LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

PROCES DE BEN ALI : La rue se trompe de priorité

Publié le mardi 21 juin 2011 à 03h51min

PARTAGER :                          

Sauf changement de dernière minute, l’ex-président tunisien, Ben Ali, et son épouse, Leïla Trabelsi, seront jugés par contumace. L’Arabie Saoudite ne semble pas décidée à les livrer à la justice tunisienne, laquelle devra apparemment se contenter d’accuser, de juger et de condamner un … fantôme. Tel est l’un des inconvénients de ce genre de procès. Mais dans le contexte tunisien, ce désagrément ne semble pas figurer seul sur la liste. Il se pose à ce propos la question de l’opportunité même de juger actuellement Ben Ali. Est-ce bien le moment de s’intéresser à la personne de l’ex-président ? N’est-ce pas mieux de consolider les acquis de la révolution d’abord ?

Ces questions trouvent leur origine dans un certain nombre d’éléments qu’il serait intéressant de prendre en compte. La révolution tunisienne n’a guère plus de cinq mois dans la jauge de sa maturité. Son objectif immédiat était peut-être de déboulonner Ben Ali, mais ce n’est certainement pas le principal. L’essentiel pour l’instant est d’asseoir un nouveau système de gouvernance plus équitable, démocratique et républicain. Dans ce chantier, Ben Ali ne tient que peu de place. Ensuite, ce procès ne doit pas être comparé à une vulgaire petite chasse aux rats voleurs. Juger Ben Ali et son système revient tout de même à passer en revue environ 24 ans de règne.

Une vingtaine d’années pendant lesquelles la "régente" de Carthage Léïla, a tissé et entrelacé un labyrinthe de mal gouvernance, de corruption et d’injustices que deux ou trois jours de procès pourront difficilement et parfaitement décortiquer. Le faire malgré tout pourrait ranger ce jugement dans le catalogue des procès bâclés. Ce qui serait alors un regrettable gâchis. En outre, il ne faut pas oublier que les autorités actuelles de la Tunisie ne sont que transitoires. Autant un voyageur de passage dans un village ne peut se permettre d’en édicter les règles, autant les autorités tunisiennes n’ont de légitimité pour organiser le jugement de l’ex-président tunisien. Suivre l’exemple nigérien où l’autorité de transition a préféré mettre entre les mains les nouveaux gouvernants démocratiquement élus le sort de l’ex-président Tandja, serait certainement plus sage.

Si le jugement de Ben Ali se faisait sous l’ère d’un nouveau président désigné par ses concitoyens et épaulé par des institutions neuves et solides, cela aurait certainement plus d’attrait et de poids que dans le brouillard actuel de la Tunisie. Enfin, la justice populaire, même si ses feux d’artifices et ses coups d’éclats contentent les populations, demeure la moins recommandable des justices. Or, c’est ce qui risque de se passer à Tunis. Nageant dans l’atmosphère gorgée des effluves de la vindicte populaire et des fumées de l’exaltation patriotique, ce n’est pas certain que les juges auront la tranquillité d’esprit nécessaire pour rendre un jugement objectif sans passion ni subjectivisme.

L’absence de la partie accusée renforcera encore plus cette idée d’injustice et de partialité dans la justice. Tout compte fait, la rue tunisienne ne se ferait pas de mal si elle remettait ce procès à plus tard. Il ne faudrait pas qu’elle se précipite et se trompe de priorité. Il y a tant de choses importantes à régler. Elire un nouveau président, mettre en place une assemblée nationale crédible et percutante, ériger des institutions solides qui ne laisseraient plus quiconque concentrer entre ses seules mains le pouvoir du peuple, sont pour l’heure les axes des grands chantiers. C’est à partir de ce moment que l’on peut demander des comptes à Ben Ali, à son épouse et à tous ceux dont la gouvernance a exaspéré Mohamed Bouazizi, du nom du jeune Tunisien dont l’immolation par le feu a enclenché le printemps arabe.

Abdou ZOURE

Le Pays

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Sénégal : Le premier président de la Cour suprême limogé