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Les UACO 2011 et la révolution médiatique : Faut-il abandonner le pilotage de l’information aux passagers du net ? (1/2)

Publié le mardi 29 novembre 2011 à 00h35min

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« Les mutations technologiques ont révolutionné le secteur des médias, tant du point de vue de l’offre que de l’accès à l’information, mais aussi en terme de collecte, de traitement et de diffusion ». C’est, en peu de mots, la réflexion sur laquelle se bâtit la 8ème édition des Universités africaines de la communication de Ouagadougou (UACO) dont le thème sera : « Les nouveaux enjeux médiatiques en Afrique face aux mutations internationales : mondialisation, transition numérique, presse en ligne, éthique et déontologie ».

Les UACO, manifestation annuelle (il est envisagé d’en changer le rythme pour une session tous les deux ans seulement), sont un moment fort dans la vie médiatique du Burkina Faso, de l’Afrique et de l’espace francophone. C’est, pour ceux qui y participent, l’occasion d’une rencontre privilégiée entre les acteurs médiatiques et le public burkinabè. Même si, souvent, l’approche des problématiques abordées (mais ce sont des « universités », ceci explique cela !) est trop intellectuelle.

L’activité médiatique est, de plus en plus, une activité « marchande » : ses acteurs en sont désormais les opérateurs économiques bien plus que les journalistes, les reporters, les éditorialistes, etc. Opérateurs qui pensent trouver dans le net l’opportunité de faire des journaux sans journalistes, sans reporters, sans éditorialistes... Un média « papier », dès lors qu’il ne rencontre plus ses lecteurs (et, du même coup, ses annonceurs) évoque aussitôt le licenciement de ses équipes et le passage sur le net (exemples de cette mutation d’ores et déjà annoncée : La Tribune, France Soir…).

Cette mutation change notre perception de l’information. Elle est totalement contenue dans la phrase citée ci-dessus : « Les mutations technologiques ont révolutionné le secteur des médias tant du point de vue de l’offre que de l’accès à l’information, mais aussi en terme de collecte, de traitement et de diffusion ». « Offre », « accès », « collecte », « traitement », « diffusion ». Nous percevons désormais l’information essentiellement comme un stock dans lequel on peut piocher et non plus comme le résultat d’une « recherche ». C’est la nouvelle démarche des « acteurs médiatiques » (je ne parle même pas des opérateurs qui n’y voient que profit accru), certes, mais aussi des « sujets médiatiques » : combien de fois, désormais, le contact avec le responsable presse-communication d’une entreprise ne se limite-t-il pas au renvoi au « site » de la société (« Vous y trouverez tout ce que vous cherchez ! ») quand, autrefois, un directeur prenait la peine de vous recevoir pour discuter avec vous ? Regardez combien les interviews de décideurs politiques et d’opérateurs économiques sont devenus rares et difficiles à obtenir dès lors qu’il ne s’agit pas d’une mise en scène médiatique n’ayant rien à voir avec le journalisme.

Ainsi, le monde contemporain, hypermédiatisé et surinformé, n’aurait plus besoin de professionnels formés pour la recherche et le traitement de l’information. Chacun d’entre nous étant, potentiellement, un « informateur », il suffirait de surfer sur le net pour aller chercher… non pas ce que l’on veut (ou doit) vous apprendre (parfois même en forçant votre attention) mais ce que vous avez envie d’apprendre ou de savoir. Corollaire de cette mutation : les commentaires sont désormais le privilège de quelque commentateurs, incontournables, puisqu’il est désormais acquis que tout le monde a désormais, grâce au net, un avis sur tout*.

« PNC aux portes, vérifier le côté opposé ». J’ai pris l’avion, en quarante ans, sans doute plus de 500 fois : est-ce pour autant que je peux prétendre à les piloter ? De la même façon que Le Monde affirmait, indûment, au lendemain du « 11 septembre 2001 » : « Nous sommes tous des Américains », on tend à prétendre aujourd’hui que nous sommes tous des journalistes. Nous ne sommes pas plus, tous, des journalistes que des Américains ! Et si le net permet d’accéder, immédiatement, à la connaissance d’événements et se révèle être une formidable banque de données, ce n’est pas pour autant, stricto sensu et en toutes choses, un média d’information. On va y trouver, assurément, ce que l’on cherche. Mais est-ce une information ?

Informer, n’est-ce pas porter à la connaissance du lecteur (de l’auditeur ou de spectateur) un événement, une déclaration, une analyse que, non seulement, il ignore mais, qui plus est, doit le concerner ou l’intéresser. On parlait, autrefois, de « nouvelles » (et l’expression garde son sens en anglais : newsletters, newsmagazines, etc.). Informer, n’est-ce pas aussi hiérarchiser ces « nouvelles » en fonction d’un objectif « éditorial », « politique » ou « commercial » ? C’est aussi, et surtout, crédibiliser ces « nouvelles » en les vérifiant, les recoupant, les complétant, les repositionnant dans leur contexte, les mettant en perspective, les signant (ce qui est une prise de responsabilité que bien peu assurent sur le net où l’on aime à se cacher sous un blaze), etc.

Les mutations technologiques ont révolutionné le paysage médiatique. D’abord dans le mode de production des médias (presse écrite et audiovisuel), puis dans le mode de production de « l’information ». Le net permet une accessibilité immédiate non pas à l’information mais à l’événementiel ; et une accessibilité tout aussi immédiate à une masse d’événements. Hormis les sites conçus comme des médias traditionnels (recherche, vérification, hiérarchisation, traitement de l’information) - tels ceux dérivés des journaux et magazines ou encore les sites conçus comme des journaux du net à l’instar de « lefaso.net » - le réseau propose - pour faire simple - un événementiel brut, répétitif (pillé, copié et recopié), facile d’accès dont le critère d’efficacité est de faire un « buzz ». Et pour « buzzer », rien de mieux que de donner aux surfeurs ce qu’ils aiment lire, voir, entendre : la rumeur ou la clameur. Et, en ces matières, la surenchère devient permanente. Par ailleurs, la globalisation du monde contemporain (qui est à la « culture » ce que la mondialisation est à l’économie) privilégie les phénomènes de masse liés à la performance (Top 10, meilleures ventes, meilleures audiences, best-sellers, buzz, etc.) : de la même façon que nous voulons tous acheter les mêmes choses, nous voulons tous savoir la même chose quand, autrefois, on s’enthousiasmait à l’idée de découvrir et d’appartenir à des « avant-garde ».

Les mutations technologiques en matière « d’information » correspondent aux évolutions politiques et sociales du monde contemporain. Et ce n’est pas le net - qui est un formidable outil de travail, y compris pour les journalistes - qu’il faut critiquer mais la pratique que l’on peut en avoir (y compris d’ailleurs les journalistes qui s’adonnent parfois au « copier-coller »). Dans ce monde global, où l’on constate la montée en puissance des populismes, le net répond au besoin de formatage des mentalités qui est devenu la règle depuis que l’on a annoncé, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, la « fin des idéologies ». Ce formatage s’inscrit dans une spectacularisation de l’information dans laquelle le journaliste n’est plus un acteur médiatique mais le metteur en scène du spectacle auquel est invité à se prêter le sujet médiatique, qu’il soit un décideur politique, un opérateur économique, un acteur, un chanteur… ou même un événement planétaire (le « 11 septembre », les « guerres du Golfe », les « tsunamis », les « révolutions arabes », etc.). Le summum en la matière est atteint par « Le grand journal » de Canal +, émission de « distraction » mais, désormais, passage obligé pour les personnalités du monde politique, économique, social, culturel, religieux…

* C’est tout l’univers de la connaissance qui est ainsi bouleversé et pas seulement celui de l’information. Le philosophe Michel Serres, qui tient une chronique hebdomadaire sur France Info, expliquait récemment la nécessité qu’il y avait à raconter à ses étudiants autre chose que ce qu’ils pouvaient trouver sur le net s’il voulait fixer leur attention.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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