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Lucien Marie Noël Bembamba, ministre de l’Economie et des Finances : « Nous devons faire des économies et réaménager le budget »

Publié le mardi 10 mai 2011 à 01h47min

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Avec la crise actuelle que traverse le Burkina Faso, celui qu’on surnomme « l’argentier du Burkina Faso » se retrouve davantage au centre de plusieurs dossiers. Dans l’entretien suivant, le ministre de l’Economie et des Finances, Lucien Marie Noël Bembamba, évoque les effets de la crise ainsi que les mesures urgentes prises par l’Etat pour y faire face. Pour le ministre Bembamba, il va falloir nécessairement revoir le budget et l’adapter à la circonstance.

Sidwaya (S.) : Le Burkina Faso a connu des manifestations ayant engendré, entre autres, des casses et pillages. Quel est, à l’heure actuelle, le point sur le dédommagement des victimes ?

Lucien Marie Noël Bembamba (L.M.N.B.) : Il convient de rappeler que les différentes manifestations depuis le mois de février à Koudougou jusqu’à la dernière sortie des forces de sécurité dans différentes localités du pays, ont occasionné beaucoup de dégâts dont des pertes en vies humaines et des blessures corporelles. Pour le cas des pertes en vies humaines et des blessés, des mécanismes appropriés de prise en charge ont été engagés par les structures compétentes de l’Etat. En ce qui concerne les dégâts matériels, il y a eu des dégâts aussi bien sur des biens privés que sur des biens publics. Pour les biens publics, l’administration publique verra comment trouver les ressources nécessaires pour les réparer. Il s’agit des commissariats, des gouvernorats et bien d’autres édifices. Les dégâts matériels les plus importants concernent les biens privés. A ce propos, le gouvernement a arrêté plusieurs mesures. La première est la question du principe d’indemnisation des victimes. La seconde est relative à l’ampleur des dégâts.

Le gouvernement a préféré voir comment accompagner rapidement les victimes afin de leur permettre de reprendre leurs activités. C’est ce qui a été, à notre sens, le plus important, en attendant de mettre en place de façon précise, le processus d’indemnisation. Concrètement, nous avons essayé de regrouper les victimes par catégorie. La première catégorie concerne les petits commerçants du secteur informel au sein de laquelle nous avons des vendeurs ambulants, des vendeuses de fruits et légumes, des propriétaires de petites étals, etc. , qu’on compte parmi les victimes. Pour ces cas, les pertes ne sont pas généralement élevées, mais sont très importantes pour eux. Raison pour laquelle le gouvernement a décidé de les indemniser sur-le- champ et de façon définitive jusqu’à hauteur d’un million cinq cent mille (1 500 000) franc CFA, pour leur permettre de continuer leurs activités.

Pour cette catégorie, l’indemnisation se fait au niveau de la Chambre de commerce et d’industrie du Burkina Faso. Quant à la deuxième catégorie, elle concerne les commerçants du secteur informel dont les dégâts subis dépassent financièrement, la somme d’un million et demi de francs CFA. Pour ces cas, nous avons procédé à un accompagnement financier sous forme de prêt, en attendant l’indemnisation. Nous avons proposé un accompagnement financier de 5 millions maximum avec des conditions de faveur, à savoir 4% d’intérêt, six mois de différé, etc. Nous leur avons dit de se confier au Fonds d’appui au secteur informel (FASI).

La troisième catégorie concerne les commerçants des Petites et moyennes entreprises (PME). C’est-à-dire, ceux qui sont au-dessus du secteur informel. A ce niveau, les mesures prévues sont, un prêt de 25 millions de FCFA maximum avec les conditions suivantes : 4% d’intérêt, 6 mois de différé et 24 mois pour le remboursement. Ces cas-là sont gérés par le Fonds burkinabè de solidarité (FDS).

La quatrième catégorie regroupe les propriétaires de stations d’essence. A ce niveau, nous avons mis en place, un mécanisme qui leur permet de s’approvisionner auprès de leurs fournisseurs et il nous revient donc de payer directement le montant à l’approvisionnement. Entre eux et nous, nous signons une convention de prêt. Là également, les conditions sont de 4% d’intérêt, 6 mois de différé sur 18 mois. Le montant est de dix millions au total.

Enfin, nous avons les grandes entreprises. Il s’agit des propriétaires de grandes surfaces, de grandes boutiques ou d’hôtels. Pour ces cas, ceux qui ont des préjudices évalués autour de 27 millions de FCFA, peuvent s’adresser au FDS, comme le groupe des PME. Mais si c’est au-delà de 27 millions, nous sommes prêts à les accompagner au niveau de leurs banques respectives afin qu’ils puissent avoir des prêts.

Encore une fois, pour nous, l’esprit dans un premier temps, n’est pas l’indemnisation en tant que tel, mais de créer des conditions pour permettre aux victimes de relancer leurs activités.

S. : A combien peut-on évaluer les dépenses déjà effectuées à ce propos ?

L.M.N.B. : Nous n’avons pas encore les montants exacts, mais on peut déjà dire que les petits commerçants qui ont bénéficié des indemnisations de moins de 1,5 million, sont à la date d’aujourd’hui (NDLR : dimanche 8 mai 2011) au nombre de plus de 500 personnes. Pour les autres, on peut être autour de 300 personnes dont les dossiers ont pu être traités. Voilà ce qu’on peut dire pour le moment. Globalement, ce n’est pas moins d’un milliard que nous avons déjà injecté dans cette situation.

S. : Malgré ces dépenses, le gouvernement a décidé de supporter d’autres charges en optant, par exemple, de baisser les prix des produits de grande consommation. Pourquoi cette option ?

L.M.N.B. : Il ne faut pas oublier que dans les éléments de la crise actuelle, il y a la question de la vie chère. C’est vrai, cette question de la vie chère ne date pas d’aujourd’hui, mais le constat est là, elle vient s’ajouter aux éléments qui créent la crise. Le gouvernement a estimé qu’il fallait trouver des formules pour essayer d’apaiser la situation. L’idée est de voir comment, on peut faire baisser les prix des produits de grande consommation. Dans la démarche, le gouvernement a voulu être assez réaliste. Nous avons opté pour la négociation. Nous avons créé un cadre de concertation tripartite : les vendeurs, les consommateurs et le gouvernement. Cette démarche a permis, dans un climat de débats francs, ouverts et de responsabilité, d’amener tout un chacun à faire l’effort.

S. : Quels sont les produits qui sont concernés par la mesure ?

L.M.N.B. : Dans un premier temps, il y a, entre autres, le riz importé ou local, les céréales locales, l’huile alimentaire, le sucre, le savon, le lait et la farine boulangère. Pour chacun de ces produits, nous avons eu à examiner des possibilités pour arriver à des propositions.

S. : Le Premier ministre, Luc Adolphe Tiao, a également annoncé, lors de sa toute première conférence de presse en tant que chef du gouvernement, des mesures dont la baisse de l’IUTS de 10% pour les salariés. Qu’est-ce que l’IUTS en termes simples ?

L.M.N.B. : L’IUTS, c’est l’Impôt unique sur les traitements et salaires. Cela fait partie de ce que nous appelons les impôts sur les revenus. Dans notre fiscalité, tous les revenus sont taxés. Autrement dit, si vous avez un revenu, vous devez consentir une partie pour alimenter la caisse commune. Donc les sociétés d’Etat paient des impôts sur les revenus des salariés. C’est une contribution au budget de l’Etat. Comment cela se passe-t-il ? On prend le salaire de base sur lequel on prélève un taux de 10% et c’est cela qui constitue votre contribution au budget. Lorsqu’on déduit ce taux de 10% de votre salaire de base, le reste est le salaire net que vous percevez.

S. : Comment va se concrétiser dans les faits, la mesure annoncée par le Premier ministre à propos du rabattement de l’IUTS de 10% ?

L.M.N.B : La mesure annoncée par le chef du gouvernement va consister à réduire le taux d’imposition sur le salaire de base. Si par exemple, on vous imposait un taux de 10% ou 20%, vous payerez désormais, 10% moins de ce que vous payiez comme impôt sur le salaire. En termes plus clairs, cela veut dire qu’on va réduire la partie de votre salaire de base qu’on va prélever pour la caisse commune. Ce faisant, cela voudrait dire que le salarié va constater un plus dans ce qu’il gagnait comme salaire. Quelque part, c’est comme si on augmentait le salaire des uns et des autres.

S. : Pourquoi n’avoir pas opté pour une augmentation du salaire pur et simple ?

L.M.N.B : En choisissant de mettre l’accent sur la baisse de l’IUTS, le gouvernement a voulu tenir compte du fait que l’Impôt unique sur les traitements et salaires ne concerne pas seulement les fonctionnaires. Il concerne tout salarié du public comme du privé. C’est donc une mesure qui va concerner l’ensemble des travailleurs alors que l’augmentation de salaire allait concerner, rien que les fonctionnaires. L’avantage de la mesure est qu’elle va permettre à l’ensemble des salariés qui travaillent et qui ont un salaire, de voir leur salaire net augmenter.

S. : A partir de quelle période le salarié pourra ressentir les effets de la mesure ?

L.M.N.B : Toutes les mesures que nous avons eu à prendre à propos de la crise sont réglées par une loi. Vous l’aurez sans doute constaté, au dernier conseil des ministres, nous avons arrêté un projet de loi à travers lequel nous comptons faire en sorte qu’à partir du salaire du mois de mai, les fonctionnaires puissent sentir les effets de cette mesure sur leurs bulletins de salaire.

S. : Le gouvernement a aussi annoncé la régularisation des avancements des fonctionnaires, dans un bref délai, septembre 2011 au plus tard. Est-ce objectivement possible quand on sait que depuis des années, certains agents de la fonction publique ont leurs dossiers bloqués ?

L.M.N.B : Il convient de rappeler ce qui se passe afin que les uns et les autres comprennent. Tout est parti de la mise en œuvre de la loi 013 de 1998 que tous les fonctionnaires doivent connaître. Cette loi a instauré le principe de l’avancement, tous les deux ans et ce, à partir d’une notation. Il s’est agi d’une loi qui nécessitait des mesures d’accompagnement, dans la mesure où il fallait noter les agents, les évaluer, mais malheureusement cela a pris du temps et nous n’avons pas pu mettre en œuvre les mesures d’accompagnement. A un moment donné, il a fallu régulariser tout cela. Le gouvernement a donc décidé que pour tous ceux qui étaient concernés par la période de 1999 à 2006, on allait appliquer l’ancienne disposition, à savoir l’avancement automatique pour tout le monde. Mais à partir de 2006, on devait tout faire pour appliquer les dispositions de la nouvelle loi qui exigent la notation comme base pour l’avancement des fonctionnaires. Pour cela, nous avons eu à créer des directions régionales, des Directions des ressources humaines (DRH). C’est une création récente. Le travail administratif de notation et de collecte des informations n’a pas suivi. Ce qui explique qu’on a eu un retard pour prendre les actes d’avancement et les constater sur les bulletins de salaire. C’est ce que nous voulons essayer de corriger.

Il faut signaler que depuis l’annonce faite par le Premier ministre, le 28 avril dernier, le ministre en charge de la Fonction publique a convoqué tous les DRH pour qu’ils fassent l’effort nécessaire pour traiter en diligence tous les actes de notation, les actes d’avancement. Une fois que tout cela sera traité, on va transmettre le dossier au niveau du ministère de l’Economie et des Finances pour qu’on corrige cela sur les salaires. La date butoir retenue est fin juin 2011 pour tout ce qui est antérieur à 2008 et septembre 2011 pour l’année 2009.

Nous lançons un appel à tous les fonctionnaires qui ont des actes d’avancement, de voir avec leur DRH pour que cela puisse être saisi. On a même permis aux DRH de pouvoir saisir directement, sur l’outil informatique, les actes d’avancement pour gagner en temps. Nous pensons qu’objectivement cela est possible.

S. : Le budget de l’Etat pourra-t-il supporter toutes les charges consécutives aux nouvelles mesures prises par le Premier ministre ?

L.M.N.B. : Je vais plutôt vous donner les principes car les négociations sont toujours en cours. En d’autres termes, nous n’avons pas encore finalisé toutes les évaluations. Cependant, je vais donner la démarche qui a été retenue. Le Premier ministre a été très clair.

Il a insisté sur le fait que nous devons être transparents dans la prise en charge financière des mesures. Ce qui voudrait dire que toutes les dépenses liées à cela vont être supportées par le budget national. C’est pourquoi, nous allons présenter à l’Assemblée nationale une loi de finance rectificative pour corriger le budget initial qui a été adopté et prendre en compte les mesures. Maintenant où trouver l’argent pour supporter toutes les charges puisque la caisse de l’Etat n’est pas extensible et qu’on n’imagine pas non plus avoir des ressources supplémentaires ? La réponse est simple. Nous devons faire des économies et réaménager le budget.

Nous devons voir quels sont les postes sur lesquels, compte tenu de la crise, il faut supprimer les différés. C’est ça le prix à payer. En le faisant, il faudra être aussi réaliste. Il ne faudra pas, comme on le dit, tuer la poule aux œufs d’or. Il y a des secteurs qu’il faudra préserver parce que le pays doit continuer de fonctionner. Au nombre de ces secteurs sociaux, il y a la santé, l’éducation, tout ce qui est lié à la sécurité alimentaire qui ne seront pas touchés. En revanche, dans les dépenses de fonctionnement, on va essayer de parcourir un peu au niveau de l’administration, tout ce qui peut être fait comme économie. Dans les jours à venir, nous allons annoncer des mesures claires dans ce sens.

L’autre élément qui constitue une opportunité à saisir est qu’avec le nouveau gouvernement, on a réduit le nombre de ministères. Là aussi, ce sont des possibilités d’économie à saisir parce que quand on a deux ministères fusionnés, il y a nécessairement des postes qu’il faut supprimer.

En outre, nous sommes en train de voir parmi tout ce qui était prévu comme grandes manifestations, ce qu’on peut supprimer, différer ou reporter pour économiser. Encore une fois, le Premier ministre tient à ce qu’on préserve les secteurs sociaux, les sources de production, mais qu’on fasse des efforts pour qu’il n’y ait pas des fiscalités nouvelles, mais plutôt des économies en vue de couvrir les nouvelles charges.

Interview réalisée par Alban KINI et Souleymane KANAZOE

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 10 mai 2011 à 08:32, par Nole En réponse à : Lucien Marie Noël Bembamba, ministre de l’Economie et des Finances : « Nous devons faire des économies et réaménager le budget »

    Je suis du MESS j’ai mes decisions d’avancements 2007 et 2009 mais jusqu’a present mon salaire continue de stagne à celui de 2005 ; pourtant, j’ai deposé plus de 8 demandes de regularisation. Allez me faire comprendre qu’il ne faut pas la bagarre pour que le travail soit fait.

  • Le 10 mai 2011 à 09:53, par sid En réponse à : Lucien Marie Noël Bembamba, ministre de l’Economie et des Finances : « Nous devons faire des économies et réaménager le budget »

    mr le ministre,prouvez nous votre bonne foi en réduisant le train de vie e l’Etat à commencer par vous,les mesures dont vous parlez sont trop minimes ;10% de l’IUTS ce n’est rien et vous le savez bien,et les réductions de prix sont minimes ça ne vaut rien ;serrez vous la ceinture et respectez la misère des gens,soyez réaliste et plus clair sinon cette crise ne prendra pas fin ;si vous dites que l’Etat a peu de moyen cela doit se ressentir sur vous les autorités !vous êtes ds des voitures hyper chères et avez des avantages exorbitants,les gens ont ouvert les yeux, on ne peut plus les blaguer donc prenez nous au sérieux.très respectueusement salut,j’espère que mon commentaire sera publié.

  • Le 10 mai 2011 à 11:18, par Mahmud BEN MAHMUD En réponse à : Lucien Marie Noël Bembamba, ministre de l’Economie et des Finances : « Nous devons faire des économies et réaménager le budget »

    ...et diminuer le train de vie de l’Etat.

  • Le 10 mai 2011 à 16:05, par sidbala En réponse à : Lucien Marie Noël Bembamba, ministre de l’Economie et des Finances : « Nous devons faire des économies et réaménager le budget »

    Quand on parle de train de vie de l’Etat il ne s’agit pas uniquement des Ministres. Nous voyons à Ouagadougou et ailleurs de simples directeurs qui ne touchent pas plus de 200 000 FCFA par mois et qui roulent matin midi soir dans des véhicules de plus de 40 000 000 FCFA attribués à leur service pour les besoins du service lesquels sont dans les faits transformés en véhicules de fonction et même personnels pour les besoins de toute la famille. Pendant ce temps les agents font les courses du service avec leurs propres engins. En fait rien ne va au Burkina et on se pose sérieusement la question si on en viendra à bout un jour. On dit que le poisson pourit par la tête. Si obligation était faite aux Ministres et présidents d’institutions d’utilser leurs véhicules personnels en dehors des heures de service d’autant qu’ils en ont les moyens, la pression pouvait être mise sur tout le reste des responsables. Mais au Burkina le naam veut dire celui qui est à même d’user et d’abuser le plus des biens de l’Etat. Il n y’a pas de solution possible.

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