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Un bus dans la Lagune Ebrié : trois raisons de compatir

Publié le lundi 8 août 2011 à 01h33min

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Le vendredi 5 août 2011, un bus de la Sotra, la compagnie ivoirienne de transport en commun, heurte le parapet du pont Félix-Houphouët-Boigny et pique du nez dans la lagune. Malgré la promptitude des secours, ils ne sauvent qu’une dizaine de personnes. Ils repêchent une quarantaine de corps flottant sans vie. Le bilan pourrait être plus lourd, car, au moment où nous tracions ces lignes, les opérations de sauvetage se poursuivaient. Le gouvernement ivoirien, sonné par cette estocade du destin, a décrété trois jours de deuil national, l’annulation de la célébration de l’Indépendance et de la finale du Championnat national de football.

Pourquoi s’intéresser à cet accident qui, pour certains, n’est qu’un macabre fait divers ? Le Burkina Faso en a d’ailleurs connu de plus terrible : à Boromo, le 15 novembre 2008, une collision de deux véhicules avait transformé les deux cars en four crématoire faisant plus de 66 morts, calcinés par les flammes ou asphyxiés par la fumée. Il faut dire aussi que la planète est coutumière des catastrophes, un séisme chassant une inondation, un crash d’avion éclipsant un attentat à la bombe, trop de tragédies se bousculent au portillon des actualités sanglantes dans une file ininterrompue.

Aussi l’opinion publique a-t-elle l’habitude du malheur ou ce qu’Albert Camus appelle « la familiarité du pire ». Par conséquent sa sensibilité s’est cuirassée comme peau de pachyderme et elle ne s’émeut que des catastrophes à plus de trois chiffres. A partir de mille morts, cela a de l’intérêt ; en deçà, notre cœur est anesthésié.

Mais ce fait divers revêt un aspect tout particulier du fait qu’il se passe en Côte d’Ivoire. C’est une raison qui fait que cet accident prend pour nous tout son sens : d’abord c’est un pays voisin ; ensuite, c’est un Etat qui vient de sortir d’une terrible épreuve et on croyait que cette nation avait apuré ses comptes de cadavres et de sang avec la fin de la guerre. Après la période des ténèbres où les intelligences se sont abaissées jusqu’à être servantes de la haine tribale et de l’épuration ethnique, on entrevoyait le soleil au bout du tunnel.

La page de larmes semblait définitivement tournée. Le pays est en pleine reconstruction et les chantiers y sont nombreux : rebâtir une armée républicaine, faire redémarrer l’économie, ramener les investisseurs, réconcilier tous les fils de la nation. Et Abidjan sortie toute couturée de la bataille pour la prise du palais de Cocody panse ses plaies : on procède au démantèlement des barrages sauvages, la voirie nettoie les rues des monceaux de cadavres, on passe à la chaux les façades des immeubles pour cacher les impacts d’obus, les activités reprennent. La capitale renaît à la paix. Ce piqué du bus Sotra dans la lagune replonge Abidjan dans les eaux froides de la désolation.

Une autre raison de compatir à cette tragédie ressortit à la Loi des grands nombres. Il y a une forte communauté burkinabè en Côte d’Ivoire, et mathématiquement, la probabilité est forte que des compatriotes se trouvent parmi les victimes. Dans ce drame, le propos de John Donne, écrivain anglais, prend tout son sens : "Aucun homme n’est une île, et si tu entends sonner le glas, ne demande pas pour qui il sonne, il sonne pour toi."

Enfin, si aucun peuple ne mérite une catastrophe, la Côte d’Ivoire, c’est encore moins en ce moment ! C’est le malheur de trop ! Parce qu’ils sont sortis des eaux tumultueuses de la guerre et de la division ethnique après avoir payé un lourd tribut, on pensait que les Abidjanais avait abordé les rivages des jours tranquilles.

Et voilà qu’un bus fait plouf dans la lagune et plonge encore la cité éburnéenne dans le deuil. Même si, pour la première fois depuis la guerre, les Ivoiriens à l’unanimité ont fait bloc autour de cette tragédie ; ce n’est ni les rebelles d’ADO ni les milices de Gbagbo qui en sont responsables mais la mauvaise fortune, et il est de bon droit de se demander pourquoi le sort accable ainsi la Côte d’Ivoire. Pourquoi, au moment où les Ivoiriens se battent pour refaire leur monde, le ciel s’acharne-t-il à le défaire ? Plaise donc au ciel que ce pays connaisse le répit ! Hic et nunc !

La rédaction

L’Observateur Paalga

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