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Pas de « trêve des confiseurs » : pour le patron de la Société ivoirienne de raffinage (SIR) !

Publié le samedi 31 décembre 2011 à 23h09min

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A Abidjan, les commentateurs avaient souligné « l’exploit ». Après qu’Alassane D. Ouattara se soit installé à la présidence et ait entrepris de dégager en touche la quasi-totalité des patrons des sociétés du secteur public et parapublic, Joël Derain, directeur général de la Société ivoirienne de raffinage (SIR), première entreprise d’Afrique de l’Ouest francophone, avait sauvé sa tête.

On s’étonnera de le voir à la Fondation Félix Houphouët-Boigny de Yamoussoukro, bien placé, lors de l’investiture de Ouattara, le samedi 21 mai 2011, alors que PCA, Laurent Ottro Zirignon était moins bien loti. Il est vrai qu’il est l’oncle de Gbagbo et que son épouse, Sarata, proche de Gbagbo dès les années 1970, emprisonnée, enrôlée de force dans l’armée, exilée aux Etats-Unis, directrice adjointe du cabinet de Gbagbo, a été considérée comme « l’une des femmes les plus puissantes de Côte d’Ivoire ».

Ottro Zirignon sera remplacé à la présidence du conseil d’administration de la SIR par Noël Akossi Bendjo, maire de la commune du Plateau depuis mars 2001. Ingénieur chimiste formé à l’Université Laval à Montréal, ancien directeur à la SIR, Bendjo a été un des chefs de file des « rénovateurs » au sein du PDCI-RDA dont il briguera, d’ailleurs, le secrétariat général en 2002. C’est Adama Toungara, ministre des Mines, du Pétrole et de l’Energie, qui a présenté officiellement Bendjo lors de sa nomination. Toungara est, quant à lui, considéré comme « le père de l’industrie pétrolière ivoirienne » ; il a été le premier patron de Pétroci et de la SIR. C’est dire qu’il sait où il va et comment il veut y aller : « renforcement des capacités humaines » ; croissance et rationalisation du marché des produits pétroliers*.

Derain, 57 ans, titulaire d’une maîtrise ès sciences économiques de l’Université Laval à Montréal, a mené toute sa carrière au sein de la SIR où il est entré en 1987. Responsable du département commercial, directeur des ressources humaines puis directeur des ressources humaines et de l’administration, il en a été promu directeur général en 2001 alors que Laurent Gbagbo venait de conquérir la présidence de la République.

Derain va avoir la rude tâche de gérer la SIR dans une conjoncture internationale (baisse des marges des raffineurs), régionale (les tensions avec le Mali et, surtout, le Burkina Faso, débouchés des produits pétroliers ivoiriens, au lendemain des événements du 18-19 septembre 2002) et nationale (crise post-présidentielle de 2010-2011 et arrêt de l’activité à la suite des « sanctions » prises par la « communauté internationale » à l’encontre des sociétés ivoiriennes aptes à financer l’action « subversive » de Gbagbo). C’est lui, aussi, qui aura favorisé l’entrée des Angolais de la Sonangol dans le capital de la SIR (22 %) ; une démarche qui n’était pas strictement industrielle (la SIR raffine le brut nigérian et le traitement du pétrole angolais nécessiterait une adaptation technologique des installations) mais s’inscrivait dans le partenariat politico-diplomatique institué entre Abidjan et Luanda ou, plus exactement, entre Gbagbo et José Eduardo dos Santos.

Il convient de rappeler aussi que le Burkina Faso est actionnaire de la SIR (5,39 %) et que c’est le DG de la Sonabhy qui siège, à ce titre, au conseil d’administration. C’est d’ailleurs à Ouagadougou, le jeudi 15 septembre 2011, qu’a eu lieu le dernier conseil d’administration auquel a participé Derain**.

Avec un chiffre d’affaires de 1.000 milliards de francs CFA, la SIR est, sur le papier, une belle affaire. Mais son histoire industrielle et financière n’a jamais été simple. La société a été créée le 3 octobre 1962 et les installations seront mises en service en août 1965 ; cette entreprise a été un enjeu politique (pour les Ivoiriens) et diplomatique (pour la sous-région qu’elle devait approvisionner, créant ainsi une dépendance énergétique non négligeable pour les pays de l’hinterland). Entreprise d’autant plus stratégique que Félix Houphouët-Boigny rêvait de faire de la Côte d’Ivoire, pays agricole, un pays pétrolier (« une Rotterdam tropicale »), afin de lui donner plus de magnificence. « Nos détracteurs veulent toujours nous voir habiter des paillotes, disait-il en novembre 1981 (au lendemain de la mise en exploitation du premier gisement pétrolier : Bélier, le blaze du « Vieux »). Que Dieu nous aide à avoir notre part de pétrole avant que je ne vous quitte, je donnerai à la Côte d’Ivoire un palais dont elle sera fière, un palais dont nos arrières petits-fils seront fiers ».

A la suite de l’arrivée au pouvoir de Henri Konan Bédié, la privatisation de cette « pépite » industrielle sera envisagée. Le projet n’aboutira pas pour des raisons conjoncturelles : politiques, diplomatiques et économiques. La SIR restera dans le giron de l’Etat ivoirien via la Pétroci (53,73 % du capital + 1,54 % pour l’Etat stricto sensu).

Le « Vieux » avait une vision sous-régionale de la SIR ; c’est dans cette perspective qu’il va créer la Société multinationale de bitumes (SMB). « Multinationale » parce qu’elle était appelée à accueillir d’autres pays africains. Houphouët voulait réduire « les disparités régionales par l’exécution d’un important programme routier permettant le désenclavement des régions éloignées des pôles de développement ». Le 24 mai 1995, l’Etat a cédé à la SIR 51 % de sa participation dans le capital de la SMB (capital aujourd’hui détenu à 72,52 % par la SIR et 27,48 % par des privés). La crise ivoiro-ivoirienne (et, du même coup, l’arrêt des projets routiers) a mis la SMB en surcapacité et l’entreprise a dû se tourner vers les débouchés régionaux devenant ainsi la raffinerie de bitume numéro un en Afrique centrale et de l’Ouest (50 % de la demande) et la numéro deux en Afrique après la raffinerie de Durban en Afrique du Sud.

Le PCA de la SMB est Yves Hyacinthe Djere Boha. Le DG s’appelle Thomas Pagabaha Camara. On l’a dit proche de Léon Emmanuel Monnet, ministre FPI, de longues années (octobre 2000-mars 2010) en charge des mines et de l’énergie (et à ce titre impliqué dans « l’affaire du Probo Koala ») après avoir été ministre de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle (janvier-octobre 2000) dans le gouvernement de Robert Gueï. Camara, quant à lui, n’est pas une tête d’affiche médiatique. Il vient pourtant d’être choisi pour prendre la suite de Derain à la tête de la SIR. Dont l’éviction est prononcée dans la discrétion la plus totale alors que, « trêve des confiseurs » oblige, on se préoccupe, en ce moment, bien plus des fêtes de fin d’année que de manœuvres politiques et industrielles.

Derain aura ainsi bénéficié, à la tête de la première entreprise ivoirienne, d’un sursis de quelques mois. Mais il n’aura pas, pour autant, perduré au-delà de l’année 2011, celle de tous les dangers en Côte d’Ivoire. Reste à savoir si Camara ne sera qu’un « intérimaire » en attendant mieux ou, définitivement, le nouvel homme fort du secteur pétrolier ivoirien à la tête de la SIR et de la SMB (qui occupent le même site). Trop tôt pour le dire. N’oublions pas que, par ailleurs, la SMB va jouer un rôle majeur dans la réhabilitation du réseau routier ivoirien et la construction, notamment, de l’autoroute Yamoussoukro-Ouaga. De quoi faire grimper son cours en Bourse.

* Selon Adama Toungara : « Pour qu’une raffinerie soit performante, il faut que le pays absorbe sur son territoire national 60 % de sa production, soit 2,4 millions de tonnes, alors que notre marché vacille entre 800 et 900.000 tonnes ».

** Le conseil d’administration de la SIR se tient en septembre et de façon tournante à Abidjan et à Ouagadougou. Mais il ne s’est pas tenu à Ouaga au cours de la période 2002-2007. Le dernier conseil d’administration de 2002 s’était tenu une semaine avant les événements du 18-19 septembre et c’est la normalisation de la situation entre Abidjan et Ouaga, à la suite des « accords de Ouagadougou » qui a permis, après cinq années d’interruption, la tenue d’un conseil d’administration dans la capitale du Burkina Faso le vendredi 14 septembre 2007.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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