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Guinée : « La subvention de l’Etat à la presse est devenue quelque peu pernicieuse »

Publié le jeudi 14 octobre 2004 à 07h35min

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Premier responsable du groupe de presse Lynx-Lance, Souleymane Diallo est un magnat de la presse écrite guinéenne. A ce jour, il publie deux journaux Le Lynx et La Lance.

Propriétaire d’une imprimerie, il est l’imprimeur d’une bonne partie de la presse de son pays. A la faveur d’un atelier de formation en journalisme d’investigation qui s’est tenu à Conakry du 26 septembre au 1er octobre 2004, nous avons rencontré M. Diallo qui nous parle ici de la situation de la presse dans son pays et de la saisie par la police de l’édition N°4 du journal Le Petit Matin. Vous lirez aussi en encadré un entretien que nous a accordé Bah Oury Yengué, le directeur de publication du journal en question.

Quels sont les problèmes de la presse écrite guinéenne ?

On a d’énormes difficultés. Je commence par la collecte de l’information. En Guinée, l’information est arrachée, nous l’arrachons à l’administration, nous l’arrachons à tout le monde.

Nous avons aussi un problème de traitement de l’information parce que les lois sur la liberté de la presse sont extrêmement sévères. On essaie alors de jongler pour ne pas tomber sous le coup de la loi.

Autres difficultés, ce sont les finances. Pour imprimer un journal, c’est la croix et la bannière. Aucun intrant n’est détaxé dans notre pays. Ainsi, à tous les coups, l’imprimerie est ruineuse.

La Guinée est un pays de misère où les salaires sont très faibles. Où trouver l’argent pour payer régulièrement et correctement les salaires ?

Nous avons aussi des difficultés de distribution. Le système de distribution des journaux n’est pas fiable si bien que nous rentrons difficilement dans nos fonds.

Le problème est empiré par un phénomène : nous avons les gens qui louent les journaux, ceux qui les photocopient et surtout les lecteurs des titres. Ces derniers font le tour de la rue pour lire les titres.

Ces sont les plus nocifs parce qu’ils vont commenter des articles qu’ils n’ont pas lu. Cela nous apporte bien souvent des problèmes.

Nous avons des difficultés avec l’administration policière. La police qui, en principe, n’est pas habilité à entrer dans nos rédactions pour inquiéter les journalistes, viole souvent cette disposition.

Du côté de la justice, les choses se sont assez calmées. La presse a été extrêmement caustique ces dernières années et elle a fini par s’imposer. Elle a été acceptée aujourd’hui après dix ans de dur labeur.

Qu’en est-il de la subvention de l’Etat à la presse ?

Depuis trois ans, nous avons cette subvention. Elle est passée de 300 à 400 millions de francs guinéens. Cette subvention est devenue un peu pernicieuse pour la presse parce qu’elle a déstabilisé les groupes de presse, notamment le Lynx-Lance et l’Indépendant.

C’est le Conseil national de la communication qui partage cet argent de façon égalitaire aux journaux. Je m’explique : un journal égal un journal.

Le Lynx qui a 16-20 pages reçoit la même dotation que La Lance qui a 12 pages ou un autre journal qui a 8 pages et qui paraît tout juste au moment où il y a la distribution de cette subvention.

Etranger, on est frappé du fait que la Guinée ne possède aucun quotidien d’information…

En tant que Guinéens, nous sommes encore plus frappés que vous. Le Lynx peut techniquement fabriquer un quotidien aujourd’hui. Mais on ne pourra pas le distribuer. Beaucoup sont surpris, mais la distribution n’est pas du tout réglée en Guinée sinon notre groupe peut créer un quotidien.

L’absence de quotidien n’est donc pas due à une limitation de la loi ?

Pas du tout ! La loi est absolument muette sur ça. En fait, le manque de quotidien est dû à la faiblesse des structures qui nous empêchent d’avoir pour l’instant un quotidien. L’Etat a un quotidien (Horoya) qui paraît seulement deux fois dans la semaine.

Quel est le problème au niveau des radios ? Dans ma chambre d’hôtel, j’ai essayé de « zapper » sur la bande FM mais je ne suis pas tombé sur beaucoup de stations…

Mais c’est parce que nous sommes tombés avant vous (rires). Pour être sérieux, je dois dire qu’il n’y a pas de radio privée en Guinée. Il en est de même de la télévision. La seule télé qui existe est celle de l’Etat. Non, je dirai plutôt celle du gouvernement.

Le secteur de l’audiovisuel (radio et télé) n’est pas libéralisé. On est en train de se battre pour ça. Si on continue, ils vont nous libéraliser les ondes un jour. Mais ce n’est pas demain qu’ils vont céder.

La police vient de saisir le journal Le petit Matin. Est-ce que cette pratique est courante ici ?

Oui et non. Le Petit Matin a été saisi de manière illégale. La police a ramassé les exemplaires du journal parce que leur chef, le ministre de la Sécurité, Moussa Sampil, est incriminé dans un article.

Il faut que je précise que les trois ministères qui doivent décider de concert de la saisie d’un journal sont ceux de l’Administration du territoire, de l’Information et de la Justice.

Le ministre de la Sécurité a été mis en cause par une question à laquelle le journaliste même n’a pas répondu. Il s’est fâché, il a envoyé ses policiers et les renseignements généraux pour ramasser tous les exemplaires qu’ils ont pu trouver.

La presse est actuellement sur ces grands chevaux pour aller voir le ministre de la Sécurité et lui dire ce qu’il sait. Il est magistrat et il sait qu’il ne peut pas, selon la loi guinéenne, saisir un journal.

Par conséquent, nous considérons que le journal n’a pas été saisi. Nous considérons que le ministre avait besoin ce jour-là d’un grand nombre d’exemplaires du journal c’est pourquoi il a envoyé ses éléments les ramasser.

Nous allons mettre la pression sur lui afin qu’il paie les journaux qu’il a ramassés. C’est comme une dette qu’il a contractée auprès du journal. Maintenant il doit la payer. Il sait très bien qu’il ne peut pas saisir un journal.

Il n’est même pas concerné par la procédure de saisie d’un journal. Nous nous levons pour réclamer notre argent. Je suppose que le ministre Sampil avait besoin de beaucoup d’exemplaires ce jour-là. C’est tout. Il n’y a pas de problème. Il va les payer.

Avez-vous bon espoir que le ministre va honorer la facture des journaux saisis ?

Je ne sais pas. Avec la douzaine de journaux qui paraissent régulièrement en Guinée, nous avons décidé de réclamer dans toutes nos éditions cet argent au ministre de la Sécurité. On verra ce que ça va donner.

Quel est selon vous l’avenir de la presse guinéenne ?

L’avenir de la presse est lié à celui de la démocratie en Guinée. Il faut que les Guinéens se lèvent pour imposer la démocratie et la presse.

Il ne faut surtout pas penser que c’est la presse qui va installer la démocratie dans ce pays. La presse va en fonction de l’avancée démocratique du pays. Or notre pays n’avance pas beaucoup.

Mais la presse écrite, elle, est là. Je bombe le torse en disant cela car elle a su résister beaucoup plus que les partis politiques. On nous a emprisonné, on nous a effrayé, on nous a tout fait, mais nous sommes restés critiques.

Propos recueillis à Conakry par San Evariste Barro


Bah Oury Yengué, directeur de publication du Le Petit Matin :
« Le même ministre a eu à saisir mon autre journal »

Nous avons appris avec stupéfaction que votre journal a été saisi. Est-ce que vous pouvez nous en dire un mot ?

C’est à ma grande surprise que j’ai appris à 13 heures que toute la parution a été saisie par le ministre de la Sécurité, Moussa Sampil. La raison est qu’il y avait un article intitulé : "Sampil va-t-il brûler la Guinée ?"

Est-ce simplement à cause de ça ?

Tout à fait.

Comment ont-ils procédé, concrètement, à la saisie du journal ?

Ils sont allés voir dans les rues tous les petits revendeurs. Ils ont bastonné certains et ils ont retiré tous les numéros de mon journal.

Vous avez été convoqué à la police ?

J’ai été recherché par la police, qui avait, semble-t-il, une convocation pour moi. Mais je ne l’ai pas reçue. Pour ma part, j’ai porté plainte au niveau de l’Association guinéenne des éditeurs de presse indépendante (AGPI).

Actuellement où en êtes-vous avec cette affaire ?

L’AGPI a fait sa déclaration pour dénoncer cette situation. Moi-même je viens de déposer une facture que le ministre doit payer.

Une facture de quoi ?

C’est la facture des journaux saisis. Il faut que le ministre de la Sécurité me paie mes journaux. (Ndlr : il nous a donné un exemplaire de la facture, qui s’élève à 950 000 francs guinéens.

Il faut savoir qu’en Guinée un journal coûte 1 000 francs. C’est dire que le nombre d’exemplaires du journal saisis par la police est estimé à 950).

A-t-on l’habitude de saisir vos journaux ?

C’est la seconde fois. Le même ministre a eu à saisir mon autre journal, L’œil.

Vos ennuis sont-ils dus à vos positions « oppositionnistes » ?

Plus ou moins. Comme j’ai un autre journal satirique plus ou moins virulent, c’est la même pensée qui se répercute dans Le Petit Matin.

Inutile de vous demander de faire un petit commentaire sur la liberté de presse en Guinée ?

Ce n’est pas la peine. Vous l’avez compris vous-même.

Propos recueillis à Conakry par San Evariste Barro
L’Observateur


Nous proposons à votre appréciation cet article qui a valu la saisie du journal Le Petit Matin. Jugez-en vous-mêmes. C’est une reproduction in extenso de l’article incriminé.

Marche du Frad

Sampil va-t-il brûler la Guinée ?

Contrairement au « Kamikaze » Kiridi Bangoura, ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation, Moussa Sampil, ministre de la Sécurité, reste en déphasage avec la démocratie du 3e millénaire. Ne risque-t-il pas de faire brûler son pays ?

Au moment où son homologue de l’Intérieur donnait feu vert au Frad pour une marche magnifique le samedi 18 septembre dernier, le ministre Moussa Sampil de la Sécurité trouve anormal cet acte de l’opposition. Qui, pourtant, va en droite ligne avec la loi fondamentale de la Guinée. C’est-à-dire le droit de manifester.

C’est ainsi que notre ministre de la Sécu a décidé de limiter les actions du Frad par du gaz lacrymogène balancé au milieu des militants. Certains, ayant pris peur, ont pris la tangente pour éviter d’éventuelles balles perdues, comme c’est l’habitude dans de pareilles circonstances.

Pourtant, Moussa Sampil avait bien démarré son mandat. Avec sa première interview au journal La Lance. Où il accordait un large crédit à la démocratie. Vraiment digne de sa formation professionnelle.

Avec le temps, notre ministre cherche à cavaler seul. En inquiétant sérieusement des leaders politiques : Jean Marie Doré et Sidya. Il atteint son apogée en mettant en garde à vue la tête pensante de l’Union des forces républicaine (UFR) pour atteinte à la sécurité de l’Etat.

Et depuis sa mésaventure sur ce « fameux complot » de l’UFR, il fait tout pour déplaire aux uns et aux autres. N’est-ce pas faire le jeu du pouvoir au lieu de conduire sa formation à bon port pour un lendemain sans fausse note ? Et éviter ainsi un jugement ultérieur lorsque les choses redeviendront normales ? C’est-à-dire sans démagogie.

En tout cas son homologue de l’Intérieur commence à comprendre que rien ne vaut une démocratie saine. Où le dialogue est indispensable quand on a comme devise « la paix » et qu’on la désire réellement. En diluant son vin avec beaucoup de soda, Kiridi Bangoura veut à coup sûr gagner son pari.

Quant à Moussa Sampil, personne ne sait ce qu’il désire présentement, sauf peut-être brûler tout sur son passage. Tout en oubliant qu’il est jeune et que l’avenir du pays appartient aux jeunes intellectuels de son genre. Pourquoi avoir refusé cette marche pacifique dans un Etat de droit ? Dommage !

Bah Oury yengué

In Le Petit Matin N° 04 su 23 septembre 2004

L’Observateur Paalga

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