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Libre information et communication institutionnelle : Jusqu’où peut-on aller ? Et comment ?

Publié le vendredi 17 juin 2011 à 22h49min

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Alain Edouard TraoréIl fallait avoir le courage de le faire et trouver les mots pour le dire. Je ne suis pas certain que Alain-Edouard Traoré, ministre burkinabè de la Communication, Porte-parole du gouvernement, y soit totalement parvenu, mais l’initiative mérite d’être relevée. Dans un contexte politique et social excessivement difficile, Traoré a rencontré, à Bobo Dioulasso, la « presse privée ». C’était le samedi 11 juin 2011.

La ville du Sud-Ouest burkinabè, déjà « conjoncturée » depuis plusieurs années, venait d’être le théâtre d’une mutinerie - une de plus - qui sera, cette fois, rudement réprimée. C’était plus qu’une mutinerie ; une « gangstérisation » de l’action revendicative : saccage, pillage, dévastation... Rien de politique ; rien de social. Si ce n’est l’expression d’un ras-le-bol général que le laxisme ambiant permet d’instrumentaliser. Des morts parmi les mutins, c’est la règle du jeu ; une fillette « victime collatérale », c’est le prix de l’irresponsabilité des uns et des autres.

« Il y a un chantage de la part des gens qui ont des armes et qui croient que l’Etat n’a pas la capacité de maintenir l’ordre », avait commenté Traoré. Commentaire qui fera du bruit ; d’autant plus qu’il sera énoncé sur une chaîne de radio étrangère. Ce n’était pas tant du « chantage » que la prise en otage des populations burkinabè par ceux qui, effectivement, « ont des armes ». On se demande, pourquoi, d’ailleurs, dans ce pays qui n’est pas en guerre mais en crise, il y autant de gens armés et « munitionnés » ; mais ça, c’est une autre histoire ; l’histoire du Burkina Faso !

Quoi qu’il en soit, le samedi 11 juin 2011, l’important n’était pas là. Face à ceux qui n’ont que l’emploi des mots pour dénoncer les maux qui minent le pays, Traoré entendait promouvoir une relation nouvelle. Avec un premier ministre, Luc Adolphe Tiao, ancien journaliste, ancien rédacteur en chef, et qui a été président du Conseil supérieur de l’information (CSI), et un ministre de la Communication, Porte-parole du gouvernement, qui était, précédemment, directeur de cabinet de la présidente du Conseil supérieur de la Communication (CSC) - en l’occurrence Béatrice Damiba, qui est, elle aussi, une ancienne journaliste - il est bien évident que la question de savoir « ce que parler veut dire » devait être posée.

Un slogan sankariste, que l’on entend beaucoup répéter en ce moment, était catégorique : « Un militaire sans formation politique est un criminel en puissance ». Faut-il penser qu’un journaliste sans formation politique est un anti-patriote en puissance ? « Formation politique » signifiant, dans l’un et l’autre cas, « conscience nationale ».

Mais les mots qui pouvaient être employés il y a 35 ans n’ont plus cours aujourd’hui, à Ouaga comme ailleurs. Et le job de journaliste n’a plus rien à voir avec celui qui était exercé à cette époque : il y a désormais non seulement une presse privée mais également une convention collective des journalistes professionnels et assimilés (en vigueur depuis le 6 janvier 2009). Dans son avant-propos à l’occasion de la publication de ce document par le CSC, Béatrice Damiba soulignait que « l’objectif ultime [est] de donner au journaliste toute sa dignité à travers un cadre adéquat et des conditions idoines d’exercice de la profession. Et, enfin, de permettre aux médias privés de prendre toute leur place dans les différentes dimensions de notre processus de développement ».

Dans ces lignes, Damiba rejoint Traoré (ou, plus exactement, Traoré rejoint Damiba) : « prendre sa place dans notre processus de développement ». C’est toute la problématique soulevée par Traoré à Bobo : « Avançons ensemble mais chacun avec sa ligne éditoriale pour le développement du pays », a-t-il affirmé, prônant une « information de proximité » qui soit « une information juste et en temps réel […] sur les actions du gouvernement ».

Dans un pays où il ne doit pas y avoir beaucoup plus de journalistes professionnels qu’au sein de la rédaction du seul groupe français Le Figaro et où les titres significatifs de la presse écrite privée se comptent sur les doigts d’une main, il y a une proximité quasi permanente entre le monde politique et l’univers médiatique ; et les affinités électives régissent, pour l’essentiel, « la recherche, la collecte, la sélection, l’adaptation, l’exploitation et la présentation des informations » (le job du journaliste burkinabè selon la convention collective). D’où un rapport toujours délicat entre « libre information » et « communication institutionnelle ». Jusqu’où peut-on aller ? Comment y aller ?

Le fait qu’il y ait un ministre de la communication (même si ce n’est plus, comme par le passé, un ministre de l’information) et des chargés de communication ici et là, exprime pleinement le fait que l’information n’est pas libre : elle est nécessairement canalisée, expurgée, avalisée… Ce n’est pas vrai qu’au Burkina Faso ; c’est vrai partout dans le monde, y compris dans le monde « occidental » qui se flatte d’être la terre de la liberté de l’information. Il est vrai que les journalistes s’affichant de plus en plus comme des « lobbyistes » (certains vont même jusqu’à revendiquer cette fonction) leur crédibilité est sujette à caution.

Schématiquement, le journaliste recherche l’information que, justement, le communicateur institutionnel rechigne à lui transmettre ; quand il n’entrave pas ses recherches. J’ai toujours été opposé - et je l’ai dit, déjà, lors des Universités africaines de la communication à Ouagadougou (UACO) - à cette égalité : information = communication (« la grande famille de la com »). Dire ce que tout le monde dit - et donc ce que tout le monde sait - n’a pas de sens pour un journaliste ; mais cela reste l’objectif du communicateur. Je réfute également l’affirmation selon laquelle une information brute, non contrôlée et non formatée produite par le net serait une information journalistique. Ne pas être dupe, ne pas être complice, ne pas faire semblant ; mais essayer de comprendre et s’efforcer d’expliquer le monde dans lequel nous vivons.

Le gouvernement burkinabè, quoi de plus normal, a le souci de ne pas se laisser submerger par une information qui va à l’encontre des efforts de développement qu’il entreprend ; plus encore une information qui, bien souvent, selon les instances gouvernementales, résulterait sinon d’une manipulation pour le moins d’une vision tronquée de la réalité. Mais le journalisme est un job* ; une entreprise de presse est, aussi, une entreprise commerciale. Il faut faire avec ; c’est la règle du jeu en vigueur aujourd’hui.

La liberté de la presse n’est pas un acquis ; c’est le résultat d’une lutte incessante dont la condition essentielle - mais pas suffisante - est le professionnalisme du journaliste. Qui s’exerce dans un cadre légal (et, en la matière, le Burkina Faso est plutôt en pointe avec un CSC qui n’est pas un cadre vide et une convention collective qui résulte d’une démarche consensuelle ; mais, bien sûr, en la matière, rien, jamais, n’est parfait).

Je ne sais pas si un ministère de la Communication a encore un sens au Burkina Faso où existe le CSC ; c’est un autre débat. Mais au professionnalisme du journaliste (qui est loin d’être acquis dès lors que ce n’est encore qu’une activité « généraliste » ; combien y a-t-il de journalistes économiques au Burkina Faso ?) doit correspondre le professionnalisme des cadres politiques ; cette « conscience nationale » que j’évoquais tout à l’heure. Le gouvernement a, en matière d’information, le droit d’avoir des exigences ; les journalistes ont, eux aussi, le droit d’en exprimer : l’accès aux sources d’information primaire en est une. Les ministres y sont-ils prêts ?

Jean-Pierre BEJOT
A Dépêche Diplomatique

* André Breton, Léon Trotsky et Diego Rivera, dans leur Manifeste pour un art révolutionnaire indépendant (25 juillet 1938), citaient Karl Marx : « La première condition de la liberté de la presse consiste à ne pas être un métier ». C’était une évidence au XIXème siècle ; cela reste une évidence au XXIème siècle, mais une incohérence sociale. Hélas.

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