale économique ivoirienne, en ce mois de novembre vit dans un état de prostration. Elle s’est à peine remise des violentes émeutes anti-ghanéennes, qu’elle apprend le retour en catimini de son président, dont on dit qu’il est sérieusement malade. Sans parler, bien sûr, de l’éternelle crise économique. Dans ce décor de tristesse, les manifestations de la chambre de commerce constituent un plus d’énergie à une ville qui se cherche ».

Moins de vingt jours plus tard, Félix Houphouët-Boigny va mourir, le mardi 7 décembre 1993, et la Côte d’Ivoire va entrer, pour de longues années, dans la « zone des tempêtes », les « Quarantièmes rugissants » se transformant en « Cinquantièmes hurlants ».

Moulod, le PDG du PAA, est mort tragiquement voici quelques mois (cf. LDD Côte d’Ivoire 0351/Lundi 31 octobre 2011). Seydou Diarra, qui était à l’époque le président de la Chambre de commerce ivoirienne, a été, depuis, le Premier ministre de Laurent Gbagbo à la suite des accords de Marcoussis. Le pharmacien Paul Balkouma, qui présidait la CCIA depuis 1984, a passé la main, en novembre 1995, à El Hadj Oumarou Kanazoé, mort le 19 octobre 2011 (cf. LDD Burkina Faso 0271/Jeudi 27 octobre 2011) qui occupait alors les fonctions de deuxième vice-président de la CCIA. C’est sous l’ère Kanazoé (1995-2010) qu’Alizèta Ouédraogo fera son entrée dans les instances dirigeantes de la Chambre de commerce et d’industrie du Burkina Faso.

La mort du vieil homme d’affaires l’a propulsée, le 29 décembre 2011, à la présidence de l’institution. Qui compte désormais un 1er et un 2ème vice-présidents, mais aussi trois vice-présidents (commerce ; services ; industrie), quatre présidents de sections territoriales (Ouest ; Nord ; Est ; Centre-Ouest), trois secrétaires et un directeur général (Franck Tapsoba). L’arrivée sur le devant de la scène d’Alizèta Ouédraogo ne saurait étonner. Elle est habituée aux premiers rôles. Pas seulement économiques ; mais aussi politico-sociaux.

Alizèta Ouédraogo est un mythe. En ce sens où elle conserve l’essentiel de son mystère dès lors que les « papiers » qui s’intéressent à elles se limitent à quelques redites. Un premier blaze, d’abord, lié à ses activités industrielles : « Gando » puisque c’est dans les cuirs et peaux qu’elle a fait carrière et fortune. Un second blaze, ensuite, lié à sa position politico-sociale : « belle-mère nationale » ; le 3 septembre 1994, sa fille, Salah, vingt ans, a épousé, à Gourcy (Nord-Ouest) - dans la tradition musulmane - puis à Ouagadougou - mariage civil - François Compaoré, frère cadet du chef de l’Etat, pour l’occasion Cheik Omar, 41 ans. Le témoin de la mariée était… Oumarou Kanazoé ; celui du marié, Chantal Compaoré, première dame du Burkina Faso.

Dès lors, le reste est à l’avenant : « Alizèta Gando est le prototype même de la fulgurance en affaires. En 1990, elle n’avait que sa moto et quatre ans plus tard, après s’être alliée aux Compaoré, et après que l’Etat lui ait accordé un monopole indu, elle devenait milliardaire. Depuis, elle a diversifié ses activités pour toucher l’immobilier Azimmo et puis Socogib. A présent, elle étend ses tentacules dans le BTP ». C’est une vision restrictive des choses*.

Pour comprendre le parcours de « Gando », il faut remonter à 1968. C’est cette année-là que la Société européenne des peaux (SEP), filiale marseillaise de la toute-puissante CFAO, se lançait dans la collecte et l’exportation des cuirs et peaux bruts ou tannés (caprins, ovins, bovins). Actionnaire majoritaire à hauteur de 51 % du capital, la CFAO avait pour partenaire l’Etat voltaïque (49 %). Au milieu des années soixante-dix, la SEP (qui deviendra la Société voltaïque des cuirs et peaux - SVPC - puis la Société burkinabé des cuirs et peaux - SBPC) ira au-delà de la commercialisation des cuirs et peaux brutes ou tannées, activité dont elle avait le monopole. Elle créera alors la société Voltacuir (devenue la Société burkinabè de manufacture du cuir - SBMC).

Mais les positions dominantes dans l’entreprise seront inversées : l’Etat y est majoritaire avec 51 % du capital et le groupe CFAO minoritaire avec 49 %. Au début des années 1990, le Burkina Faso s’engage dans une difficile politique de privatisation. Le secteur des cuirs et peaux est le premier sur la liste. Les médias découvrent alors Alizèta Ouédraogo qui,dans un premier temps, s’est substituée au groupe CFAO, défaillant, avant de racheter les parts détenues par l’Etat. Elle fera de la SBPC et de la SBMC, le pivot de son groupe industriel.

En 1993, cependant, à l’issue de cette privatisation, le paysage n’avait guère changé. Dans la cour de la SBMC, il y a toujours les mêmes manguiers tardifs qui ne donneraient des fruits que fin juillet. Les camions de la SBCP déchargeaient toujours leurs cargaisons de peaux brutes. Et la tannerie avec ses foulons avait toujours ce petit quelque chose de rétro qui touchait mon âme de mécanicien. Les bureaux, eux aussi, avec leur débordement d’objets en cuir, gardaient leur modeste aspect du passé. Le changement était pourtant total. Dans la cour, une magnifique Mercedes gris foncé. Le dernier modèle. Et le patron était une patronne. En l’occurrence, Alizèta Ouédraogo, grande et belle femme pas encore quadragénaire, présidente désormais du groupe Aliz cuirs et peaux.

C’était, me dira-t-elle, une femme du métier ; elle possédait une expérience de la profession acquise au sein d’une unité familiale. Et elle entendait réussir là où la CFAO - au sein de la SBMC, on mettait en cause, plus volontiers, celui qui était alors le nouveau patron du groupe, François Pinault - avait échoué. Son objectif : plus de valeur ajoutée (c’est elle qui voudra le développement d’un département ameublement en cuir). Un temps, le Burkina Faso va être submergé par les réalisations en cuir (jusqu’au revêtement des murs du pavillon d’honneur de l’aéroport de Ouagadougou) d’Alizèta Ouédraogo. Pas une société de la place, un colloque, un séminaire, une conférence… qui ne commanderont quelques éléments décoratifs (porte-calendriers, porte-clés, panneaux artistiques…) ou pratiques (couvre-livres, agendas, mallettes…) pour personnaliser leurs relations extérieures ou faire plaisir à leur clientèle ou à leurs participants.

* Le mari d’Alizèta Ouédraogo est le très discret député El Hadj Tahéré Ouédraogo, candidat malheureux au trône de chef traditionnel de Gourcy. Un fils Ouédraogo a épousé Laïla, la fille de Salif Yaméogo, le PDG de la chaîne des hôtels Relax.

A suivre

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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