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Alain Zoubga sur l’intérêt du CCRP : « Le changement ne viendra pas des tracts »

Publié le mercredi 19 octobre 2011 à 00h43min

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Fondateur de l’Autre Burkina/Parti pour le socialisme et la refondation, le Dr Alain Dominique Zoubga fait partie des voies qui ont réclamé des réformes pour un Burkina nouveau. A travers l’entretien qui suit, il revient sur le processus des réformes en cours actuellement.

Sidwaya : Vous faites partie de ceux qui ont publiquement demandé les réformes. Est-ce que le processus actuellement en cours correspond à votre schéma initial ?

A. D. Z. : Personne ne peut dire qu’il est satisfait à 100%. Le CCRP est un test difficile, compliqué, rejeté au départ par la plupart des acteurs. Mais nous nous sommes dit qu’on n’a pas le droit de refuser les réformes après avoir revendiqué ces réformes durant des années. Nous avons échangé autour du minimum qu’il faut pour que la refondation passe. Ce sont quatre conditions, sinon cinq, que nous avons demandées. Sur les quatre, il y a une seule condition qui n’a pas été acceptée à savoir le refus de la présidence aux mains du ministre d’Etat.

Sidwaya : Qu’elles étaient les autres conditions ?

A. D. Z. : Nous avions exigé qu’il y ait un règlement intérieur, que les décisions se prennent par consensus, c’est-à-dire que tout le monde soit à l’aise pour dire « Je suis d’accord ou je ne pas d’accord ». Nous avons aussi demandé qu’il y a ait au final des assises. C’est ce qui se profile à l’horizon. Nous avons introduit la notion des rencontres dans les régions. Il n’y a pas de raison que nous puissions dire « non, on ne vas pas ».

Sidwaya : Etes-vous satisfait de votre participation ou avez-vous quelques regrets ?

A. D. Z. : Nous ne regrettons pas. Nous nous sommes rendu compte que le ministre chargé des réformes a fait un bon travail. Il a fait une bonne présidence. Nous sommes à ces réformes et je crois que on est parvenu à un résultat qui a surpris tout le monde. Il va falloir qu’on amplifie ce mouvement. Il faut qu’il y ait de bons résultats. Satisfaction, oui mais on peut améliorer.

Sidwaya : Quel est le principal résultat de sa participation à l’heure actuelle ?

A. D. Z. : Quand je prends la bataille des batailles comme on dit, l’article 37. Aujourd’hui, nous avons des raisons de dire que nous sommes satisfaits. C’est vrai que nous aurions aimé qu’on dise clairement que l’article 37 est verrouillé, sacralisé et qu’on ne peut plus y toucher. Mais à défaut, nous avons pu faire en sorte qu’il ne soit pas possible à ceux qui souhaitent le déverrouiller, d’aller dans leur logique. C’est déjà une victoire.

Il y a à peu près un an sur la télévision publique, un leader de l’opposition disait que si un consensus permet de laisser l’article 37 en l’état, c’est une victoire. Nous n’avons pas compris, quelques temps après qu’il considère la non-modification de cet article comme quelque chose de banal et qu’on a abouti à rien au CCRP. Si, on a abouti à quelque chose.

Si nous n’étions pas là, peut-être que ça (la modification de l’article 37) pouvait arriver. Le manque de confiance et la suspicion empêchent l’opposition de dire, voilà ce que le pouvoir propose, mais voilà ce qu’on doit faire. Nous étions aussi méfiants, mais on n’a été surpris par le comportement des gens d’en face. Ils sont conscients aujourd’hui que s’ils touchent à l’article 37, ça peut amener des conséquences négatives pour nous tous.

Sidwaya : Une partie de l’opposition demande le boycott des assises du CCRP. Comprenez-vous cette position ?

A. D. Z. : Il y a un principe que nous avons. Nous respectons que des partis politiques disent qu’ils ne vont pas aux assises. Même si nous critiquons leurs positions, nous respectons ces positions. Il serait indiqué que’eux aussi respectent notre position. Mais si on analyse la situation, nous ne croyons pas du tout que nous nous sommes trompés, bien au contraire.

Sidwaya : Elle estime que les conditions ne sont guères réunies pour prendre part au CCRP.

A. D. Z. : En ce qui concerne les conditions des uns et des autres, vous ne pouvez pas aller à une rencontre quel que soit le forum qui réunit un certain nombre d’acteurs et croire être satisfaits à 100%. Je prends un exemple. Les gens du CDP sont venus pour dire qu’on peut remettre l’article 37 en cause. Ils n’ont pas réussi. Nous avons demandé qu’il y ait un changement pour que la région devienne un cadre pour organiser les élections. Ce n’est pas passé.

S. : L’opposition ne cache pas sa méfiance vis-à-vis de ce processus. Est-ce compréhensible ?

A. D. Z. : L’opposition est trop méfiante. La méfiance c’est normal, la vigilance c’est normal. Mais trop de méfiance peut causer des problèmes. Vous ne pouvez pas vouloir construire ce pays si tout le temps c’est la méfiance et la suspicion.

Nous aussi, nous avons de la méfiance. En y allant (aux assises sur les Réformes) nous nous demandions ce qui allait se passer. Nous avons fait l’expérience qu’il est possible de discuter, de trouver un milieu. Parce que les contextes national et international font que ceux d’en face ne peuvent pas se permettre d’aller dans une direction suicidaire. Aller dans le sens de remettre en cause l’article 37, c’est une démarche suicidaire.

S. : : En tant qu’acteur de la scène politique, comment en est-on arrivé à cette méfiance systématique ?

A. D. Z. : Ça s’explique, mais ce n’est pas juste. Dans ce pays, et pendant longtemps il y a eu des rendez-vous manqués. Il y a eu un manque de confiance entre les différents acteurs. Et plus grave, le déficit de confiance ne se situe pas seulement entre le pouvoir et l’opposition. Mais il y a un déficit de confiance au sein même des acteurs de l’opposition, pour des raisons historiques. Il y a aussi un déficit de confiance entre toute la classe politique et l’opinion nationale. Enfin, il y a un déficit de confiance entre le citoyen lambda et les hommes politiques.

L’homme de la rue aujourd’hui vous dit que la politique, on en a pas besoin parce depuis des années, les hommes politiques ont dit ceci et cela, mais ils n’ont rien fait de bon. Voilà un aspect qui explique cette position rigide qu’on a aujourd’hui. Aussi, de par le passé, l’Etat a mis des commissions pour travailler. Et le fait d’avoir mis en place la commission devient la solution en soi. Ce n’est pas juste. La commission n’est que l’instrument pour amener la solution.

S. : Vous demandez au peuple de participer aux assises du CCRP et vous espérez que vos camarades changent d’avis, y a-t-il des enjeux qui valent la peine ?

A. D. Z. : Il faut que le peuple sache, il faut absolument aller aux changements. Et pour aller aux changements, il faut commencer par se retrouver, discuter autour de propositions qui sont faites dans les régions et ensuite au niveau national. On ne peut pas s’asseoir dans sons salon et vouloir qu’il y ait des réformes, encore moins des changements.

Le changement ne viendra pas parce que nous avons fait des tracts. Il ne viendra pas parce que nous avons fait de simples déclarations. Il viendra parce que nous avons pu parler à l’adversaire en face qui nous considérait, somme toute, des irréductibles. Eux aussi ils doivent comprendre que le changement qui viendra doit être profitable à tous.

Nous voulons faire comprendre à tous les partis politiques que ceux-là qui pendant des années ont exigé qu’il y ait des réformes, ont décidé de participer jusqu’au bout afin que le processus aboutisse. Nous avons aussi demandé que le chef de file soit beaucoup plus vigilant dans ses communiqués et ses déclarations.

S. : L’opposition a-t-elle encore des objectifs communs à défendre ensemble ?

A. D. Z. : L’opposition doit avoir comme objectif principal, travailler à affaiblir le système en place. Pour affaiblir le système en place, c’est à partir de réformes fortes, pas simplement en allant aux élections. Dans les conditions actuelles, si nous allons aux élections, nous allons avoir peut-être un doublement du nombre des sièges à l’Assemblée. S’il y a dix députés, on se retrouvera avec 20 à 25 députés.

Fondamentalement, ça change quoi dans la vie de notre peuple. Mais s’il est possible qu’à partir des réformes, la majorité se retrouve avec 52 % (des sièges), et l’opposition 47%, ça veut dire qu’il aura peur que quelques-uns de ses éléments puissent basculer. Il va mieux gérer et faire attention pour éviter les erreurs. Mais s’il a 85%, même s’il y a 5% qui basculent, ils seront toujours là.

`S. : Les citoyens dans leur majorité ont des aspirations communes. Alors que les partis politiques, censés porter ces aspirations, ne s’entendent pratiquement sur rien. Etes-vous encore des défenseurs du peuple ?

A. D. Z. : D’un point de vue des lignes politiques, les différentes formations de l’opposition sont sur la juste voie, c’est-à-dire que ses lignes défendent les intérêts du peuple. Mais ça ne suffit pas. Si vous ne pouvez pas mettre en pratique ce que vous avez écrit dans votre programme, en concordance avec les réalités du terrain, c’est qu’il y a problème.

S. : Je veux parler des dissensions béantes et visiblement irrémédiables autour de ces réformes.

A. D. Z. : J’en viens. Je suis convaincu d’une chose : il y a des partis d’opposition qui se trompent lourdement. Je leur demande de revoir leur copie. C’est vrai, ce sont des partis autonomes, ils ont le droit d’avoir leur position. Mais il faut évoluer dans le sens de faire en sorte que nous puissions mettre ensemble nos énergies, afin que la situation soit beaucoup plus acceptable pour notre population.

S. : Quel est le sens de votre engagement en faveur du processus des réformes ?

A. D. Z. : Un seul mot, la réconciliation, l’attente. S’il n’y a pas de réconciliation, je pense que les problèmes seront toujours là. Dans tous les pays du monde, lorsqu’une situation s’est résolue, c’est parce qu’il y a dépassement de soi pour aller vers la réconciliation.

A l’intérieur de l’opposition, nous avons connu des tendances politiques, idéologiques qui se sont affrontées pendant des années. Il faut que cela s’arrête. Ceux qui sont au pouvoir, chez eux aussi, il y a des tendances. Il y a des inimitiés féroces. Mais leur chance c’est qu’ils ont un chef. Si nous dépassons tout ça, on va aller loin.

Quand je regarde derrière moi, ceux qui sont à la direction du CDP pour la plupart, nous étions ensemble.

On a milité avec certains à l’Union des luttes communistes (ULC) , d’autres au PPS (Parti pour le progrès social), on était avec d’autres au Front populaire. A des moments, j’ai été leur premier responsable, on se connaît parfaitement. Mieux, après les événements, ceux qui sont à la tête du CDP étaient face à nous après le 15 octobre.

Mais nous avons travaillé à les protéger, d’une manière ou d’une autre et deux ans et demi après, ils ont réintégré le bercail. Ils sont arrivés à un moment où il y avait un débat sur l’ouverture démocratique. Ils se sont installés aujourd’hui, mais ils n’ont pas toujours été du côté de Blaise Compaoré. C’est dire qu’il est possible de transcender les divergences et il ne faut pas que ces divergences soient éternelles. Il faut que les gens fassent un dépassement de soi pour qu’on puisse évoluer vers un véritable changement.

S. : Dans un communiqué récent, vous vous insurgez contre le chef de file de l’opposition. Pour quelle raison ?

A. D. Z. : Il ne peut pas signer un communiqué au nom de l’ensemble des partis, alors que certains de ses partis sont au CCRP et iront aux assises régionales et aux assises nationales, ça crée une confusion. Pour une décision aussi importante, participer ou pas au CCRP, il aurait pu proposer un communiqué et demander à chacun de contresigner. Nous étions au G-14, c’était ainsi. Soit c’est exprès et ce n’est pas bien. Soit ce n’est pas exprès et ce n’est toujours pas bien.

S. : A voir les oppositions au sein des opposants, on a l’impression que le CDP n’est plus un véritable obstacle pour eux ?

A. D. Z. : Il ne faut pas se faire des illusions. Le CDP reste le CDP, mais nous avons notre ligne. C’est vrai qu’on travaille ensemble, on peut rire ensemble. Mais les gens du CDP ne nous aiment pas du tout. Mais ils sont conscients qu’il faut aller dans le sens des réformes, qu’il faut changer quelque chose.

S. : Craignez-vous un blocage ; est-ce possible qu’il y ait blocage, du fait des mésententes ?

A. D. Z. : Je ne pense pas. Et s’il y a blocage, il y a quelqu’un qui est au-dessus de tout qui doit pouvoir débloquer la situation, c’est son devoir. Même si ça doit lui faire mal, il a le devoir de le faire, c’est le président du Faso.

Propos recueillis par Aimé Mouor KAMBIRE

Sidwaya

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