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Yéro Boly, ancien ministre de la Défense, en charge de la revitalisation de l’axe Ouaga-Rabat.

Publié le lundi 8 août 2011 à 01h34min

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Ali Traoré et Yéro BolyS’il est une ville, en Afrique, qui soit hors normes, c’est Rabat. D’abord parce que, bien que capitale du royaume (elle fêtera son centenaire de « première cité » l’an prochain, en 1912. C’est le maréchal Lyautey qui l’avait érigée ainsi et le roi l’a ensuite adoptée comme résidence officielle), elle n’est pas la plus fascinante des villes marocaines ; rien à voir avec Marrakech, Meknès, Fès, Casablanca, Tanger et tant d’autres, grandes ou petites, qui ont toutes une formidable personnalité.

Rabat a des allures provinciales et guère d’attraits. Mais la capitale d’un royaume - et le Maroc l’est de façon absolue - ne saurait être une ville comme les autres. Il y a, aussi, que le Maroc, terre africaine et musulmane, vieille civilisation, longue histoire (souvent tumultueuse), ne ressemble à aucun autre pays du continent.

Le plus atypique des pays d’Afrique est, aussi, le plus enclin à être en proximité avec l’Europe et le plus volontaire pour l’être avec l’Afrique noire. Sans jamais rien renier de sa personnalité et de sa spécificité. Rien à voir avec les ambitions hégémoniques (et souvent avortées) de Mouammar Kadhafi ; le Maroc entend être un partenaire, pas un sponsor ! Africain mais différent ; et, dans le même temps, déférent. Il faut, pour réussir au Maroc, de la compétence et toute absence d’arrogance. Pays méditerranéen et atlantique (et il n’y a que l’Espagne qui soit dans la même configuration), pays de la mer, de la montagne et du désert, pays séculaire même s’il fut moins « civilisationnel » que l’Egypte, le Maroc a su rester ce qu’il était - une grande nation - quand, tant d’autres, ont perdu leur âme (je pense à la Nubie, à l’Ethiopie, à la Tunisie…) quand ils en avaient une.

Yéro Boly a été nommé, le mercredi 3 août 2011, en conseil des ministres, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Burkina Faso auprès du Royaume du Maroc. L’homme est, selon moi, en adéquation avec la fonction. Et il est bien qu’après les « désillusions » de ces derniers mois, celui qui aurait pu penser qu’il avait failli dans sa tâche étant ministre de la Défense quand les mutineries se sont multipliées dans le pays, puisse constater que, politiquement et humainement, la confiance en ses compétences est intacte ; et que, plus encore, il soit reconnu qu’il convenait de ne pas s’en priver.

Il aurait été démagogique, et politiquement dommageable, de faire reposer sur les seules épaules du ministre de la Défense, la responsabilité d’une crise qui a été collective. Et qui serait incompréhensible si elle demeurait circonscrite à sa seule dimension « militaire ». Bien sûr, c’est encore un ministre recasé dans la diplomatie ; mais en ce qui concerne Boly, ce n’est pas un débutant dans la fonction : il a été ambassadeur en Côte d’Ivoire (1986-1987) - période cruciale pour les relations entre Ouaga et Abidjan ; Boly avait alors 34 ans ! - et en Libye (1988-1995), deux pays dont les connexions avec le Burkina Faso ont été fondamentales (en poste à Tripoli, il était également accrédité auprès de Téhéran).

Il a été directeur de cabinet du président du Faso de 2000 à 2004. Au plan gouvernemental, il a été ministre de l’Administration territoriale et de la Sécurité dans les gouvernements de Roch Marc Christian Kaboré (11 juin 1995) et de Kadré Désiré Ouédraogo (9 février 1996-7 novembre 2000). Le 17 janvier 2004, à l’occasion d’un léger remaniement ministériel, Boly reviendra au gouvernement : il remplacera le général Kouamé Lougué au portefeuille de la Défense.

Le colonel (puis général) Kouamé Lougué, ancien chef d’état-major général, avait été nommé à ce portefeuille dans le gouvernement de Yonli le 11 novembre 2000. Alors qu’il était à l’état-major, les militaires étaient sortis des casernes, sans armes, le 15 juillet 1999, pour exprimer des revendications concernant la solde. Lougué était parvenu à calmer les esprits tandis que les officiers refusaient de soutenir la troupe. Qui percevra ainsi la nomination de Lougué au gouvernement comme une volonté de le « dégommer ».

A la Défense, Boly va hériter de ces tensions entre la troupe et le pouvoir politique (on évoquera même, en octobre 2003, une « atmosphère de tentative de putsch manqué » dont Lougué aurait été le bénéficiaire). Il va s’efforcer de renouer les liens entre les « corps habillés » et la société burkinabè : promotion des jeunes ; ouverture aux femmes ; participation à des tâches d’intérêt national ; programmes de santé et de construction de logements ; efforts de réintégration dans la vie civile… Les tensions propres à une communauté caractérisée par la jeunesse de ses effectifs ont été contenues tant que la situation en Côte d’Ivoire a obligé les Forces armées nationales (FAN) à rester sur « le pied de guerre ». Le Burkina Faso, jamais, ne s’était trouvé aussi longtemps et aussi intensément dans une relation conflictuelle avec un pays voisin. Et, dans le même temps, il fallait gérer les engagements des FAN dans les opérations de maintien de la paix (notamment au Darfour).

Boly va donc tourner une page de son histoire personnelle (par ailleurs, sa résidence et sa famille ont été victimes des exactions des « insurgés ») ; mais il sait que c’est, d’abord, une page douloureuse pour l’histoire de son pays et qu’il convient de ne pas la jeter dans les oubliettes de l’Histoire ; mais, bien au contraire, qu’il faut en tirer leçons et conséquences. Politiques et sociales. Il n’est pas homme à avoir des états d’âme (même s’il peut avoir, parfois, un temps, des rancoeurs). C’est, d’abord, un administrateur civil. Et pour ceux de sa génération, cela signifie quelque chose qui ressemble au « sens de l’Etat », au « service de la Nation »…

Né le 31 décembre 1954, à Komki-Ipala (désormais banlieue de Ouaga), Boly est entré dans la vie active dès l’obtention du BEPC. Par la suite, il rejoindra l’ENAM et en sortira une première fois en 1977, certifié et breveté, puis une seconde fois, administrateur civil (1980-1983). Il sera, ainsi, sous-préfet (1978-1980) dans l’Oudalan à Gorom-Gorom, puis dans le Séno à Dori, deux provinces du Nord, secrétaire général de la province du Namentenga, au Centre-Est, préfet de Boulsa (« capitale » du Namentenga), haut-commissaire de la province de Gnagna (à l’Est de la province de Namentenga et au Sud de la province du Séno). Pendant ce temps, en 1983, il fera un séjour en France au sein de l’Institut international d’administration publique (IIAP) de Paris puis de l’Ecole internationale de Bordeaux. On connaît la suite.

La rumeur, voici quelques mois, annonçait Boly à Paris pour y prendre la suite de Luc Tiao. Ce sera Rabat (où il aura le soutien professionnel de son épouse, Aisséta B. Sandrine Boly-Gomgnibou, ministre plénipotentiaire de 1ère classe, nommée ministre conseiller).

Le Maroc et le Burkina Faso entretiennent des liens de coopération militaire très étroits et Boly a déjà eu l’occasion, à ce titre, de se rendre en visite officielle dans le royaume chérifien ; ce qui fait qu’il n’est pas un inconnu pour les responsables politiques et militaires marocains. A Rabat, il prend la suite du général de brigade Ibrahim Traoré, en poste depuis juin 2005 (il y était doyen du corps diplomatique), ancien ministre, ancien chef d’état-major général des armées, ancien secrétaire général de la défense nationale à la primature, ancien conseiller spécial du président du Faso (Traoré aura 63 ans le 30 août 2011).

En un temps où l’on assiste à la recomposition géopolitique de l’Afrique du Nord et où le Royaume du Maroc entend s’ancrer plus profondément en Afrique noire (Attijariwafa Bank a été le premier établissement financier marocain à s’implanter au Burkina Faso), Boly va devoir booster les relations entre les deux pays qui, compte tenu de l’effacement de la Libye sur la scène diplomatique ouest-africaine, devrait connaître un net regain, le Maroc ayant plus que jamais l’ambition d’être un partenaire « gagnant-gagnant » des pays de l’UEMOA, union avec laquelle il sa signé un accord de commerce et d’investissement.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche DIplomatique

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