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Cameroun : que va faire Paul Biya de sa victoire ?

Publié le vendredi 1er octobre 2004 à 06h39min

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A deux semaines du premier tour de la présidentielle 2004 au Cameroun, je peux sans risque d’erreur annoncer que le vainqueur en sera Paul Biya.

Je viens de poser la question à une femme d’affaires camerounaise pour savoir qui, selon elle, sera son challenger. La réponse n’a pas tardé : "Biya sera premier et deuxième. Il n’y a personne d’autre que lui".

Ce n’est pas qu’elle soit RDPC, le parti présidentiel (elle se refuse à participer à toute consultation électorale présidentielle). C’est qu’elle considère que cette élection est un non-événement. Elle n’est pas la seule.

4.634.529 électeurs se sont inscrits sur les listes électorales pour une population estimée supérieure à 16 millions d’habitants. C’est dire que la présidentielle n’est pas la préoccupation des Camerounais dont plus de 40 % d’entre eux vivent, il est vrai, sous le seuil de la pauvrete.

Le Cameroun fait illusion. Croissance soutenue ; inflation contenue ; quelques entreprises significatives au plan sous-régional ; des hommes d’affaires (toutes sortes d’affaires) à profusion. Mais une vie politique atone. Le pays ne manque pas de leaders ; mais les leaders manquent de troupes : ils n’ont que des clients. Et dans ce schéma, pour avoir de la clientèle, il vaut mieux être au pouvoir, derrière le comptoir, que dans l’opposition, à la porte de la boutique.

Le génie camerounais est tel que le pays donne l’impression de tourner. En rond ! La production pétrolière est en chute libre, divisée par deux depuis 1990 (moins de 4 millions de tonnes actuellement) ; l’activité industrielle est réduite, pour l’essentiel, à la production de bière et d’aluminium ; l’agriculture parvient à tirer son épingle du jeu grâce à l’extrême diversification de ses productions : cacao, café (y compris arabica), coton, caoutchouc, bananes, etc... Si on ajoute à cela l’élevage, l’exploitation forestière et la pêche, on constate que le Cameroun est un pays béni des Dieux. Et que les Dieux l’ont sans doute abandonné.

Il ne reste que Paul Biya. 71 ans depuis le 13 février 2004. Président de la République depuis le 6 novembre 1982. Héritier constitutionnel de Ahidjo, il sera élu en 1984, réélu en 1987, en 1992 et en 1997. Avec 92,54 % des voix (une majorité de partis politiques avait appelé au boycott) lors de cette dernière élection ! Mais il est vrai que ne votent, pour l’essentiel, que les électeurs favorables à Biya.

En plus d’une douzaine d’années, de 1992 à 2004, le nombre des électeurs inscrits est passé de 4,2 millions à 4,6 millions ; une progression qui ne prend pas en compte la progression démographique mais traduit la désaffection des Camerounais pour cette élection. Sur les 46 candidats ayant déposé un dossier, 16 ont été retenus mais il faut être très motivé pour en trouver la liste. Et plus motivé encore pour connaître leur programme. Si tant est qu’ils en aient un. Et qu’il soit, alors, significatif.

Si on excepte quelques grosses pointures de l’opposition camerounaise, qui occupent la scène politique depuis quelques décennies maintenant (John Fm Ndi, Adamou Ndam Njoya), il faut bien reconnaître que le listing des candidats propose plutôt le pire que le meilleur. Ce qui fait dire aux fans du chef de l’Etat que le meilleur candidat est le candidat-président. Il est au pouvoir depuis 22 ans, a survécu à des événements politiques majeurs (tentatives de coup d’Etat, manifestations violentes, villes mortes, émeutes, etc...) et à des crises économiques d’ampleur. Comme il le dit lui-même, il est là pour toujours !

Il est vrai que l’opposition, qui ne se regroupe (Coalition nationale pour la reconstruction et la réconciliation, la CNRR, ou Front des forces alternatives, le FFA) qu’à l’avant-veille des élections pour se séparer la veille, lui facilite bien la tâche. Et que Biya ne manque pas d’un savoir-faire politique qui se résume en trois mots : laisser faire ; laisser dire ; verrouiller le système.

Alors le peuple camerounais tente de survivre dans les plantations (salariés des plantations agro-industrielles ou petits planteurs) tandis que dans les villes il s’efforce de récolter les miettes de la prévarication qui fait fonctionner le système. Pendant ce temps, les leaders politiques font et refont le Cameroun laissant passer, les unes après les autres, les échéances majeures, incapables de construire une force alternative.

Après 22 ans au pouvoir, il ne reste rien de la politique de "Renouveau" (cf LDD Cameroun 02 à 06/Lundi 4 au Vendredi 8 novembre 2002) prônée par Paul Biya au lendemain de son accession à la présidence de la République à la suite de la démission de son patron (Biya était alors premier ministre) Ahmadou Ahidjo. Mais il ne reste pas grand chose non plus des acquis du Cameroun avant l’indépendance et sous les 22 ans de pouvoir de son premier président.

Sous Ahidjo, l’investissement productif avait été freiné par l’obsession sécuritaire du chef de l’Etat (compte tenu de la pression longtemps maintenue par la rébellion armée de l’UPC) qui, du même coup, avait limité les déplacements intra-camerounais autrement que par la voie aérienne. Mais les entreprises industrielles et agro-industrielles créées avant l’indépendance avaient poursuivi leur croissance : brasseries de SABC, usine de production et de transfonnation d’aluminium de Alucam et Socatral, complexe textile de Cicam, etc...

Sous Biya, le développement des infrastructures a fait un bond considérable en avant mais n’a pas induit, pour autant, l’émergence de nouveaux pôles d’investissement si l’on excepte le cas particulier de Kribi, terminal de l’oléoduc permettant d’évacuer le brut produit par le Tchad. Bien au contraire, des sites industriels comme Edéa ou agro-industriels comme Maroua-Garoua ont perdu leur vitalité.

Ce qui reste du secteur étatique est moribond et l’investissement privé est freiné par l’insécurité juridique et judiciaire" dénoncées par le patronat camerounais (cf Cameroun Ol/Vendredi 22 novembre 2002). Les ressources pétrolières s’amenuisent, le secteur touristique ne décolle pas et les activités de service, au mieux, stagnent.

Biya comptait sur la rétrocession par le Nigeria de la péninsule de Bakassi mais Obasanjo traîne les pieds pour appliquer les décisions de la Cour de La Haye. Bakassi n’est qu’une terre marécageuse mais sa possession donne des droits sur les gisements pétroliers du golfe de Guinée. Avec un baril qui flirte avec les 50 $ cela donne à réfléchir. D’autant plus que Bakassi pèse lourd dans la balance politique, aussi bien du côté de Yaoundé que de Abuja.

Cette question de souveraineté (et on sait combien les Camerounais sont des ultra-nationalistes) va être un des premiers dossiers que le président Biya, réélu le lundi Il octobre 2004, va devoir résoudre. Tout comme la question de ses relations avec Malabo, envenimées à la suite de l’expulsion de milliers de Camerounais installés depuis longtemps en Guinée équatoriale et qui se sont trouvés dans le colimateur après la mise au jour d’une tentative de coup d’Etat.

Biya n’aime pas plus l’action diplomatique que la communication. Mais il sait être prudent et, surtout, très patient. Les Camerounais, dans leur ensemble, ne lui reconnaissent aucune autre qualité que de sauvegarder le pays de confrontations extérieures et, plus encore, de déchirures intérieures. Avec 250 tribus qui, depuis toujours, se méprisent les unes les autres, le Cameroun a des allures de baril de poudre. Jusqu’à présent le pays a échappé au pire. Mais les marges de manoeuvre de Biya V se réduisent : il est vieillissant, tout comme sa classe politique. Et les belles années du Cameroun sont désonnais lointaines.

Biya est assuré de régner plus longtemps que son prédécesseur, père de la Nation. Mais pour cela, il devra donner des gages aux Nordistes qui le soutiennent aujourd’hui. C’est ainsi que Marafa Hamidou Yaya, patron de la "présidentielle 2004" (il est ministre d’Etat, ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation), pourrait bien ainsi se trouver à la tête du prochain gouvernement !

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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