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La mort de Michel Lajus, ancien ministre d’Etat de « Monsieur Maurice ».

Publié le samedi 11 juin 2011 à 14h23min

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Je l’avoue. J’ai bien failli passer à travers l’info. Certes, le nom me disait quelque chose, mais difficile de me rappeler pourquoi. Michel Lajus, préfet honoraire, ancien administrateur de la France d’Outre-Mer, chevalier de la Légion d’honneur, est mort le 26 mai 2011 à l’âge de quatre-vingt-trois ans. Il a été inhumé le 1er juin 2011 au cimetière de Libourne. Il avait été admis, à sa demande, à faire valoir ses droits à la retraite le 15 mars 1990. Et, depuis, il s’était installé dans sa maison du Var, la Villa Madinina (sans doute un clin d’œil a son épouse qui se prénomme Mady).

J’avais mis l’info de côté et puis, en rangeant mes dossiers sur le Burkina Faso, je suis tombé sur le « papier » que Michel Lajus avait rédigé en 1959 sur « l’évolution politique et économique de la République voltaïque » quand il était ministre d’Etat chargé de la Coordination générale, de l’Information et de l’Assistance technique. Un « papier » auquel j’avais déjà, par le passé, fait référence mais que j’avais perdu de vue.

Tout comme j’avais perdu de vue Lajus. Dommage, on perd ainsi la trace des gens qui sont des « mémoires » et on a bien du mal, ensuite, à recoller les morceaux de l’Histoire alors qu’ils auraient pu raconter ce qu’ils en savaient. Et Lajus appartient, justement, à l’Histoire de la Haute-Volta. Il y a débarqué en novembre 1952. Il a vingt-quatre ans ; il est élève administrateur de la France d’Outre-Mer. Après avoir parcouru le pays pour s’y former, il va être nommé chef de « la subdivision des Lacs à Kongoussi, pays mossi, province du Yatenga » (aujourd‘hui province du Bam).

Kongoussi se trouve à 112 kilomètres au Nord de Ouagadougou. Lajus va y rester « deux années pleines ». Il va, dira-t-il, y introduire la culture du coton avec le soutien de la CFDT, la société français d’encadrement de ce secteur d’activité, et y promouvoir la démocratie qui, selon lui, se résumerait en une simple formule : « un homme, une voix et le secret du vote ». Il va se heurter alors, racontera-t-il, aux actions menées par le capitaine Michel Dorange, qu’il décrira comme un « Lawrence d’Arabie » d’Afrique, personnage charismatique auprès des « tirailleurs sénégalais » qui s’opposait « à l’administration française et à la chefferie traditionnelle » (Lajus).

Dorange était un saint-cyrien qui, en 1939, se trouva à commander des « Tirailleurs » originaires de Haute-Volta. Sauvé par l’un d’entre eux, il aurait promis d’aller s’installer au cœur de l’Afrique de l’Ouest. En mai 1945, il se retrouva donc chef du bureau militaire de Ouahigouya et va devenir une figure incontournable dans la région ; il se fera élire conseiller de l’Union française en 1947. En juillet 1956, Dorange - politiquement allié en France aux « gaullistes » du RPF, le parti fondé par Jacques Foccart - va s’associer avec le député Gérard Kango Ouédraogo pour constituer le Mouvement démocratique voltaïque (MDV) qui va devenir, tout à la fois, le concurrent et l’allié du PDU (transformé en 1957 en section territoriale du RDA) le parti de Ouezzin Daniel Coulibaly (un PDU) promu vice-président du Conseil de gouvernement (le président étant le gouverneur Yvon Bourges) le 18 mai 1957, gouvernement de « coalition » PDU-MDV dans lequel Dorange obtenait le portefeuille de ministre de l’Intérieur. Dorange allait conserver ce poste jusqu’au remaniement du 6 février 1958 qui faisait suite à la démission des ministres MDV ; c’est Maurice Yaméogo qui se le verra, alors, attribué.

Maurice Yaméogo ne cessait d’évoluer alors entre le PDU et le MDV. En 1957, après que des négociations secrètes aient échoué avec le PDU, il avait permis à son parti, le MDV, de rafler les six sièges de Koudougou. Par la suite, il se désolidarisera de ses partenaires. En novembre 1957, Lajus sera nommé adjoint au commandant de cercle de Koudougou, le fief de Yaméogo. Quand Coulibaly nommera Yaméogo ministre de l’Intérieur (numéro deux du gouvernement), Lajus sera son directeur de cabinet. Salfo-Albert Balima (qui considérait Dorange comme « un père adoptif ») dans Légendes et histoires des peuples du Burkina Faso (éditions J.A. Conseil), écrira, commentant les événements de 1958, « l’expérience avait été démontrée que, pour prendre et tenir les rênes du pouvoir, ce qui comptait c’était moins la volonté du peuple, démocratiquement exprimée par ses représentants, qu’un farouche et tenace désir de se maintenir coûte que coûte […] C’est pourquoi, en Haute-Volta, dès le démarrage, la démocratie était mal partie, du moins au regard de tous ceux pour qui la démocratie est quand même plus qu’une curée dont les convives aux longs couteaux s’observent, en festoyant, une main dans la bouche et une main dans le pommeau des dagues et des poignards ».

L’année 1958 sera dense : à la suite du 13 mai, De Gaulle avait conquis le pouvoir à Paris et du 2 au 5 septembre s’était tenu à Ouagadougou le congrès du RDA. Le 6 septembre 1958, Ouezzin Coulibaly mourait à Paris.

Lajus s’était rendu auprès du malade, à l’hôpital Saint-Antoine, en août. Il en avait ramené, écrira-t-il, deux informations : il fallait d’abord que le leader guinéen Ahmed Sékou Touré fasse voter « oui » au référendum constitutionnel (Ouezzin avait réuni à son chevet les leaders de l’Afrique de l’Ouest pour les « exhorter » à soutenir la politique africaine de De Gaulle afin de souvegarder « l’unité des divers territoires d’AOF et d’AEF ») ; il fallait ensuite que Yaméogo prenne sa suite.

Sékou Touré fera voter « non » au référendum mais « Monsieur Maurice » deviendra président du Conseil du gouvernement le 24 octobre 1958. Lajus sera son conseiller technique. Lors du remaniement du 1er mai 1959, Yaméogo le nommera secrétaire d’Etat à la présidence du Conseil, chargé de la Coordination générale et de l’Information. Lajus dira qu’il va alors « aider à la prise de conscience d’une identité nationale voltaïque », créant notamment l’hebdomadaire Carrefour africain.

Le 31 juillet 1959, il sera nommé ministre d’Etat et se verra attribuer, en plus de ses fonctions précédentes, « l’Assistance technique » (pour l’anecdote, c’est lui qui a embauché le « boy cuisinier » Georges N. Sawadogo, et l’introduira au palais où il va cuisiner pour les « patrons », de Yaméogo à Blaise Compaoré - cf. Jacques Théodore Balima dans Fasozine du 5 janvier 2011).

Au cours de l’été, « Monsieur Maurice » étant en vacances en France métropolitaine, c’est Lajus qui assurera son intérim à la présidence du Conseil. Ayant pris attache avec son ministre de tutelle, Louis Jacquinot, Lajus aura pour mission de « demeurer [au gouvernement] le plus longtemps possible pour éviter que [son] départ n’ouvre des ambitions du côté russe ou du côté américain ». Mais le 1er janvier 1961, il quittera l’équipe gouvernementale devenant, pour six mois, inspecteur des affaires administratives au titre de la coopération. Il aura, entre temps, étant titulaire du passeport voltaïque numéro 2, initié la première mission diplomatique de la République de Haute-Volta en Israël (septembre-octobre 1960) dont il voulait faire un modèle de développement.

« Monsieur Maurice » lui proposera par la suite le poste de secrétaire général du gouvernement qu’il refusera. De retour en France, Lajus fera une belle carrière dans la préfectorale (en 1972, Foccart proposera à Pierre Messmer, alors premier ministre, de le nommer haut-commissaire aux Comores). A noter qu’il revendiquait être co-inventeur de la découverte, en février 1964, de l’épave de La Boussole, le navire de l’expédition La Pérouse, échouée sur l’île de Vanikoro, en Océanie, en 1788.

En 1959, ministre d’Etat, Lajus écrivait : « Ce sont surtout les réformes d’ordre politique qui, compte tenu de la pauvreté économique, hélas ! trop réelle, du pays, ont marqué l’évolution récente de la Haute-Volta ». Je me demande si, un demi-siècle plus tard, son diagnostic n’est pas encore d’actualité.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 15 juin 2011 à 11:33, par Delphine SOUFFRE-LAJUS En réponse à : La mort de Michel Lajus, ancien ministre d’Etat de « Monsieur Maurice ».

    Bonjour,

    Merci pour ce bel article au sujet de mon grand-père.
    Je peux en témoigner, son vécu en Haute-Volta l’a profondémment marqué. Il avait à coeur de partager son expérience si riche tant au niveau politique et démocratique que culturel et humain, au "pays des hommes intègres", lui qui a toujours rejeté la corruption.
    Avez-vous lu son ouvrage L’Evolution Politique et Economique de la Haute-Volta, publiée par le Ministère de l’Information de la République de Haute-Volta et réalisé par les Editions Herclerc de Libourne ?
    Par ailleurs, la famille de Michel Lajus et dont nous ses petits-enfants, étant attachés à son vécu et sa mémoire, n’hésitez pas à me contacter si vous avez connu de près ou de loin mon grand-père ou si vous souhaitez nous transmettre une copie d’un témoignage ou autre document d’époque.
    Vous pouvez m’écrire à : delphinesouffre[AT]gmail.com

    Bien cordialement,
    Delphine Souffre-Lajus, petite-fille de Michel LAJUS.

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