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Boureima Badini, l’homme de la « facilitation » burkinabè dans la « crise ivoiro-ivoirienne » (2/3)

Publié le lundi 28 novembre 2011 à 16h46min

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Qui pouvait penser, au lendemain des événements du 18-19 septembre 2002, qu’il faudrait plus de huit longues années pour dénouer la « crise ivoiro-ivoirienne » ? Dès mars 2003, au lendemain des négociations de Linas-Marcoussis, un « rapport sur les violations des droits humains à l’encontre des Burkinabè en Côte d’Ivoire », établi par les services de Monique Ilboudo, alors ministre de la Promotion des droits humains, stipulait d’emblée que « les populations burkinabè résidant dans ce pays ont particulièrement été la cible des exactions ».

Il ajoutait : « Les ressortissants burkinabè font l’objet d’attaques spécifiques. Celles-ci se sont singularisées et intensifiées après que les autorités de Côte d’Ivoire eurent essayé d’internationaliser le conflit en accusant le Burkina Faso d’être à l’origine de ce conflit, aux fins de faire fonctionner les accords militaires liant la France à la Côte d’Ivoire ». « L’opération Bayiri » va être déclenchée afin de permettre aux populations d’origine burkinabè « spoliées de toutes leurs possessions, dénuées de biens », de se mettre à l’abri de la folie furieuse des Ivoiriens instrumentalisés par le clan Gbagbo. Djibrill Bassolé, alors ministre de la Sécurité, qui s’est retrouvé en première ligne dans cette affaire et deviendra un homme clé (qui plus est incontournable) dans la stratégie géopolitique de Ouaga vis-à-vis d’Abidjan, dira, pas loin d’une décennie plus tard : « Nous avons le privilège de n’avoir pas connu ce spectacle navrant et désolant de camps de réfugiés. Ce qui veut dire que les Burkinabè vivant en Côte d’Ivoire sont restés attachés à leurs villages et à leurs terroirs ».

Pendant tout ce temps, Boureima Badini était ministre de la Justice, garde des sceaux, battant ainsi un record de longévité à ce poste. Le travail politique et diplomatique de Ouaga va payer. Après avoir initié le dialogue inter-ivoirien sous la férule de Bassolé, Blaise Compaoré va être érigé en « facilitateur » à la suite de l’Accord politique inter-ivoirien de Ouagadougou (4 mars 2007). Le 12 juin 2007 se tient, à Yamoussoukro, la première session du Cadre permanent de concertation (CPC) qui réunit tous les acteurs de la « crise ivoiro-ivoirienne ». Le 4 septembre 2007, Badini est nommé représentant spécial du « facilitateur » avec résidence à Abidjan. « Plutôt qu’un diplomate, le chef de l’Etat a préféré désigner un juriste professionnel qui possède une grande capacité d’écoute et l’expérience de la résolution des conflits », confiera Filippe Savadogo, alors ministre de la Communication, de la Culture et porte-parole du gouvernement - et par ailleurs « ami de trente ans » de Badini - à Jean-Baptiste Marot (Jeune Afrique du 23 septembre 2007).

Le chronogramme initialement établi (c’est la règle dans les médiations menées par Blaise : un chronogramme doit être le cadre dans lequel se déroule le processus) souhaitait un aboutissement en l’espace de dix mois. Il en faudra pas loin de… quarante-six pour aboutir au premier tour de la présidentielle qui verra ADO et Gbagbo qualifiés pour le second tour. Pendant environ 1.200 jours, Badini aura été ainsi au contact avec tous les acteurs politiques ivoiriens ; tandis que, mois après mois, l’horizon électoral va s’éloigner et que Badini va devoir structurer le RSF (représentant spécial du facilitateur), qui va devenir la mémoire de la « facilitation ».

« Le bureau du Représentant spécial du Facilitateur à Abidjan est devenu le point de convergence de responsables des partis politiques, des organisations de la société civile et de tous les partenaires impliqués dans la recherche de la paix en Côte d’Ivoire », affirmera le service de presse-communication du RSF (animé par Jean-Baptiste Ilboudo). 130 partis politiques, 11.800 chefs de villages, 145 chefs de cantons, tribus et provinces, 10 rois et assimilés…, au-delà de l’Onuci, de Licorne, des signataires de l’accord de Marcoussis, des Gbagbo, Soro, ADO, Bédié, des ambassadeurs, des ONG, etc, Badini va devenir le « confesseur » de tous ceux qui veulent la paix ou qui… veulent profiter de la crise pour relancer ou booster leur carrière. « La structuration de l’Accord politique de Ouagadougou amenait les uns et les autres à pouvoir, effectivement, accepter les résultats des élections. Malheureusement, il en a été autrement. C’est dommage. Parce que nous avons eu l’occasion de connaître tout un chacun et nous pensions que nous aurions pu avoir un sortie pacifique, plus apaisée ; ça n’a pas été le cas. Il faut donc voir comment recoller les morceaux ». A l’issue de la « crise post-électorale », c’est le constat alors dressé par Badini (déclaration du 24 mai 2011 à l’issue d’une audience accordée à Doris Ross, chef de la mission du FMI en Côte d’Ivoire).

Dimanche 7 août 2011. Abidjan. A l’occasion de la fête nationale, le président Alassane D. Ouattara, élève Badini au rang de commandeur de l’ordre national, « marque de reconnaissance de la nation ivoirienne à l’endroit du Burkina Faso et à son président […] pour le rôle de facilitateur du dialogue direct inter-ivoirien qu’il a joué et continue de jouer en vue de conduire le processus de paix à son terme ». On pouvait penser que la « facilitation » n’avait plus de sens et que Badini allait plier bagages à Abidjan pour regagner Ouaga. Prématuré ? Badini était, tout naturellement, à Ouaga à l’occasion du deuxième conseil des ministres conjoint, le vendredi 18 novembre 2011. L’occasion de faire le point sur la « facilitation » et ses perspectives. J’ai connu Badini comme DG de la CNSS puis ministre de la Justice, enfin RSF. DG et ministre sont, dans une vie, des jobs remarquables ; mais rien d’exceptionnel. RSF, c’est une expérience unique qui ne se renouvellera jamais pour quiconque, y compris Badini. Plus encore dans le contexte dans lequel il a vécu cette expérience ; engagé dans cette affaire pour quelques mois, il lui a fallu « s’expatrier » sur les rives de la lagune Ebrié pendant plus de trois ans (peut-être même bientôt quatre !), dans des conditions politiques, diplomatiques, sécuritaires délicates.

Vendredi 18 novembre 2011. Ouaga 2000. Badini regarde à la télé la retransmission de la cérémonie clôturant le conseil des ministres conjoint. Dans la cour de sa concession, deux oies cacardent et criaillent, saturant parfois le son de mon enregistreur. « Elles m’ont été offertes par Guillaume Soro », me précise Badini. Je lui pose la question de savoir si cette expérience exceptionnelle qu’il vient de vivre avait changé sa vision de l’homme politique en situation de crise. « J’ai une autre perception des choses désormais. Je suis plus ouvert à la discussion, à l’avis des uns et des autres. J’accepte les points de vue contraires aux miens. Ce que je pensais, autrefois, être n’importe quoi, j’ai compris que cela pouvait, aussi, venir de la certitude la plus profonde de mon interlocuteur d’être dans le vrai. Il faut en tenir compte. Et, pour cela, faire des propositions consensuelles. C’est difficile ; il faut du temps et de la persuasion si on veut arriver à des résultats qui préservent la paix ».

Badini a, au début de sa mission, tenu son journal. Puis, ce ne furent plus que des notes. Trop de confidences. Des secrets ? « Il faut penser à l’intérêt des Etats. On ne sait pas de quoi demain est fait », me précise-t-il. Badini n’est pas diplomate de carrière ; mais magistrat ! Il évoque cependant une « diplomatie des petits pas », des « doutes » certes, « à tous les niveaux, y compris au nôtre », obligeant à faire l’effort de « convaincre les uns et les autres petit à petit » dans la perspective « d’aller à des élections claires et transparentes » ce qui était l’objectif de cette « facilitation ». Mission accomplie. « Ce qui s’est passé après l’élection présidentielle ivoirienne est une autre chose… » m’assure-t-il.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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