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Alain Le Roy, un des « tombeurs » de Gbagbo, quitte son poste de secrétaire général adjoint des Nations unies.

Publié le jeudi 30 juin 2011 à 19h12min

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Alors que Ban Ki-moon vient de rempiler pour un nouveau mandat à la tête des Nations unies (cf. LDD Nations unies 021/Mardi 21 juin 2011), son secrétaire général adjoint en charge des opérations de maintien de la paix, le diplomate français Alain Le Roy, a annoncé son départ à l’issue de son mandat pour des « raisons familiales ». Il occupait ce poste depuis trois ans (cf. LDD Nations unies 013/Mardi 1er juillet 2011) et s’est trouvé confronté à quelques dossiers particulièrement délicats, notamment ces derniers mois en Côte d’Ivoire. Il pourrait être remplacé par un autre diplomate français, Jérôme Bonnafont, Leroy obtenant la direction générale de la Mondialisation à l’administration centrale du Quai d’Orsay.

Alain Le Roy est né le 5 février 1953 à… Moscou, quelques semaines seulement avant la mort de Staline (4 mars 1953). Son père, Jean Le Roy, diplomate de carrière, était alors en poste dans la capitale soviétique. Ingénieur civil diplômé de l’Ecole nationale supérieure des mines de Paris, titulaire d’un DEA de sciences économiques, agrégé d’économie et de gestion, Alain Le Roy a débuté sa carrière en 1980 comme ingénieur au service de l’exploration et de la production de la Compagnie française des pétroles (CFP-Total). En 1983, il sera nommé à la direction financière et, en 1986, sera chargé des affaires nouvelles internationales, adjoint du directeur Asie pour l’exploration et la production. Changement de carrière en 1990. Il est nommé sous-préfet et prend la direction du cabinet du préfet d’Eure-et-Loir.

En 1991, il est sous-préfet d’Avallon. En 1992-1993, il sera chef de cabinet puis conseiller auprès de Jean-Pierre Soisson, ministre de l’Agriculture et du Développement rural dont le fief politique est, justement, Avallon. Le Roy sera alors nommé conseiller référendaire à la Cour des comptes. En 1995, il se retrouve directeur des opérations de restauration des services publics pour le compte de l’ONU à Sarajevo, en Bosnie. En 1996, il sera rapporteur adjoint auprès du Conseil constitutionnel. En 2001, sous Hubert Védrine, patron du Quai d’Orsay, il succédera à François Léotard comme représentant spécial de l’Union européenne en Macédoine compte tenu de « sa bonne expérience des Balkans ». C’est dans l’ex-Yougoslavie (Le Roy étant en Macédoine quand Bernard Kouchner sera au Kosovo, deux territoires voisins) qu’il va faire la connaissance du futur ministre des Affaires étrangères et européennes.

Le mercredi 6 novembre 2002, il sera nommé, en conseil des ministres, directeur des Affaires économiques et financières du ministère des Affaires étrangères, sa prise de fonction intervenant le 2 décembre 2002 (cf. LDD France 0110/Jeudi 5 décembre 2002). Il remplaçait alors Dominique Perreau, nommé ambassadeur, représentant de la France auprès de l’OCDE. Le jeudi 7 juillet 2005, par décret publié au Journal officiel, Le Roy sera nommé ambassadeur à Madagascar où il prendra la suite de Catherine Boivineau-Greverie (cf. LDD Madagascar 001/Mardi 12 juillet 2005). En septembre 2007, il va être rappelé à Paris ; il est alors nommé ambassadeur chargé du projet d’Union pour la Méditerranée (UPM). Ce n’est encore qu’une nébuleuse. Nicolas Sarkozy, promoteur du projet lancé à Toulon le 7 février 2007 avant même son accession au pouvoir, avait tout dit sur la question ; il restait tout à faire.

Ce sera le job de Le Roy. Pas facile compte tenu, notamment, des controverses que le projet suscite au sein de l’Union européenne. Il sera l’objet d’interminables commentaires des uns et des autres, experts ou politiques. Pendant tout ce « déballage » pour ou contre l’UPM, Le Roy travaillera dans l’ombre (son bureau était à l’Hôtel Marigny, face au palais de l’Elysée), se dispensant d’accorder des entretiens à la presse, et sillonnant les pays méditerranéens pour tenir l’échéance du premier sommet de l’UPM : le dimanche 13 juillet 2008. Pari tenu !

En dix mois, Le Roy aura ainsi permis de faire aboutir, via Sarkozy, une idée de « gauche » (Jean-Louis Guigou, époux de l’ancienne ministre socialiste Elisabeth Guigou, en est l’initiateur - cf. LDD UPM 001/Lundi 14 juillet 2008). Il va pouvoir passer au « maintien de la paix ». Un job (« L’ONU n’est peut-être pas le rempart de la paix le plus efficace, mais c’est le plus légitime ») auquel Koffi Annan avait déjà pensé pour lui quelques années auparavant. « Un très beau poste », dira Le Roy qui cultive l’humilité. « Je ne cherche rien ? Ni les honneurs ni à être élu. Pourquoi s’intéresser à moi ? ». Guigou, qui a été son plus proche interlocuteur dans le cadre de l’UPM, dira de lui : « ce n’est pas un diplomate traditionnel. Il est droit, direct, franc du collier ». Ailleurs, on dira : « C’est un diplomate à part, loin du bureaucrate type. Il est très politique […] Il fait tout ce qui est possible pour arriver à ses fins politiques, qui sont toujours bien définies. Quitte à oublier les conventions ». Notons que son père Jean Le Roy, diplomate de carrière, ancien élève de l’Ecole normale supérieure, agrégé de l’université, avait été révoqué par Vichy et déchu de la nationalité française alors qu’il avait gagné Londres le 23 août 1943. Son frère aîné, Thierry, conseiller d’Etat très présent dans le domaine culturel, a été en proximité avec les socialistes sous François Mitterrand (cabinets de Pierre Mauroy et de Michel Rocard, premiers ministres, de Jack Lang et de Jean-Pierre Chevènement).

Aux Nations unies, Alain Le Roy va alerter le Conseil de sécurité sur le manque de moyens des opérations de maintien de la paix dont le nombre ne cesse d’augmenter. « En moins de dix ans, nous sommes passés de 20.000 à 113.000 casques bleus, déployés dans quinze missions. On nous demande d’aller où personne d’autre ne veut aller » précisera-t-il lors de la remise de son étude sur les défis du maintien de la paix (« Nouvel horizon » - août 2009), soulignant qu’il s’agit désormais bien plus de protéger des civils dans des zones de guerre que de s’interposer entre armées. « Comment protéger au mieux 10 millions de personnes, dans les Kivu [Est de la RDC] avec 10.000 casques bleus, au milieu de combats incessants ? ». Il dénoncera également la tendance à faire des opérations de maintien de la paix « un substitut à l’action politique ».

La période post-présidentielle en Côte d’Ivoire sera particulièrement délicate à gérer. L’ONUCI sera une cible pour Gbagbo ; « La situation devient de plus en plus délicate et dangereuse, confiera Le Roy moins d’un mois après le deuxième tour de la présidentielle. Les forces de Gbagbo harcèlent nos hommes jusque dans leurs appartements pour les faire partir et la RTI multiplie les messages de haine et les appels aux attaques contre l’ONUCI. C’est brutal ». Le Roy ne cachera rien des exactions des « gbagboïstes » : intimidation de la population, incitation à la haine, enlèvements, assassinats, recrutement de mercenaires, tirs à l’arme lourde dans les quartiers… rappelant les limites de son action : « Nous sommes des soldats de maintien de la paix. Nous ne sommes pas là pour faire la guerre. Et nous n’avons pas l’équipement nécessaire ». Au lendemain de la capture de Gbagbo, il déclarera à Fabrice Rousselot (Libération du 15 avril 2011) : « Il faut que la justice se fasse. Il y a eu des exactions en matière des droits de l’homme, sans doute des deux côtés, et il est très important que la justice soit rendue pour tout le monde ».

La gestion de la crise ivoirienne aura nécessairement marqué de son empreinte le parcours de Le Roy et pesé lourd, sans doute, dans son désir de quitter New York et les Nations unies pour un job plus soft. Mais on peut penser aussi que ce qui se passe en Libye - sous les auspices de l’ONU et de l’OTAN - n’est pas totalement en adéquation avec sa vision des choses et qu’il entend ainsi marquer sa différence. C’est fait.

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

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