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La mise en cause de Nicolas Bazire dans « l’affaire Karachi » fragilise la nébuleuse affairo-politique sarkozienne (2/2)

Publié le lundi 26 septembre 2011 à 14h05min

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Fasciné par la réussite de Jean-Marie Messier et de Nicolas Bazire, Nicolas Sarkozy l’était tout autant par celle de Stéphane Richard qui lui avait été présenté par Bazire, son condisciple à l’ENA (Bazire a, par ailleurs, été marié, en premières noces, avec Anne Richard sans que je sache si cela a une signification).

Egalement HEC, Richard, inspecteur des finances, a été conseiller technique du ministre de l’Industrie et du Commerce extérieur, Dominique Strauss-Kahn, en 1991 avant de rejoindre, dès 1992, la Compagnie générale des eaux dont Messier, quelques années plus tard, fera Vivendi puis Vivendi Universal. Quand Vivendi Universal va sombrer, Richard va en récupérer les « pépites » (notamment CGIS qui deviendra Nexity) et, en quelques années, fera fortune. Il empochera ses gains après avoir revendu Nexity et rejoindra Vivendi Environnement, futur Veolia, dont le patron n’est autre que Henri Proglio (aujourd’hui patron de EDF) - autre proche de Sarkozy (il était au Fouquet’s au soir de la victoire de Sarkozy à la présidentielle y accompagnant Rachida Dati) - qui a su, lui aussi, surfer sur l’effondrement de Vivendi Universal.

Au sein de Veolia, Richard va développer Veolia Transport. Dans le même temps, il utilisera sa fortune pour des opérations immobilières fructueuses (notamment à Ibiza, pour le compte de personnalités « people ») et investira dans les affaires des copains ou avec des amis (il va prendre des parts, aux côtés de Proglio, dans le restaurant Ledoyen, la cantine des élites politiques bien en cour à l’Elysée). Au printemps 2007, le président Sarkozy va convaincre Richard de « travailler avec lui ». Il le nommera à la direction du cabinet du ministre de l’Economie (Jean-Louis Borloo puis Christine Lagarde - ce qui lui vaudra de devoir s’expliquer sur « l’affaire Tapie » liée au dossier Adidas). Le Point (13 septembre 2007) fera de lui « le PDG de Bercy ». Auparavant, « le PDG de Bercy » aura dû s’acquitter d’un redressement de 660.000 euros consécutif à un contrôle fiscal. Pendant son passage à Bercy, il a confié la gestion de ses affaires (et de ses stocks-options Veolia) à la… Banque Rothschild dont son ami Bazire est membre du conseil de surveillance. Le 1er septembre 2009, Sarkozy l’a fait entrer à France Télécom pour en devenir le directeur général délégué à compter du 1er mars 2010 puis le PDG le 24 février 2011 (cf. LDD France Télécom 001 à 004/ Mardi 12 à Vendredi 15 mai 2009).

Mais revenons à Nicolas Bazire. Occupé à gérer les affaires de Bernard Arnault, une des plus grosses fortunes françaises et le propriétaire des marques de luxe les plus prestigieuses (Dior, Givenchy, Guerlain, Moët & Chandon, Krug, Dom Pérignon, Louis Vuitton, Fred, etc.), on l’avait quelque peu perdu de vue. Il sera pourtant, lui aussi, du dîner du 6 mai 2007, soir de l’élection présidentielle, au Fouquet’s, invité par Cécilia Sarkozy en compagnie de son « patron » Bernard Arnault. Arnault s’était attaché les services de Bazire alors qu’il était en bagarre avec l’autre milliardaire français, François Pinault, pour le contrôle de la maison de couture italienne Gucci. Bazire était chargé de la politique d’investissements financiers diversifiés du groupe. « Coïncidence ? s’interrogera alors Le Monde, M. Bazire est aussi l’un des proches conseillers de Martin Bouygues, le PDG du groupe Bouygues, dont M. Pinault est l’un des principaux actionnaires et dans lequel le groupe Arnault vient de prendre 4 % du capital ».

L’arrivée de Sarkozy à l’Elysée avait ramené Bazire sur la scène politique. Le 2 février 2008, il sera son témoin de mariage avec Carla Bruni (Bernard Arnault était le témoin de Sarkozy lors de son mariage avec Cécilia en 1996). Renaud Dély et Didier Hassoux, dans « Sarkozy et l’argent roi » (cf. supra) rappellent également que « quelques jours avant le premier tour des élections municipales de mars 2008, Sarkozy a pensé intégrer Bazire comme numéro 1 bis de la rue du Faubourg-Saint-Honoré. En lieu et place du fidèle et dévoué Guéant. Poussé par Minc et tenté par ce retour en cabinet, Bazire a vite renoncé. Problème d’émoluments. Comme le raconte un ponte de l’UMP, « il ne pouvait se contenter des 20.000 euros mensuels dévolus d’ordinaire au secrétaire général de l’Elysée. Il lui manquait un zéro… ».

Pour comprendre la fascination de Sarkozy pour Bazire et les autres, il faut rappeler que c’est en 1991 que Sarkozy a rejoint Balladur sans lâcher totalement Chirac. Il n’avait que 36 ans mais déjà un vrai parcours politique : maire de Neuilly-sur-Seine (1983), député des Hauts-de-Seine (1988), secrétaire général adjoint du RPR (1990). Sarkozy pensait alors qu’il irait plus vite et plus loin avec l’un qu’avec l’autre. Il ne se trompait pas. En 1993, à la suite de la victoire de la droite aux législatives, Balladur est à Matignon et Sarkozy à Bercy : ministre du Budget, porte-parole du gouvernement. La présidentielle de 1995, à quelques encablures de là, lui permet de se rêver en Premier ministre. A Bercy, il va développer ses connexions avec le monde des affaires. Face à une flopée d’inspecteurs des finances parfaitement « comme il faut », Sarkozy avait l’air du « vilain petit canard » qui ayant fait Sciences Po-Paris n’en avait pas obtenu le diplôme.

Mais il avait plus d’énergie que les autres : « Avec la tronche que j’ai, disait-il alors, on m’a toujours prêté une ambition délirante. Alors, plutôt que de la nier en vain, j’ai choisi de l’assumer ». Il n’a pas quarante ans ; il va s’immerger avec délice dans un milieu où l’action (ou la relation) politique sert « à faire du fric ». Tous les dimanches soirs, le ministre du Budget dîne avec Bazire, le directeur de cabinet du Premier ministre. Il a installé Cécilia (qui se fait appeler Cécilia Sarkozy bien que Nicolas ne soit pas encore divorcé de Marie) dans le bureau jouxtant le sien ; et Brice Hortefeux est son chef de cabinet tandis que Thierry Gaubert, avec lequel il a noué des liens depuis 1978 (Gaubert, homme de relations, s’occupait des connexions avec les entreprises à Neuilly), est un chef de cabinet adjoint qui fonctionne comme un électron libre (Gaubert vient, lui aussi, d’être mis en examen « pour recel d’abus de biens sociaux » dans « l’affaire Karachi).

Le scénario était écrit, les acteurs étaient choisis. Mais le film ne sera pas tourné. Balladur sera battu et Chirac triomphera jusqu’à ce qu’il soit obligé de gouverner, pendant cinq ans, avec les socialistes. Messier, Bazire, Gaubert… vont « faire du fric ». Sarkozy va « ramer comme un malade » avant de revenir sur le devant de la scène et de conquérir la présidence de la République douze ans plus tard ! On imagine sans mal qu’il ait voulu alors prouver sa toute puissance à ses anciens amis. Bazire sera son témoin de mariage avec Carla et s’il a refusé le secrétariat général de l’Elysée, Sarkozy lui obtiendra (il sera élu à l’unanimité le 23 janvier 2009) la présidence de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), un think tank créé par le très chiraquien Jérôme Monod. Budget : 1,2 million d’euros d’argent public + 4 à 600.000 euros de financements privés. On doit à Fondapol le principe de la « règle d’or » : l’inscription dans la Constitution de l’équilibre budgétaire.

Monod juge que la Fondation « a pris un autre cours, plus pragmatique, et à visées d’intérêts plus utilitaires, peut-être ». A l’automne 2010, le nom de Bazire pour Matignon. Aujourd’hui, on l’évoque dans « l’affaire Karachi ». Son domicile et ses locaux professionnels ont été perquisitionné par les enquêteurs de la Division nationale des investigations financières (DNIF) tandis que Bazire était placé en garde à vue avant de se voir signifier sa mise en examen. Sarkozy peut n’être pas concerné par cette affaire de financement frauduleux de la campagne Balladur en 1995. On ne peut que noter, cependant, son extrême proximité avec les acteurs de cette affaire. Le mélange des genres n’est jamais un signe de « bonne gouvernance ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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