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Ibrahima Fall, candidat à la présidentielle sénégalaise 2012. Pour un « mandat de transition » !

Publié le mardi 14 juin 2011 à 20h16min

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Il ne reste que peu mois avant une échéance cruciale pour les Sénégalais. La présidentielle se déroulera en février 2012 ; et chacun sait qu’elle fait l’objet d’un débat majeur qui tient en quatre lettres : W.A.D.E. Pour l’opposition, Abdoulaye Wade, qui aura bouclé deux mandats, n’est plus, constitutionnellement, en position d’être éligible ; ensuite, elle rappelle qu’il vient de fêter ses 85 ans ; enfin, elle affirme que Wade prépare sa succession… au profit de son fils, Karim.

Le « Vieux » balaye du revers de la main cette polémique : « Je suis le seul président en état perpétuel de grâce. L’usure du pouvoir ne s’applique pas à moi. C’est un phénomène spécial lié à ma personnalité, à mon charisme, car je ne suis pas un baratineur mais un homme d’action […] Mais je pense déjà à ma succession. Je regarde autour de moi. Il est difficile de trouver chez quelqu’un les qualités d’un homme d’Etat. Mon successeur devra être intelligent, imaginatif, charismatique mais, surtout, populaire. On ne peut pas nier le rôle des personnalités dans l’histoire » (entretien avec Sylvain Rolland, La Tribune du 22 avril 2011). C’est un leitmotive chez Wade qui, toujours, conteste le « déterminisme historique » de Karl Marx (les fameuses « lois de l’Histoire ») pour réaffirmer, sans cesse, tout au contraire, « le rôle des personnalités ».

Une nouvelle « personnalité » vient, justement, de faire son apparition affirmant, le jeudi 9 juin 2011, qu’elle était candidate à la présidentielle de 2012. Ce n’est pas une personnalité politique majeure, loin de là, mais ce n’est pas un inconnu… pour ceux qui ont mon âge. Ibrahima Fall est né à Tivaouane (à une vingtaine de kilomètres au Nord-Est de Thiès) en 1942 (il aura donc 70 ans l’année de la présidentielle !) et un parcours intellectuel remarquable : BEPC (1960), Bachot (1963), licence en droit public à Dakar (1967), DES de droit public à l’université Paris I-Panthéon Sorbonne (1969), diplômé de Sciences Po-Paris (1970), doctorat d’Etat toujours à Paris I (1972), agrégation de droit public et science politique (1974). A compter de 1969, il entame une carrière d’enseignant du supérieur à l’université d’Amiens puis à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) où il sera nommé professeur titulaire en 1978. De 1975 à 1981, il sera le doyen de faculté des sciences juridiques et économique de l’UCAD.

Cet universitaire est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages de droit constitutionnel et de science politique. Il fera même une incursion du côté de la politique française avec un livre intitulé : « Démocratie et développement dans la politique africaine de François Mitterrand ». Mais, selon moi, le plus intéressant s’intitule : « Sous-développement et démocratie multipartisane : l’expérience sénégalaise » (Nouvelles éditions africaines, Dakar-Abidjan). Un petit livre d’une centaine de pages publié en 1977 (je rappelle que le multipartisme, au Sénégal, remonte à 1974) qui traite des tensions qui s’exercent entre la « société civile » et la classe politique en charge de la gestion de l’Etat dont « l’autorité » est remise en question « par le manque de civisme, l’aggravation des délits sociaux, la persistance des détournements de deniers publics, le développement de la corruption, la crise profonde de l’école sénégalaise, l’inefficacité d’une administration bloquée par de nombreux goulots d’étranglement » (cité par Momar Coumba Diop et Mamadou Diouf dans « Le Sénégal sous Abdou Diouf », Karthala, Paris, 1990).

Diouf a pris la suite de Léopold Sédar Senghor en 1981. En 1983, Fall est nommé ministre de l’Enseignement supérieur et, à compter du 9 octobre 1984, ministre des Affaires étrangères. A la tête de la diplomatie, il remplaçait Moustapha Niasse, évincé du gouvernement après une altercation trop « physique » avec Djibo Kâ, alors ministre de l’Information. Ce sera une période de « recentrage de la politique extérieure du Sénégal » marquée par la présidence sénégalaise de l’OUA en 1985 (Afrique australe et apartheid, affaire du Sahara occidental, crise tchadienne…), le « différend entre le Sénégal et la Mauritanie », la perspective du marché unique européen fin 1992, la chute du mur de Berlin… En 1990, Fall va quitter le gouvernement et entamer une carrière onusienne : sous-secrétaire général aux droits de l’homme de l’ONU et directeur général adjoint de l’Office des Nations unies à Genève (1992-1997), sous-secrétaire général aux affaires politiques de l’ONU à New York en charge des affaires politiques africaines (1997-2002), sous-secrétaire général et représentant spécial du secrétaire général de l’ONU (Kofi Annan) pour la région des Grand Lacs à Nairobi (2002-2007). Il revient alors à Dakar et sera nommé envoyé spécial du président de la Commission de l’Union africaine pour la Guinée.

Fall est donc candidat à la présidentielle 2012. « Candidat libre de large consensus » a-t-il précisé lors de la conférence de presse organisée à cette occasion. C’est, dit-il, que le pays est confronté à une « crise qui affecte, chaque jour davantage, tous les citoyens et tous les secteurs d’activité, et que cette crise risque de précipiter notre nation dans le chaos si rien n’est fait, rapidement, pour redresser la situation ». S’il ne dit pas que, selon lui, « la République est en danger », c’est aux « patriotes » qu’il « lance un appel pressant ». Son programme, dit-il sera « adossé » aux Conclusions des Assises nationales et à la Charte de gouvernance démocratique. Rien de révolutionnaire, rien de nouveau dans l’attente des « 111 propositions » qui doivent « mettre un terme à la situation actuelle de déliquescence morale et de détérioration continue de nos conditions sociales et économiques de vie » afin que les Sénégalais soient « les acteurs de [leur] propre développement ».

Fall est un « candidat libre ». Mais activement soutenu par le Groupe d’initiatives solidaires et citoyennes (GISC) dont le « coordonnateur » est le professeur Babacar Diop dit Buuba, médiateur au sein de l’UCAD. Buuba s’est illustré, voici quelques mois, à l’occasion de la tenue à Dakar du Forum social mondial (FSM) - 6-11 février 2011 - dont il a été un des organisateurs. A cette occasion, il avait déclaré : « Notre espoir, c’est la Tunisie, l’Egypte. Notre préoccupation, c’est la Côte d’Ivoire et d’autres foyers de tension en Afrique. Il faut y croire. Il faut compter sur nos propres forces pour régler les problèmes avec le soutien des autres amis du monde. Il faut beaucoup d’audace ». Commentant la candidature de Fall, Buuba a souligné que « si Abdoulaye Wade maintient sa candidature, il y aura trop de problèmes dans la tenue de l’élection présidentielle de 2012. Le mieux pour lui, a-t-il poursuivit, est d’organiser des élections transparentes et d’aller faire valoir son droit à la retraite dans la mesure où il a fait deux mandats et prouvé tout ce qu’il peut aux Sénégalais ». Buuba milite en faveur d’un « mandat de transition », prenant en compte, nécessairement, l’âge de Fall. Il s’agirait de « refonder la société, réinstaurer les institutions de la République, lutter contre le chômage des jeunes… ».

Pour justifier son soutien à Fall, il prend en compte l’expérience onusienne de l’ex-ministre des Affaires étrangères : « Il a joué le même rôle en RDC et, récemment, en République de Guinée. Pourquoi ne pourrait-il pas le faire pour son propre pays ? ».

Bonne question. Reste à savoir si elle se pose ; et, surtout, si elle se pose en ces termes. « Société civile » contre classe politique, tous partis confondus. Ou ce qu’il en reste tant il est vrai que le PS se dilue dans une nébuleuse qualifiée d’opposition tandis que le PDS s’émiette chaque jour davantage. Il y a surtout que Wade demeure omniprésent et qu’à quelques mois de la présidentielle il ne donne pas l’impression, bien au contraire, de vouloir lâcher la barre. Et, surtout pas, d’être contraint de le faire.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatiaque

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Vos commentaires

  • Le 24 juin 2011 à 09:00, par Potin Diémé En réponse à : Ibrahima Fall, candidat à la présidentielle sénégalaise 2012. Pour un « mandat de transition » !

    Je vous remercie à vous tous, de bien vouloir vous occuper à faire connaître à travers le net, aux jeunes générations qui ne connaissent pas Ibrahima Fall . Quant aux générations plus âgées qui le connaissent (et dont je fais partie), notre morale ne nous laissera pas tranquille tant que l’on ne dit pas à ces jeunes que Ibrahima Fall, cette modeste personnalité, est en effet un rare diplomate exemplaire ; un rare privilège que notre pays a aujourd’hui pour le placer à la tête de l’Etat.
    Si on ne le leur dit pas et qu’ils le découvre d’eux-même trop tard, ils auront bien droit de nous en vouloir.

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