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Port autonome de Dakar : Là où Bolloré n’est plus. Pour l’instant !

Publié le lundi 20 juin 2011 à 19h54min

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Il y a quelques années déjà que le groupe Bolloré, via Dominique Lafont, directeur général de Bolloré Africa Logistics, martèle que sa priorité est de se « renforcer en Afrique anglophone ». Mais, à l’évidence, ses plus beaux fleurons se situent en Afrique francophone : Conakry en Guinée ; San Pedro et Abidjan en Côte d’Ivoire ; Lomé au Togo ; Cotonou au Bénin ; Douala au Cameroun ; Libreville au Gabon ; Congo à Pointe-Noire.

C’est que le groupe français se trouve, dans ces ports, en quasi situation de monopole grâce, il faut le dire, à une étroite connexion politico-affairiste qu’illustre la Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo comme de Alassane Ouattara (selon Claude Barjonet, dans Les Echos du 15 juin 2011, Bolloré « a dû avancer 500.000 euros au nouveau gouvernement dont les caisses étaient vides pour lui permettre de nettoyer en urgence les rues d‘Abidjan »). A Freetown (Sierra Leone), Tema (Ghana), Lagos (Nigeria), les situations sont business-business (Misrata, en Libye, est, aujourd’hui, un cas à part). Et il n’est pas un « papier » sur l’implantation de Bolloré dans les ports africains qui ne rappelle qu’il a perdu, en 2007, le port de Dakar au Sénégal, au profit de son concurrent Dubaï Ports World (DP World). Or Dakar n’est pas une implantation négligeable : plus de 10,27 millions de tonnes en 2010 (mais ce n’est que la moitié du trafic généré par Abidjan) et 2.511 escales !

Le développement de Dakar par DP World avait souffert de l’éviction de Bolloré mal digérée par les responsables du groupe (une « éviction surprise » qui avait rendu « quelque peu chaotique » les premiers mois d’activité, commente Bernard Jégou dans un dossier consacré au port de Dakar - Le Marin du 17 juin 2011) ; et plus encore des effets de la crise financière qui avait frappé durement l’émirat de Dubaï (DP World est filiale de Dubaï World, un conglomérat parapublic qui s’est retrouvé au bord de la faillite en 2009). La crise est passée et Dakar peut réaffirmer « une ambition en marche ». Ce que le PAD a fait récemment (13-28 avril 2011), dépêchant dans de grands ports (Le Havre, Marseille, Anvers et Las Palmas) une mission commerciale visant à « renouveler son offre de service et réaffirmer son ambition de devenir la plateforme logistique de référence en Afrique de l’Ouest ». C’est que le retour d’Abidjan sur la scène portuaire relance une concurrence qui est rude, notamment à destination des pays de l’hinterland, le Sénégal et la Côte d’Ivoire ayant en commun la desserte du Mali.

Bara Sady, directeur général du PAD, a précisé dans Le Marin (cf. supra) : « Avant la crise en Côte d’Ivoire, nous avions déjà 65 % de parts du marché malien. Elle est de plus de 70 % aujourd’hui. Malgré le retour à la normale à Abidjan, nous espérons conserver cette part en renforçant notre mission commerciale au Mali, créée en 2008. Depuis 10 ans, nous avons pu démontrer aux Maliens que nous avions la capacité de recevoir leurs trafics. Les exportateurs de coton, notamment, se disent satisfaits ». Une satisfaction dont se fait également l’écho le directeur commercial de DP World Dakar, Alassane Diop. Bamako est à 1.200 km de Dakar (Conakry et Abidjan sont plus proches, mais sur le papier seulement). Chaque jour, 300 camions quittent Dakar pour la capitale malienne et affrontent les « tracasseries » douanières et policières (28 postes de contrôle et 43.000 francs CFA de racket selon une source officielle !).

La solution serait la relance de la desserte ferroviaire Dakar-Bamako mais, selon Bara Sady, elle « pose problème avec de nombreux retards dus à la vétusté de la ligne ». Il ajoute : « C’est dommage, parce qu’une ligne en bon état nous permettrait de renforcer encore notre part sur le marché malien. Au lieu de 70 %, on pourrait envisager de capter 80 à 90 % du trafic. Le ministère des infrastructures travaille sur le sujet mais cela coûtera cher » (Le Marin). Le projet est tributaire de la mise en exploitation du gisement de fer de Falémé, dans le Sud-Est du Sénégal, avec la création d’un port minéralier à Bargny, à l’Est de Dakar ; deux perspectives envisagées par le groupe sidérurgique indien Arcelor Mittal (cf. LDD Sénégal 080/Mardi 27 février 2007). En attendant la réalisation de ces hypothétiques projets, le PAD s’est doté à Bamako d’un port sec de 6 hectares qui regroupe douze hangars de stockage, deux hangars frigo, une aire de stockage de matériaux de construction, des quais de chargement et de déchargement routiers et ferroviaires, des équipements de manutention, le tout géré dans le cadre des Entrepôts du Sénégal au Mali (Ensema).

Bolloré observe avec attention tout ce que DP World peut faire (ou ne pas faire) à Dakar. Mais, jusqu’à présent, le concessionnaire du terminal conteneurs semble irréprochable. Bilan « très satisfaisant » commente Bara Sady qui ajoute : « Les rendements ont été multipliés par deux. Il n’y a pratiquement pas d’attente. Et depuis l’attribution de la concession, DP World a un niveau d’investissement supérieur à ses engagements de départ » (Le Marin). « Nous sommes 47 % au-dessus de nos obligations contractuelles : 110 millions d’euros investis depuis 2008, au lieu de 70 millions. Nous avons même construit une route de contournement à nos frais », précise Alassane Diop, directeur commercial de DP World Sénégal. Le terminal travaille 24/24 h, y compris pour les livraisons, et la cadence moyenne devrait être de 26 mouvements à l’heure d’ici la fin de 2011 (contre 20 à 22 actuellement), la formation des portiqueurs étant assurée par DP World à Djibouti dont le groupe de Dubaï est également concessionnaire.

DP World réalise environ 85 % du trafic conteneurs du PAD, le reste étant opéré par le groupe italien Grimaldi (son siège est à Naples) de l’autre côté du port, près du trafic roulier et conventionnel. L’attribution du môle 2 est d’ailleurs le sujet de toutes les conversations au PAD comme au palais de la République et dans les états-majors des groupes portuaires. 700 mètres de linéaire de quais, 8 hectares de terrain viabilisé, le môle 2 doit désormais être consacré à l’importation de véhicules « y compris pour le transbordement en provenance des Amériques et à destination des pays de la façade atlantique de l’Afrique » (Le Marin).

Le projet met aujourd’hui en concurrence Grimaldi et… Bolloré. Le résultat de la confrontation était attendu début mai 2011 mais a été reporté sans que l’on connaisse la nouvelle échéance. « Le dossier en est […], aujourd’hui, à sa phase terminale, pas forcément la plus difficile mais délicate politiquement surtout en période préélectorale […] : le choix du concessionnaire ». Grimaldi est considéré comme « le favori logique ». « Dakar est notre hub pour l’Afrique de l’Ouest, le second après Anvers […] Nous sommes les seuls à proposer des liaisons en direct vers les Amériques », soulignent les responsables de Grimaldi Sénégal (Le Marin). Le problème pour Grimaldi, note Le Marin, est « qu’il a en face de lui un concurrent de poids avec Bolloré Africa Logistics. Le groupe français n’a toujours pas digéré d’avoir perdu la concession du terminal conteneurs à la fin 2007. Mais cette année-là, un peu trop certain de remporter le marché, il n’avait pas constitué un bon dossier. Une erreur qu’il n’a certainement pas reconduite ».

Le débarquement de Bolloré au môle 2 pourrait préfigurer un « retour en force dans son ancien pré carré » (Le Marin). Ce que les Sénégalais percevraient comme un soutien de Paris à Abdoulaye Wade dans la perspective de la présidentielle 2012. Un scénario à la « guinéenne » (cf. LDD Guinée 030/Vendredi 25 mars 2011) venant conforter Wade dans ses prises de position (participation au G8 à Deauville, soutien à Ouattara, soutien aux « révolutionnaires » de Benghazi…). C’est donc le pire moment pour la distribution des prix. Quoi que… !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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