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A Yamoussoukro, l’Elysée affirme sa grande proximité avec le président Alassane Ouattara. Il va falloir, maintenant, gérer tout cela

Publié le lundi 23 mai 2011 à 18h03min

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La photo est étonnante. Elle est signée Elodie Grégoire pour le JDD. Elle a été publiée ce matin (dimanche 22 mai 2011) dans Le Journal du Dimanche. Au premier plan, Alassane Ouattara donne l’accolade à Abdoulaye Wade. Au second plan, Dominique Ouattara et Nicolas Sarkozy, yeux dans les yeux, se tiennent les mains et semblent se dire : « Nous y sommes enfin parvenus ! Désormais, nous pouvons compter l’un sur l’autre ».

La photo est d’autant plus saisissante que Ouattara et Wade sont de la même taille ; tout comme Dominique et Nicolas. Elle illustre un changement considérable dans les relations franco-ivoiriennes et intra-ouest-africaines. Dakar-Abidjan et Abidjan-Paris ; ce qu’en bon « matheux », Wade traduirait par Dakar-Paris. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Et Sarkozy l’a dit sans ambages : « C’est une nouvelle politique que nous mettons en œuvre, et même une nouvelle politique étrangère que notre engagement en Côte d’Ivoire a illustrées ces derniers mois ». On ne peut pas être plus clair.

Sarkozy a passé deux fois moins de temps en terre ivoirienne que dans les airs pour faire un aller-retour express. Mais significatif. Il était le seul chef d’Etat non africain présent à l’investiture de Ouattara, à Yamoussoukro, capitale fantôme d’un pays dévasté mais où, déjà, se précipitent les « reconstructeurs ». Et Sarkozy entend ne pas céder un terrain où la France à des positions acquises de longue date (et qui ont été sauvegardées, dans des conditions excessivement difficiles, pendant près de dix ans, via la force Licorne). Il est venu à Yamoussoukro - première visite d’un chef d’Etat français depuis Jacques Chirac en juillet 1995, l’année où Paris avait dissuadé Ouattara de se présenter à la présidentielle face à Henri Konan Bédié - avec Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères et européennes, et Henri de Raincourt, secrétaire d’Etat à la Coopération.

Mais dans le sillage du chef de l’Etat se trouvaient une flopée de chefs… d’entreprises dont les incontournables Vincent Bolloré et Martin Bouygues, les « monopolistes » de la Côte d’Ivoire : ports, transports, manutention, électricité, eau, BTP... Sarkozy a d’ores et déjà annoncé la conversion en aide publique de la dette ivoirienne à l’égard de la France (2 milliards d’euros) et un voyage en Côte d’Ivoire de François Fillon, premier ministre, et Christine Lagarde, ministre des Finances, est programmé pour le 15 juillet 2011. Les Ivoiriens pouvaient crier en chœur, hier, à Yamoussoukro, « Merci Sarko. Merci Sarko » !

Le Quai d’Orsay, dit-on, n’était pas favorable au déplacement de Sarkozy à Yamoussoukro. Alors que Paris est militairement engagé contre le régime de Mouammar Kadhafi et que, dans quelques jours, se tiendra à Deauville, sur la côte normande, un G8 qui a à l’ordre du jour la relation entre les pays riches et l’Afrique, cela pouvait donner à penser que Ouattara, dont on dit déjà qu’il a été installé au pouvoir par la France, est « l’homme de la France en Afrique ». D’autant plus que certains de ceux qui sont venus à Yamoussoukro n’avaient pas manqué de le dire. Mais Sarkozy « s’en fout ». Il sait que le pouvoir va au pouvoir et l’argent à l’argent. C’est dire que les états d’âme d’hier et les prises de position en faveur de Gbagbo sont oubliés : c’est ADO qui est au pouvoir ; et Sarko est son « pote ». Le reste, désormais, n’importe plus.

Sarkozy l’a dit à Port-Bouët lors de sa visite aux Français regroupés là pour l’occasion. « C’est l’honneur de la France d’avoir mené ce juste combat [car en matière de démocratie], il n’y a pas d’arrangement, il y a la démocratie ou la dictature ». Et si Paris est intervenu en soutien à Ouattara c’était pour la « restauration de la démocratie ». Sauf qu’il est un peu raide de penser que la démocratie régnait sous Gbagbo, Bédié, Gueï ou Houphouët-Boigny. Mais, enfin, si « Paris vaut bien une messe » la gestion du port autonome d’Abidjan et quelques autres concessions juteuses valent bien que l’on s’arrange avec l’histoire.

Sarkozy assume : « La France n’a rien à cacher ». Et après avoir délogé Gbagbo du pouvoir, nos troupes vont rester à Port-Bouët pour « assurer la protection de nos ressortissants » et la formation des forces républicaines de sécurité (Gérard Longuet, le ministre de la Défense, sera à Abidjan fin juin 2011 pour finaliser cela). On se croirait revenu à 1960 et aux « accords de coopération ». Sauf que nous sommes en 2011 et que les Africains n’ont pas la même perception des choses. Et qu’ils ne sont pas autistes. Ils ont entendu Sarkozy, au Cap, en 2008, annoncer que « la France n’a pas vocation à maintenir indéfiniment des forces armées en Afrique » et à Port-Bouët affirmer : « Nous garderons une présence militaire permanente ici ». Si c’est « au nom du principe universel » que la France est intervenue pour virer Gbagbo, c’est sans doute « au nom du principe » de ses intérêts économiques et financiers (et chacun sait qu’ils sont le fondement de nos intérêts diplomatiques et politiques) que Paris se réinstalle en Côte d’Ivoire (donnant ainsi raison au discours « anti-impérialiste » des Gbagbo, même si ce n’était qu’un discours).

Drôle d’image que cette image de Ouattara et de Sarkozy (dont le voyage devait être « officiellement purement protocolaire »). Cinquante ans après les indépendances, c’est celle justement de… 1960 : le nouveau chef d’Etat d’un pays africain, avec son épouse, aux côtés du président de la République française qui lui a « concédé » cette indépendance. Sauf qu’en 1960, Charles De Gaulle avait dépêché en Afrique ses ministres. Dans Le Figaro (21-22 mai 2011), « un homme d’affaires français installé », cité par Tanguy Berthemet, ne dit pas autre chose : « Il y a comme un parfum des fastueuses années 1970. De toute façon, l’armée française restera ici. C’est cher, sans doute. Mais ce que la France a perdu d’une main, elle le regagnera largement de l’autre ». Christophe Châtelot, dans Le Monde (21 mai 2011), le pense aussi : « Un industriel français installé à Abidjan y croit. « La Côte d’Ivoire de demain, dit-il, va renouer avec l’âge d’or des années 1970 », la période dorée du joyau d’Afrique de l’Ouest au temps du père de l’indépendance ivoirienne, Félix Houphouët-Boigny ».

Il n’est pas sûr que cette image plaise à la jeune génération ouest-africaine. Et c’est l’image qui déplaisait tant aux « insurgés » de Tunis et du Caire : cette connexion internationale entre le pouvoir en place et les pays industriels qui y trouvaient leur compte économique et diplomatique. Il est surtout probant qu’il va être difficile, désormais, à Sarkozy de concilier sa position non seulement de chantre de la démocratie partout dans le monde mais de partenaire militaire de ceux qui veulent mettre à bas les dictatures (« Notre engagement en Côte d’Ivoire illustre notre nouvelle politique étrangère ») avec ses amitiés africaines (et autres). Combien de « dictateurs » (ou, pour le moins, de patrons de régimes autoritaires ou contestables) parmi les personnalités présentes à Yamoussoukro le 21 mai 2011 ? Que fera Paris quand les populations voudront le changement ? Mais ne soyons pas dupes. La question politique et sociale en Afrique préoccupe bien moins Paris que la question économique et financière. Et ce qui est vrai pour Paris l’est aussi pour les autres capitales des pays industriels. Paris le sait ; et ne veut pas se faire « piquer la place ». D’où cette rapide visite de Sarkozy au cœur de l’Afrique de l’Ouest. Reste qu’en se déplaçant ainsi à Abidjan, Paris se positionne comme le « parrain » d’une capitale au détriment des autres capitales ; ce qui ne manquera pas de provoquer des interrogations. La France vient, ainsi, diplomatiquement, de perdre en Afrique son… indépendance et de se disqualifier aux yeux d’une partie des populations. Pour une image ; rien qu’une image !

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

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