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Le débat sur la détention de Laurent Gbagbo vise à « gâter » l’image du président Alassane D. Ouattara. Et y parvient !

Publié le vendredi 19 août 2011 à 01h54min

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La capacité de nuisance de Laurent Gbagbo est-elle sans limites ? La question qui se pose, aujourd’hui, à Alassane Ouattara, est simple : que faut-il faire de l’ex-président de la République de Côte d’Ivoire ? Passée l’euphorie de l’installation au pouvoir et du partage des tâches, le nouveau régime prend conscience qu’il est plus facile de nommer un ministre de la justice que d’avoir une justice en état de marche. Depuis sa capture, le 11 avril 2011, Gbagbo est assigné à résidence à Korhogo.

Quatre mois déjà ! Et la polémique ne cesse d’enfler sur le bien fondé et les conditions de cette détention, les ONG « humanitaires » ayant trouvé un nouvel angle d’attaque contre un président de la République - ADO en l’occurrence - dont les conditions d’accession au pouvoir et les connexions internationales (notamment le renforcement de l’axe Abidjan-Paris) ne font pas l’unanimité. « Je voudrais que l’on sache que j’ai la volonté de faire en sorte que mon pays respecte les droits de l’homme » a martelé Ouattara sur Voix de l’Amérique au lendemain de sa réception à la Maison-Blanche voici quelques semaines. Autant dire que tout le monde le prend au mot et que la situation de Gbagbo est la pierre d’angle de cette politique des « droits de l’homme ».

Dans Le Figaro de ce matin (mardi 16 août 2011) - un quotidien que l’on ne peut pas soupçonner de sympathie à l’égard de Gbagbo ou d’antipathie à l’encontre de Ouattara -, Pierre Prier, évoquait à ce sujet un « vide juridique qui préoccupe l’ONU », « une sorte de masque de fer africain », un « maintien au secret », « une impasse politique ». Difficile de ne pas évoquer les responsabilités de Gbagbo dans les « dérives » (le mot est soft) de son régime, notamment dans la période post-présidentielle ; mais Abidjan craindrait qu’un procès soit l’occasion, pour l’ex-président de la République, d’un formidable plaidoyer politique et diplomatique qui ne manquerait pas de rencontrer l’assentiment non seulement d’une partie des Ivoiriens mais aussi des « oppositions » africaines ailleurs sur le continent. Or, nombre de capitales africaines ne souhaitent pas que soit ouverte la boîte de Pandore, et que l’on remette en question la gestion des chefs d’Etat : Hissène Habré en est la meilleure démonstration ; les procès « Moubarak » et « Ben Ali » illustrent, par ailleurs, l’inanité de la tâche. Politiquement aléatoire ; pas un « patron » ne veut courir le risque de se retrouver, dans six mois ou dans dix ans, à la place de Gbagbo !

Après les joyeuses tribulations ivoiriennes post-présidentielles de nos inénarrables avocats Jacques Verges et Roland Dumas, dont les voix se sont perdues dans le brouhaha des armes (mais toujours membres du collectif des avocats mandatés par Géraldine Odéhouri, conseillère juridique de Gbagbo), c’est maître Emmanuel Altit qui est monté au créneau. Il est de ces avocats français qui font partie du collectif (avec Verges, Dumas et Lucie Bourthoumieux : d’origine camerounaise, elle « gravite » dans l’entourage des chefs d’Etat africains, notamment celui de Obiang Nguema Mbasogo). Aujourd’hui, c’est Altit (également inscrit comme avocat à la Cour pénale internationale) qui mène l’offensive. A l’occasion de l’entrée dans le cinquième mois de détention (11 août 2011) de Gbagbo, Altit avait publié un communiqué de presse qui dénonçait la façon dont est traité l’ex-président de la République : « une forme de torture ».

Altit, qui n’a pas accès à son client, évoque une « chambre close, à peine éclairée, aux fenêtres bouchées », des « repas frugaux », l’interdiction de se faire couper les cheveux, les mêmes vêtements et les mêmes draps depuis quatre mois, un gardien qui est « un chef de guerre qui fait face à de graves accusations concernant son comportement pendant les années de guerre civile » (Fofié Kouakou, dans le collimateur de l’ONU). Altit précise, l’air de rien, que « le président Gbagbo » (alors qu’il n’évoque jamais le président Ouattara mais « les nouvelles autorités ivoiriennes ») « a été fait prisonnier par les commandos français et remis aux forces rebelles [c’est moi qui souligne] ivoiriennes ». Il y a quelques heures (12 heures 16 - mardi 16 août 2011), Altit a enfoncé le clou sur Slateafrique.com, soulignant que « Laurent Gbagbo est maltraité » et que « les lois ivoiriennes comme les lois internationales sont violées dans l’indifférence générale ».

Altit, pas encore la cinquantaine, spécialiste de justice pénale internationale, s’est fait connaître en assurant la défense - quand personne ne s’intéressait au dossier - des « infirmières bulgares » otages de Kadhafi (il a consacré un livre à cette affaire : « Dans les geôles de Kadhafi », publié par les éditions Jean-Claude Gawsewitsch, Paris 2007). Membre fondateur de Avocats sans frontières, expert près des Nations unies, il a été le défenseur des prisonniers détenus à Guantanamo, des harkis, du soldat israélien capturé par les Palestiniens Guilad Shalit, assiste, au nom de Avocats du monde, les « pirates » du golfe d’Aden et de l’océan Indien jugés à Mombasa au Kenya… Et s’il a participé à la rédaction du nouveau droit pénal bosniaque, il dit « bien connaître » l’Afrique pour avoir vécu en Côte d’Ivoire et au Liberia.

Altit n’est pas le seul avocat de renom à participer à la défense de Gbagbo. Aux côtés des avocats ivoiriens (Agathe Barouin, Jean-Serge Gbougnon, Toussaint Dako Zahui) et d’une flopée d’inconnus, on trouve le togolais Joseph Kokou Koffigoh. L’ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats, ancien président de la Ligue togolaise des droits de l’homme, ancien premier ministre de la transition au lendemain de la Conférence nationale et au temps de Gnassingbé Eyadéma, signataire des accords de Ouagadougou le 11 juillet 1993 (instituant ce que l’on a appelé « le dialogue intertogolais »), était chef de la mission d’observation de l’Union africaine lors de la présidentielle ivoirienne du 28 novembre 2010 ; et, cependant, il participera le 4 décembre 2010 à la cérémonie de prestation de serment de Gbagbo ! C’est tout dire ; de la déliquescence de l’Union africaine et des mœurs politiques et diplomatiques de quelques « élites » de l’Afrique noire.

Koffigoh a sans doute oublié qu’en 1991, alors qu’il était menacé par des putschistes, après avoir demandé à la France de « l’aider à rétablir l’ordre » - ce qui était exclu des accords de défense signés entre Paris et Lomé - avait cependant obtenu que Paris montre les dents au nom de la sécurisation de l’ambassade de France, lui évitant ainsi de se faire « botter le cul » par les militaires togolais. Le 6 mai 2011, dans un entretien avec Jacques Ganyra pour AfriSCOOP, il dénonçait, à la suite de la crise post-présidentielle ivoirienne, une « ingérence [française] qui n’a pas été humanitaire ; elle a été et reste génocidaire si l’on en juge par les conséquences ». Gbagbo, dira-t-il, « était sur la bonne voie » ; il s’était « sacrifié pour résoudre les problèmes d’exclusion et d’identité » et « l’opinion publique ivoirienne était favorable à la résistance pacifique contre les puissances extérieures ». Il ira même jusqu’à affirmer que l’Union africaine a « livré Laurent Gbagbo aux forces néocolonialistes ».

On le voit, au-delà du dossier Gbagbo, c’est bien autre chose qui est en jeu. En faisant le procès de la France dans ses relations avec l’Afrique, des conditions d’accession au pouvoir de Ouattara, et en stigmatisant les conditions de détention de l’ex-président de la République, on entend exonérer l’ancien leader du FPI de ses crimes et des crimes qui ont été commis en son nom. La campagne est lancée ; elle va se poursuivre dès lors que, en visant Ouattara, certains pensent atteindre son sponsor : Nicolas Sarkozy. La post-présidentielle ivoirienne 2010 devient ainsi la pré-présidentielle française de 2012. Gbagbo peut se faire du souci ; il n’est pas un client, il est juste un instrument ! Retour de manivelle : il a, lui-même, tellement instrumentalisé.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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