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En dégageant Anne Lauvergeon, Nicolas Sarkozy entend adouber Henri Proglio comme le maître absolu du nucléaire français

Publié le vendredi 17 juin 2011 à 19h51min

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Personne n’est dupe. Et il y a longtemps que le scénario était écrit. Sauf que les conditions n’étaient pas réunies pour mener à bien l’opération. Dix-sept des dix-neuf membres du comité exécutif de AREVA avaient pourtant, hier (jeudi 16 juin 2011), souligné que « Anne Lauvergeon est la seule personnalité de l’entreprise disposant des compétences et qualités requises pour conduire Areva dans les années à venir ».

Nicolas Sarkozy a confié à son premier ministre, François Fillon, la tâche d’annoncer qu’il « dégageait » celle qui, en dix ans, avait créé le numéro un mondial du nucléaire et s’était imposée, internationalement, comme la meilleure spécialiste de cette industrie. L’information a fait l’effet d’une bombe… atomique. Avant-hier, le mercredi 15 juin 2011, le quotidien Les Echos faisait sa « une » avec une interview de Lauvergeon et personne ne pensait alors que sa succession (en débat depuis plusieurs années) serait décidée aussi brutalement. Et de manière aussi inattendue. On annonçait quelques grands noms de l’industrie pour prendre sa suite ; c’est un quasi inconnu (hors des murs de AREVA) qui s’empare des commandes de l’entreprise grâce au soutien de l’Elysée.

Numéro deux du groupe, recruté voici quatre ans (janvier 2007) par Lauvergeon, Luc Oursel est « soutenu tacitement par EDF et son patron, Henri Proglio » (Les Echos). Or, chacun sait que Proglio est l’homme lige de Sarkozy dans le secteur industriel ; au soir de l’élection présidentielle de 2007, il était à la soirée du Fouquet’s conduit là par son amie Rachida Dati. Il avait été « formaté » dans une perspective affairo-politique au sein de la Compagnie générale des eaux (CGE) devenue Vivendi puis Vivendi Universal sous la férule de Jean-Marie Messier puis, quand Messier était tombé victime de sa mégalomanie, Proglio s’était emparé de Vivendi Environnement dont il fera Veolia avant de se voir confier par Sarkozy la présidence de EDF. Le départ de Lauvergeon n’est rien ; ce qui est significatif, c’est l’arrivée annoncée de Proglio dans toute la chaîne du nucléaire, en amont et en aval de la production d’énergie électrique.

C’est la victoire de Sarkozy qui a donné à AREVA sa dimension médiatique. Chacun reconnaît, désormais, en France et plus encore à l’international, la silhouette de celle qui en était la patronne : Anne Lauvergeon, ex-star (discrète) de la « mitterrandie » (secrétaire générale adjointe de l’Elysée, elle était le sherpa de François Mitterrand) qui, présidente de Cogema (en 1999), a créé AREVA (en 2001) et s’est affirmée à sa tête depuis (elle y avait été reconduite pour cinq ans en 2006).

Normale Sup, agrégation de sciences physiques, ingénieur des mines, Lauvergeon est devenue la star (toujours discrète) industrielle du « sarkozysme », la seule femme à la tête d’une multinationale industrielle française (47.851 salariés ; 9,1 milliards d‘euros de chiffre d’affaires en 2010) dont l’impact mondial est considérable. Révélée par Mitterrand, adoubée par Lionel Jospin (qui l’a portée à la tête de la Cogema), elle était parvenue à subsister et, plus encore, à « exploser » sous Sarkozy alors que, régulièrement, on annonçait sa disgrâce (on l’annonçait déjà sous le « régime » précédent, notamment en 2002 où le nom de son successeur avait été révélé dans la presse).

Quand elle a créé AREVA en regroupant les entreprises de la filière nucléaire française (CEA-Industrie, Framatome, Cogema…), le nucléaire civil n’était pas en vogue et, surtout, ne « communiquait » pas. On se souvient des bafouillages de Sarkozy et de Ségolène Royal sur cette question lors de leur affrontement télévisé à la veille du second tour de la présidentielle. Désormais, l’EPR de troisième génération n’a plus de secrets pour notre président de la République et Lauvergeon a été de toutes les virées internationales du chef de l’Etat, en Amérique, en Asie, en Afrique, au Proche-Orient.

Lauvergeon était un industriel qui connaissait (et pratiquait) le monde politique et savait le poids des réseaux dans la réussite des hommes (et des femmes aussi) d’entreprises. Un industriel stricto sensu, n’ayant rien de people dans son mode de production médiatique (géré par Anne Méaux d’Image 7) et qui ne connaissait qu’une seule limite à son action : elle dirigeait une entreprise stratégique dont l’Etat contrôle le capital. Le défi auquel elle était confrontée était de se développer (donc investir massivement) tout en sauvegardant l’indépendance technologique et stratégique du groupe. Or, un groupe public, dont la performance est mondialement reconnue, suscite nécessairement des envies du côté du « privé ». Plus encore quand une nébuleuse politico-affairiste est en place à l’Elysée. Sarkozy, lorsqu’il était ministre du Budget, était partisan de la privatisation d’AREVA (à laquelle s’était opposé Dominique de Villepin).

A son arrivée à l’Elysée, il avait souhaiter adosser l’entreprise publique à un partenaire privé ; il penchait en faveur d’un ménage à trois : AREVA, Bouygues et Alstom (Bouygues étant déjà partenaire au capital d’Alstom à hauteur de 30 %), la nuit de noce devant être propice à l’exfiltration de Lauvergeon (trop « première de la classe » pour participer à cette « partie ») au gouvernement (à Bercy) ou à la tête de EDF. Lauvergeon, qui avait - pour des raisons industrielles liées au sauvetage d’Alstom au printemps 2003 - des rapports exécrables avec le patron d’Alstom : Patrick Kron (pourtant, lui aussi, du corps des mines), n’a cessé de tergiverser, non sans avoir à affronter l’ire de l’Elysée, Martin Bouygues et Kron étant les amis de Sarkozy (Fouquet’s Men au soir de la présidentielle victorieuse de 2007). Mais la tergiversation a ses limites. L’Elysée s’impatientait et, plus encore, la conjoncture s’affolait : retard pour l’EPR finlandais, rupture avec l’allemand Siemens, besoins accrus de financement…

Lauvergeon, peu encline à remettre son avenir entre les mains d’un groupe industriel privé plus puissant que AREVA, a milité en faveur d’une augmentation du capital. Ou la cession d’actifs non stratégiques. A l’Elysée, dans une conjoncture économique et sociale particulièrement tendue, on a évité de mettre de l’huile sur le feu et de laisser penser que les amis industriels du chef de l’Etat pourraient mettre la main sur le nucléaire.

Sarkozy a donc choisi d’éviter l’affrontement direct, groupe contre groupe. Et a choisi de placer ses hommes auprès de Lauvergeon afin d’endiguer la toute puissance de la « patronne ». Ce sera Jean-Cyril Spinetta tout d’abord (cf. LDD Areva 002/Vendredi 8 mai 2009), qui s’était illustré dans le redressement de Air France, puis André Roussely, ancien patron de EDF (1998-2004), chargé en décembre 2009 d’un rapport sur l’avenir de la filière française du nucléaire civil. Roussely, proche de Proglio, va militer en faveur d’un « partenariat stratégique » entre EDF et AREVA. Ce que Ludovic Dupin dans L’Usine nouvelle (29 avril 2010) traduira simplement : « La France ne veut voir qu’une seule tête dans le nucléaire ». Et nul ne pouvait douter que cette tête était celle du nouveau patron de EDF, Proglio. Or, Lauvergeon faisait de la résistance.

Il y a quelques jours, dans l’entretien accordé à Thibaut Madelin, David Barroux et Nicolas Barré (Les Echos du 15 juin 2011), à la question de savoir comment elle « qualifierait » les relations avec « EDF et son PDG Henri Proglio », Lauvergeon répondait : « Ce sont des relations de grand fournisseur à grand client ». Rien de plus ; rien, surtout, d’un « partenariat stratégique ». Aujourd’hui, la boucle est bouclée. Et trois mois après la catastrophe nucléaire de Fukushima (11 mars 2011), celle qui avait une vision industrielle du nucléaire (compétence et efficacité) cède la place à ceux qui veulent en développer la vision financière (rendement). Pas rassurant.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 7 juillet 2011 à 13:06, par marc En réponse à : En dégageant Anne Lauvergeon, Nicolas Sarkozy entend adouber Henri Proglio comme le maître absolu du nucléaire français

    Moi je crois fortement à ces rumeurs qui laissent penser que Mme.Lauvergeon pour qui j’ai une grande admiration serait déja en contact avec Westinghouse dont les actionnaires souhaiteraient majoritairement qu’elle vienne faire chez eux ce qu’elle a fait avec AREVA.Mr.Proglio, est trop gourmand, ressemble trop à son maître dont les jours sont comptés et finira aux oubliettes dès le mois de Mai 2012.Il ne faut pas mélanger la politique et l’industriel, les soirées du Fouquet’s et les conseils d’administration.Il faudrait surtout que ces gens arrêtent de confondre la hauteur et l’arrogance.
    J’ai renvoyé ma carte de l’UMP en 2008.

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