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Jean Ping préside l’Assemblée générale de l’ONU : l’Afrique francophone à l’honneur. Et à la tâche ?

Publié le jeudi 30 septembre 2004 à 07h19min

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Jean Ping

Mardi 14 septembre 2004. Troisième mardi de septembre. Ouverture de la session de l’Assemblée générale des Nations unies. Présidée par Jean Ping, ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères, de la Coopération et de la Francophonie. C’est un événement pour le Gabon. Et pour l’Afrique francophone.

Si, jusqu’à présent, huit Africains ont présidé l’Assemblée général des Nations unies, il n’y a eu que trois francophones dont deux maghrébins (Mongi Slim pour la Tunisie en 1961 et Abdelaziz Bouteflika pour l’Algérie en 1974). La seule fois où l’Afrique noire a été appelée à cette responsabilité, c’était il y a dix ans avec Amara Essy, ministre des Affaires étrangères de Côte d’Ivoire.

Amara Essy (qui avait été, pendant dix ans, le représentant de son pays auprès de l’Onu), lors de son discours d’ouverture, le mardi 20 septembre 1994, n’avait pas hésité à citer Albert Camus, à l’adresse des Africains : "Alors qu’ils pouvaient tout, ils ont osé si peu... ". Il avait pris la présidence de l’Assemblée générale dans un contexte difficile.

La communauté internationale était encore traumatisée par le génocide au Rwanda et la situation catastrophique dans les Balkans. Les Etats-Unis allaient intervenir en Haïti (pour remettre Aristide au pouvoir). Arafat, Rabin et Pérès allaient obtenir le Nobel de la Paix. Pour le reste, c’était déjà la Tchétchènie et la résistance à l’occupation russe ; le terrorisme (en France mais aussi en Algérie, où se multipliaient les assassinats de la population et des personnalités civiles, en tout premier lieu des journalistes, et au Japon avec l’attaque au gaz sarin dans le métro de Tokyo).

1995, ce serait aussi le 50ème anniversaire des Nations unies ! Et l’occasion d’aborder l’éternelle question de la réforme des institutions multinationales : élargissement du Conseil de sécurité ("Mais pas inconsidérément, précisait Essy Amara [...] La difficulté est de concilier ce souci de représentativité de tous les continents et l’efficacité nécessaire à un organe décisif dans le système ’) ; remise en question du droit de veto ("La question est de savoir si un seul pays peut bloquer le système ou si ce droit de veto, pour être concrétisé, doit relever de deux ou trois pays afin d’éviter les abus et le pouvoir exorbitant donné à un seul pays d’empêcher l’adoption d’un compromis ’).

Tirant le bilan de son action, le ministre ivoirien avait déclaré alors : "En étant président
de l’Assemblée générale, j’ai été placé au coeur des problèmes, qu’il s’agisse du fonctionnement interne ou de l’action générale. J’ai été à l’écoute des Etats membres et, ainsi, à la croisée de pas mal de problèmes. J’ai eu l’occasion de visiter une cinquantaine de pays. Il m’appartient maintenant de mettre cette expérience au profit de mon pays et de l’Afrique. Les problèmes diplomatiques auxquels j’ai été confronté sont devenus plus délicats qu’ils ne l’étaient auparavant. Pendant la période de la guerre froide, il suffisait de consulter les présidents de groupe pour avoir le pouls de l’Assemblée générale. Depuis quelques années, ces liens de solidarité à l’intérieur de chaque groupe n’existent plus. Maintenant, il faut à chaque fois consulter une centaine de pays".

Amara Essy aura l’occasion" de mettre [son] expérience au profit de [ son] pays et de l’Afrique". Pas touj ours avec succès. Il a été candidat à la succession de Boutros Boutros-Ghali au poste de secrétaire général des Nations unies. C’est le ghanéen Kofi Annan qui l’a emporté. Il a été candidat au poste de secrétaire général de l’OUA. C’est le tanzanien Salim Ahmed Salim qui sera réélu. Essy va s’investir dans la recherche d’une solution à la crise en Guinée-Bissau où le général Mané a pris le pouvoir (commentaire de Essy : "Une rébellion n’a aucun droit à renverser un président légalement élu", paroles qui résonnent étrangement à peine plus d’un an avant qu’une autre rébellion ne renverse un autre président légalement élu : celui de Côte d’Ivoire !).

Amara Essy va également se préoccuper de la situation en Sierra Leone pour amener à la table des négociations le président Kabbah et les chefs de la rébellion ("On ne peut pas faire indéfiniment la guerre ! Le dialogue est inéluctable" dira-t-il). Après le 24 décembre 1999, Essy va se trouver confronté à une autre crise : celle qui bouleverse son pays. Le diplomate poursuivra un jeu très diplomatique. Robert Gueï en fera son émissaire auprès du président algérien Bouteflika, président en exercice de l’OUA, afin de le persuader que la Côte d’Ivoire retournerait en octobre 2000 dans la légalité républicaine et qu’il convenait que le pays ne soit pas exclu du sommet africain de cette année-là.

En juillet 2001, Essy sera élu secrétaire général de l’OUA avec pour mission de la transformer en Union africaine (UA). Il sera candidat au poste de président de la Commission de l’UA mais sera battu par l’ancien président malien Alpha Oumar Konaré. Depuis septembre 2003, il est dégagé de tout mandat et travaille comme consultant international. Le 20 décembre prochain, il aura 60 ans. Il a entrepris de rédiger ses mémoires.

Dix ans après qu’il ait présidé l’Assemblée générale des Nations unies, il est délicat d’établir un bilan de l’action menée par Amara Essy. Globalement, le diplomate ivoirien s’en est mieux tiré que son pays, que l’Afrique francophone en particulier et l’Afrique en général. Mais ce bilan est lié à l’absence de position diplomatique forte du chef de l’Etat ivoirien (Henri Konan Bédié) quand Essy était à New York. Cela a été un rendez-vous manqué avec l’Histoire.

Omar Bongo Ondimba et Jean Ping ont procédé autrement. Ping a systématiquement organisé et structuré sa démarche. Avec un livre, tout d’abord, qui visait à positionner Bongo et le Gabon sur la scène diplomatique internationale. Cela s’est appelé "Mondialisation, Paix, Démocratie et Développement en Afrique.. l’expérience gabonaise", préface de Hubert Védrine (cf LDD Gabon 03, 07 et 08/Jeudi 14 novembre 2002, Mardi 28 et Mercredi 29 janvier 2003).

Le ministre gabonais des Affaires étrangères a, par ailleurs déjà sillonné la planète. Washington, Moscou, Londres, Paris, Pékin. Les cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité. Il s’agissait d’informer et de s’informer. Ping sait qu’il ne va pas révolutionner les Nations unies. Mais il veut que le Gabon et l’Afrique noire y laissent leurs empreintes. Pour y parvenir, il va se battre sur deux fronts.

Premier front : celui de la réforme des Nations unies. Il s’agit de revitaliser l’Assemblée générale et de poursuivre le débat sur le droit de veto et l’élargissement du Conseil de sécurité" en tenant compte de ce que veulent les Etats membres". Ping rappelait récemment que si aucun consensus ne se dégageait sur la question controversée du droit de veto, il n’en était pas de même pour ce qui concerne l’élargissement du Conseil de sécurité. 15 membres y siègent depuis 1963 ; selon Ping, le chiffre ad hoc se situe entre 20 et 27 ; il propose 24. Avec, bien sûr, la perspective pour l’Afrique d’être représentée, de façon permanente, en son sein.

Mais la réforme des Nations unies n’est pas le seul front sur lequel le Gabon entend être présent. Affirmant que l’Afrique est "le continent le plus des hérité et connaissant le plus de guerres et de crises", Ping entend aussi pleinement s’investir dans la résolution des crises, un domaine d’activité dans lequel le Gabon a un réel savoir-faire et une longue expérience. Sans oublier d’être un partenaire privilégié du Brésil sur la question essentielle de la lutte contre la pauvreté et le financement du développement.

C’est dire que le Gabon entend donner un caractère plus opérationnel que protocolaire à sa présidence de l’AG des Nations unies. L’Afrique ne peut que se réjouir qu’il en soit ainsi. Et soutenir une présidence qui doit, cette fois, lui profiter !

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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