Anniversaire du 4 août 1983 : Les souvenirs d’un ancien révolutionnaire « convaincu »
La Révolution du 4 août 1983 n’était pas dirigée que par des intellectuels. Il y avait aussi des ouvriers et bien d’autres catégories sociales qui ont mis leur intelligence et leur force au service du système. Titenga Dominique Zoungrana dit « Convaincu », ouvrier de son Etat à l’époque et aujourd’hui à la retraite, n’a pas hésité à se faire embarquer dans la révolution. De nos jours, l’homme qui assume son passé, et se fait même appeler « agent de liaison de la Révolution », parle de son expérience révolutionnaire. Et ce, à l’occasion de cet anniversaire de l’avènement de la révolution.
Titenga Dominique Zoungrana dit « Convaincu » a aujourd’hui 59 ans. Basé au secteur N°30 de Ouagadougou, cet ancien ouvrier de l’imprimerie des Editions Sidwaya et acteur de la Révolution du 4 août 1983, se souvient de cette partie de l’histoire du Burkina Faso. Il en parle avec passion, lui qui dit avoir vécu les temps forts de cette période. Demandez à Dominique comment est née la révolution ! Et il vous répondra « Je dirai que la Révolution du 4 août 1983 a été préparée de longue date. Je peux vous citer quelques camarades qui ont travaillé, dans l’ombre, côté civil, pour la naissance de cette Révolution. Il y a par exemple, Mahamadi Kouanda, Soumane Touré (le grand patron), Adama Touré, Ali Zerbo, Babou Paulin Bamouni (…) »
Et de poursuivre avec hésitation pour évoquer le nom d’un illustre homme de qui il ne dira pas grand-chose, tout en précisant que les initiés sauront ce qu’il veut dire : « c’est un nom rare à tout point de vue, mais ceux qui ont lutté dans l’ombre savent. Il s’agit de Bouana Kaboué. Quand je dis Bouana Kaboué, Ali Zerbo sait, Soumane Touré sait, de même que Adama Touré ». La Révolution d’août 1983 n’a pas été conçue et lancée que par des civils. Il y a eu aussi des militaires. Mais de ce côté, Dominique Zoungrana préfère se taire : « côté militaires, je ne veux pas citer de noms, sinon j’en connais beaucoup. C’est par l’intermédiaire de Babou Paulin Bamouni que j’ai connu tous ces gens-là. Vous savez, chaque régime a ses agents de liaison comme nous autres ! Je suis un ouvrier.
Je ne suis pas un intellectuel ». Mais comment un ouvrier s’est-il retrouvé au cœur d’une révolution ? Et M. Zoungrana de se faire découvrir : « Il faut dire que ce sont des trucs que j’aimais beaucoup ! Je faisais ma révolution avant de rejoindre ce groupe-là ». A écouter notre ancien CDR (Comité de défense de la Révolution), puisqu’il ne s’en plaint pas du tout, il a été copté par Babou Paulin Bamouni qu’il a connu dans les années 1980. « Je le fréquentais, on discutait dans le noir et il me donnait les secrets. Et voilà comment je suis rentré dans la Révolution jusqu’à me retrouver à Sidwaya. Et quand la Révolution s’est déclenchée, nous avons travaillé ensemble », confie-t-il.
Il a saisi l’opportunité pour expliquer l’histoire de son nom "Convaincu" : « Quand je suis arrivé à Sidwaya, Babou Paulin Bamouni m’a dit : « ha ! tiens, je voulais faire un communiqué pour t’appeler car il y a un poste à l’imprimerie ici pour toi ». Il m’y a fait rentrer pour travailler. J’évite de citer des noms, mais quand j’ai voulu commencer le boulot à Sidwaya, il y a des gens qui se sont opposés. Quand je suis sorti de l’imprimerie, Babou Paulin Bamouni m’a demandé ce qui se passait. Je lui ai dit que les responsables de l’imprimerie ne veulent pas de moi. Dans les minutes qui ont suivi, il a fait sortir une note où il disait : ce type (moi) est un révolutionnaire "convaincu". Et voilà comment, à Sidwaya, les gens ont commencé à dire, ha ! Bamouni a fait venir un révolutionnaire "convaincu" pour surveiller la maison. Voilà l’histoire de mon nom Convaincu que Babou Paulin Bamouni m’a donné .
« J’étais CDR au secteur n° 1 de Ouagadougou »
"Convaincu", comme l’appellent donc ses intimes, évoque sans gêne leurs attitudes sous la Révolution tout en justifiant certains dérapages. « Sous la Révolution, nous étions des jeunes zélés, armes au poingt, prêts à lutter pour que la Révolution s’installe correctement. Il faut dire la vérité hein ! Quelqu’un à qui on donne subitement une arme, il devient comme un militaire. Il porte la tenue militaire, peut-il ne pas être zélé ? C’est comme ça que c’est parti ! » Mais qu’a fait Dominique Zoungrana sous la Révolution ? A cette interrogation, il répond en indiquant toutes les responsabilités qu’il a assumées : « j’étais CDR au secteur n°1 de Ouagadougou. Mon délégué de secteur était Norbert Tiendrébéogo et, si je ne me trompe pas, mon responsable à la sécurité s’appelait Edgar Compaoré. Au ministère de l’Information et de la Culture, j’étais le responsable à la sécurité des CDR ».
Dominique Zoungrana fait observer en passant qu’il a fait partie de plusieurs cellules sous la Révolution dont celle dénommée BAPIR. Il explique avec enthousiasme ce que c’est que cette cellule : « le BAPIR, c’est le Bataillon populaire d’intervention rapide. Nos patrons, c’étaient Pierre Ouédraogo, Kilimité Théodore Hien, Gninbanga Barro et Moussa Cissé. C’est Moussa Cissé qui était notre plus proche patron. C’est lui qui nous a envoyés au front lors de la guerre de Noël. Beaucoup de gens disent que le BAPIR n’est pas allé au front. Je tiens à souligner que le BAPIR est allé au front pendant la guerre Burkina-Mali. Nous étions basés à Fô au Mali. Celui qui nous a conduits au front était capitaine à l’époque, c’est Laurent Sédogo, l’actuel ministre en charge de l’Agriculture. On nous a embarqués avec des VLRA à Ouagadougou et nous sommes rentrés à Bobo-Dioulasso dans la nuit.
Nous avons fait une vingtaine de jours au front ». M. Zoungrana reconnaît que tout ce que les CDR posaient comme actes n’étaient pas forcément louables. « Il faut le reconnaître et l’assumer. Les CDR « déconnaient » beaucoup ! Même si je ne l’ai pas fait, beaucoup de camarades l’ont fait. Je considère donc que c’est moi qui ai fait et j’assume. C’est comme dans tout régime. Certains « déconnent » et d’autres ne « déconnent » pas, mais on finit par dire que le régime est mauvais. Tout cela pour dire que chaque régime a des graines qui « emmerdent » les gens. C’est ainsi que beaucoup de camarades CDR ont semé la « merde » : certains ont violé les femmes, d’autres ont torturé (…) Et malheureusement, c’est comme ça ! » Avec humour, "Convaincu" explique certains comportements de ses camarades CDR. « Vous savez, les choses sont claires. La Révolution a publié un communiqué invitant les gens à mettre fin à la divagation des animaux.
Mais comme les Ouagalais sont bizarres, ils ont dit qu’ils s’en foutent éperdument de la mesure. Ils ont commencé à dire : « écoutez, ne nous emmerdez pas ! La Révolution est venue trouver nos animaux, nos chiens, etc. » (rires) Mais comme je l’ai dit, dans chaque système, il y a des gens qui profitent des situations. Les gens de cet acabit ont commencé à tuer les moutons, les chiens, les porcs et les poulets. Sinon, dans la réalité, la Révolution n’a jamais dit de tuer les animaux, ni de torturer des gens. Je peux dire que ce sont ces agissements des CDR qui ont contribué à faire tomber la Révolution car on « emmerdait » trop le peuple ». Pour l’enfant de Tanlarghin (c’est le nom de son village situé aux environs de Saaba), les CDR étaient en quelque sorte des milices de la Révolution. Ces milices avaient surtout pour mission d’effrayer ceux qui pouvaient déranger la Révolution, ceux qui voulaient la faire chuter et ce, dans le but de permettre au système de s’installer correctement pour mieux travailler.
« La Révolution, c’était travailler pour soi-même »
A suivre Dominique, l’on s’aperçoit qu’il regrette la Révolution. « Pendant la Révolution, il y avait des lotissements, des travaux d’intérêts communs, etc. Vous voyez de nos jours que les caniveaux sont pleins et l’eau envahit les maisons. Si c’était sous la Révolution, vous ne verrez pas cela ! Il suffisait de lancer un mot d’ordre pour voir que la ville est rapidement nettoyée ! En réalité, la Révolution disait aux gens de travailler pour eux-mêmes et non pour quelqu’un. Pour moi, la Révolution était formidable sous cet angle. Après observation et comparaison, je demeure convaincu que l’Afrique est bien avec la révolution ».
Cependant, "Convaincu" ne fait pas aveuglement l’apologie de la Révolution : « Ce que je regrette de cette époque, c’est que certains, surtout les intellectuels, ont utilisé la Révolution pour des règlements de compte. Si tu visais le poste d’un collègue, il suffisait de fabriquer une étiquette que tu lui collais. Il suffisait de dire qu’untel est antirévolutionnaire, il est bourgeois, et patati et patata. Nous les ouvriers, on suivait ceux qui viennent de derrière la mer avec leurs diplômes. Ce sont eux qui étaient devant et qui développaient les thèses. Ce sont ces intellectuels-là qui ont tué la Révolution, sinon, la Révolution est bien pour nous autres. Mais avec les grands intellectuels, dans les grands débats avec des idées contradictoires, c’est difficile à gérer ». M. Zoungrana sort de ses gongs quand on parle de violations des droits humains sous la Révolution.
Et de faire remarquer : « ce sont « les blancs » qui nous ont mis les histoires de droits humains dans la tête ! Sinon, sous la Révolution, si on disait d’aller construire un barrage, c’était rapidement exécuté et ça contribuait au développement du pays. Même dans le passé, ce sont les travaux d’intérêts communs qui ont permis à nos ancêtres de se développer. Maintenant, si tu dis à quelqu’un d’exécuter une tâche quelconque, il va tout de suite te dire que c’est la force, c’est ceci, c’est cela. Je vais vous donner un exemple et quelques camarades le savent. Au moment des travaux de la bataille du rail, il y a des gens dont je vais taire les noms, ils se reconnaîtront, sont allés tenir une réunion à la Bourse du travail pour dire qu’on est en train de faire la force aux gens, que ce n’est pas normal (…) Mais de nos jours, si ce n’est pas parce que la Révolution est terminée, la bataille du rail allait être un grand projet.
Regardez autour de vous, quand vous voyez les grands arbres que nos grands parents ont planté au temps colonial, c’est admirable ! Si tu veux parler, on te dira que c’était la force, mais même les grands pays sont passés par là pour se développer ! » L’ouvrier révolutionnaire de son état pense que ce sont les grands débats d’intellectuels qui ont fait échouer la Révolution. Et de préciser : « Vous savez, il y avait plein de contradictions dans cette Révolution. Il y avait ceux qui ont lu Lénine, il y avait ceux qui ont lu Karl Marx ; ceux qui ont lu Mao ; ceux qui étaient pour la Révolution coréenne, et ceux qui étaient inspirés par la Révolution albanaise. Ainsi, chacun développait sa thèse, les idées se contredisaient et à la fin, cela a poussé les uns et les autres à se rentrer dedans ».
« Je préfère la Révolution »
"Convaincu" reste révolutionnaire dans l’âme : « en tant que CDR déterminé, je préfère la Révolution à la démocratie. Parce que de nos jours, avec les histoires de droits de l’homme, les gens ne connaissent pas ce que c’est que la démocratie. Ils dépassent les limites de la démocratie et font des choses que la démocratie n’autorise pas en temps normal. Par exemple, sous la Révolution, si on te dit, ne touche pas à la voiture de service, tu n’oses pas y toucher. Si on te dit, on n’amène pas la voiture de service dans un bar, ça ne se fait pas. Mais aujourd’hui, avec la démocratie, c’est ce qui est à la mode. Je regrette, mais, de nos jours, les gens utilisent la démocratie pour semer la « merde ».
Ce n’est pas qu’ils ne savent pas, mais ils font exprès ». Et pour lui, la solution est simple : « si je devais conseiller les dirigeants actuels, je leur dirais de « frapper » ceux qui « déconnent ». Il faut « frapper » et ne pas rater parce que consciencieusement, ils savent que ce qu’ils font n’est pas bien. L’homme ne veut pas la paix ! Je me promène beaucoup. Et il m’arrive de voir une voiture fond rouge transportant des briques, des tôles (même actuellement)… Si c’était à notre temps, tu ne vas même pas oser le faire ! Tertius Zongo a essayé d’appliquer un peu ce que la Révolution faisait et je le félicite pour cela ! J’encourage le nouveau Premier ministre à poursuivre dans la même dynamique. Ce n’est même pas une histoire de Premier ministre. Les gens font des choses qu’eux-mêmes savent que ce n’est pas bon, mais ils le font quand même !
Je pense qu’il faut appliquer la « magie » révolutionnaire et frapper ceux qui ont de la mauvaise foi ou qui font semblant. Si nécessaire, il faut licencier des gens ». Les syndicats et les défenseurs des droits humains ne vont-ils pas se plaindre ? A cette interrogation, "Convaincu" répond sans tergiverser : « écoutez, les syndicats et les défenseurs des droits humains savent ce qui est bon et ce qui ne l’est pas. Je ne suis pas contre les syndicats, mais ils savent qu’en France, en Allemagne, aux USA… ce n’est pas comme ça que les gens se comportent. Il faut faire le syndicalisme pour protéger les biens du peuple et non pour les détruire. J’insiste et lance un appel aux grands patrons. De temps en temps, il faut appliquer le système révolutionnaire, comme ça, les gens sauront que le pays a des dirigeants.
Même au village, il y a un chef. Tu ne peux pas te lever au village et rentrer là où il ne faut pas rentrer. Aller, par exemple, cultiver dans un champ qui ne t’appartient pas. Pourtant, en ville et particulièrement à Ouagadougou, c’est le cas. Or, sous la Révolution, chacun savait où mettre les pieds. Si on disait de ne pas faire, on sait qu’il y a une autorité et on ne fait pas ». L’homme qui reste révolutionnaire pour toujours estime que ce qui est louable sous l’ère de la démocratie, c’est que les gens parlent haut et fort. Ils sont libres, ils font ce qu’ils veulent.
C’est la liberté totale. Il pense même qu’il faut réguler cette liberté. En cette période de carême musulman, bien qu’étant chrétien, Dominique Zoungrana appelle les commerçants à faire des sacrifices : « je demande aux commerçants de faire ce que Dieu recommande. Ils n’ont qu’à faire des sacrifices en baissant les prix des produits de grande consommation. Il ne s’agit pas de faire le carême et aller augmenter le prix du sucre par exemple. Agir ainsi n’est pas religieux ».
Ali TRAORE (traore_ali2005@yahoo.fr)
Sidwaya