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Le Gabon s’essaye à la « rénovation » façon Ali Bongo Ondimba (2/2)

Publié le vendredi 22 juillet 2011 à 16h59min

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Au nom du père ! C’est, effectivement, au nom du père que Ali Bongo Ondimba s’est trouvé, le 30 août 2009, élu président de la République du Gabon. Il le disait lui-même à Marwane Ben Yahmed (Jeune Afrique du 16 août 2009) à la veille de la présidentielle : « Je suis le sillon tracé par mon père ». O.K.! Sauf que, compte tenu du mode de production politique de papa, le sillon était loin d’être rectiligne. Ali a donc dû s’adapter.

« Etre président, c’est déjà extrêmement difficile. Succéder à son père l’est plus encore », reconnaîtra-t-il après un an d’exercice (entretien avec Marwane Ben Yahmed - Jeune Afrique du 15 août 2010). Et ce n’est sans doute pas qu’une façon de parler. Le Gabon politique est une grande famille, dans tous les sens du terme ; les « élites » y sont dans une proximité permanente qui, par moment, frise même la promiscuité. Quand tout va bien et que l’argent circule, pas de problème ; quand la rigueur devient nécessaire, alors ça coince de partout. Ali en a fait l’expérience. Et s’est efforcé de prendre ses distances avec une classe politique qui, au Gabon, a toujours eu des allures de clan et règle ses problèmes comme on les règle au sein d’un clan. Il a souhaité se consacrer à l’essentiel.

La remise en ordre de l’administration et la relance d’une activité économique qui, au temps finissant de papa, était en panne sèche. Ali a exigé et obtenu de la retenue (qui n’est pas la qualité essentielles des « élites » gabonaises) dans le comportement des ministres et des dirigeants du secteur public ; l’affaire des « biens mal acquis » empoisonne déjà suffisamment l’image internationale du Gabon pour ne pas en rajouter. Moins d’ostentation ne signifie pas moins d’opérations « douteuses » ; mais il faut bien reconnaître que les Gabonais, depuis deux ans, évitent « d’en rajouter ». Si Ali est quasiment muet (à ma connaissance, les entretiens accordés à la presse internationale depuis son accession au pouvoir se comptent sur les doigts d’une seule main), son premier ministre et le gouvernement le sont tout autant. C’est nouveau au Gabon.

Bien conseillé, Ali a remis de l’ordre autant que cela était possible et affiche, en ce qui le concerne, une rigueur de comportement qui est d’autant plus remarquable qu’elle n’est pas l’image de marque du Gabon. Le discours est feutré ; en rupture avec la tonitruance et la flamboyance auxquelles nous avait habitué Bongo-père. Le propos est quasi technocratique. Gabon d’abord ! Le « Gabon vert », le « Gabon industriel », le « Gabon des services ». Il reçoit le premier ministre français à Libreville et évoque « le programme de travail élaboré par nos soins » à l’occasion de cette visite.

On est loin du folklore et du protocole interminable qui, autrefois, faisaient l’essentiel du programme des déplacements de personnalités politiques étrangères ; aujourd’hui, Ali parle de manière très concrète du « renforcement des relations économiques et commerciales » avec ETDE (groupe Bouygues), Rougier, Cassagne, HEC, le MEDEF, etc., rappelle que la visite du premier ministre sera suivie d’un forum économique Gabon-France, évoque des « relations décomplexées », un « partenariat rénové, respectueux des intérêts et des valeurs de chaque partie ». Gabon d’abord, business d’abord (71 millions d’euros de contrats ont été signés à cette occasion). La grandeur du Gabon, c’est sa capacité à « susciter l’attrait des investissements étrangers dans notre pays », souligne Ali.

Gabon d’abord, business d’abord. C’est, en substance, les mots d’ordre d’Ali. Il l’a dit clairement, le 12 juillet 2011 à l’occasion de la Xème conférence des ambassadeurs. Notons tout d’abord que la IXème édition s’était tenue en… juillet 2004 et que le tableau que dresse le chef de l’Etat du mode de fonctionnement des ambassades du Gabon est sans concession : « taux élevé d’indiscipline, de rixes, d’inimitiés, de contentieux et de divisions communautaires ou ethniques qui émaille la vie des ambassades et ternissent ainsi l’image du Gabon auprès de nos partenaires ».

Ali vient de fixer une nouvelle feuille de route dans la perspective d’un Gabon émergent à l’horizon 2025 : « L’ambassadeur, dit-il, doit être un leader, un manager, un communiquant […] Tous nos diplomates doivent être les premiers à percevoir les avantages comparatifs d’une coopération que nous proposent nos partenaires publics ou privés. En outre, ils doivent être mobilisés et conscients des efforts à faire pour vendre la destination Gabon et capter les flux d’investissements étrangers ». C’est dire que le temps des ambassadeurs « potiches » ou occupés seulement à gérer leurs petites affaires et leur clientèle locale est terminé. Pas question d’écouter « certains nostalgiques d’un certain Gabon », le Gabon doit « avancer » ; et pour « avancer », les ambassadeurs devront être désormais « des économistes et des financiers, ou des spécialistes d’autres questions complexes qui touchent aux intérêts du Gabon ». Dans ce cadre, il s’agit également d’opérer un « redéploiement de la carte diplomatique » en privilégiant « les pays susceptibles d’apporter une plus-value à notre ambition pour le Gabon ». A noter qu’avant la tenue de la conférence les 33 chefs de mission diplomatique présents à Libreville ont prêté serment devant la Cour constitutionnelle. Une « première » au Gabon !

Ali Bongo connaît mieux que quiconque la réalité qui est celle du Gabon aujourd’hui. Par le passé, son père, Omar Bongo Ondimba, était l’arbre qui cachait la forêt ; pour le meilleur comme pour le pire. Le pays se résumait à Libreville, Libreville se résumait au palais du bord de mer et le palais du bord de mer se résumait à Omar Bongo. Omar est mort voici deux ans (8 juin 2009) ; pour Ali, comme pour les Gabonais, une page est désormais tournée. Sauf, bien sûr, que le paysage politique n’a pas beaucoup évolué depuis et que la remise en route de l’économie prendra nécessairement plus de temps que les Gabonais n’auront de patience. Le pays est sous perfusion dans un environnement sous-régional délicat dès lors que les Gabonais, confrontés à la crise économique, veulent se réapproprier les activités exercées jusqu’alors par l’immigration africaine (Congolais, Camerounais, etc.). Tensions nationalistes, tensions ethniques, tensions sociales… La marge de manœuvre d’Ali est étroite pour ne pas dire inexistante. Et le chef de l’Etat sait que les « émergents » - qui ont beaucoup promis au Gabon, mais tardent à tenir leurs promesses - ne se soucieront pas de savoir qui est installé au pouvoir dès lors que les contrats (et les délais de paiement) seront respectés.

C’est dire que l’ancrage à la France demeure essentiel. « Un partenariat stratégique et exemplaire » a dit Ali à François Fillon, « une solidarité particulière et naturelle », « une relation bilatérale singulière », « une amitié séculaire »…. Bref, la France est « l’amie fidèle ». Fillon, de son côté, n’a pas manqué de rappeler que « Libreville est, désormais, l’unique base militaire sur la façade atlantique » - ce n’est pas une donnée négligeable pour les investisseurs - et d’affirmer que « la France suit avec le plus grand intérêt la voie que vous avez choisie pour le développement de votre pays. Elle se tient prête à vous apporter son expertise chaque fois que vous le souhaiterez. Le partenariat d’aujourd’hui entre la France et le Gabon est une relation rénovée, dynamique et pleine d’avenir ». Une question reste posée cependant : jusqu’à quand Ali pourra-t-il se dispenser de faire de la politique ?

Omar Bongo pensait que le Gabon pouvait se diriger comme une multinationale avec un parti unique (qui portait le nom symbolique de PDG) en guise de conseil d’administration. Il avait, finalement, institué une « médiocratie » qui a été, un temps, dans l’air du temps ; or, au Gabon comme ailleurs, la population aspire à une réelle démocratie. Encore faut-il, pour cela, qu’il y ait des démocrates.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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