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Filippe Savadogo, ambassadeur du Burkina Faso en France

Publié le jeudi 20 novembre 2003 à 18h41min

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Alors que dans quelques heures, le 56ème Festival international du film va débuter à Cannes, quoi de plus naturel que d’évoquer la personnalité d’un homme qui a beaucoup donné au cinéma de toutes les Afriques.

Filippe Savadogo, actuellement ambassadeur du Burkina Faso en France, au Portugal, en Espagne, au Vatican et en Tunisie, représentant permanent auprès de l’Unesco, représentant personnel du chef de l’Etat auprès de l’Organisation internationale de la Francophonie, a été, pendant de longues années, secrétaire général permanent du Fespaco. Cinéma et diplomatie ont, en ce qui le concerne, un point commun : l’image. Mais en ce qui concerne, tout à la fois, le Fespaco et Savadogo, il s’agit de faire mentir l’adage qui affirme que l’on est "sage comme une image". Le Fespaco et Savadogo ont démontré que l’image sait être, aussi, révolutionnaire. Et c’est tant mieux car c’est ainsi que l’humanité progresse.

Yako, province du Passoré, se trouve à une centaine de kilomètres au Nord-Ouest de Ouagadougou, sur la route de Ouahigouya. Filippe Savadogo y est né le 26 mai 1954. Une famille de huit enfants ; il est à mi-parcours : il a quatre aînés et trois cadets. Le père est inspecteur divisionnaire des douanes ; pendant trente ans, de 1940 à 1970, il va parcourir ainsi tout le pays : Léo, Gaoua, Bobo-Dioulasso, Pô, Ouagadougou, Fada N’Gourma. La famille doit suivre. Savadogo s’affirme, du même coup, dit-il, "comme un Burkinabè en valeur absolue". L’école est le passage obligé. Le père et la mère mettront un point d’honneur à suivre la scolarité de chacun de leurs enfants jusqu’à leur majorité. Primaire à Bobo-Dioulasso et à Ouagadougou, certificat d’études et BEPC à Fada N’Gourma, baccalauréat à Ouagadougou : le parcours du jeune Savadogo est à l’image des pérégrinations administratives du papa.

Ses études supérieures se dérouleront, tout d’abord, à Ouagadougou. Il y obtient un DEUG à l’Institut africain d’éducation cinématographique (Inafec) puis une licence ès sciences audio-visuelles. Ce sera ensuite Bordeaux : certificat de pédagogie générale puis licence des techniques de l’information et de la communication et maîtrise d’information et de communication sociale. Il poursuivra ses études à Paris III-Sorbonne Nouvelle : DEA du département d’études, de recherches cinématographiques et audio-visuelles, option cinéma, puis, à Paris II : DESS de l’Institut français de presse, option attaché de presse et de relations publiques.

Cinéma & communication ! A tous ceux qui pourraient s’étonner que, dans un pays qui figure parmi les plus pauvres, un jeune garçon puisse s’enthousiasmer pour ce métier peuplé de saltimbanques, je conseille de relire (ou de lire) les chapitres que l’historien (burkinabè) Joseph Ki-Zerbo consacre, dans son Histoire de l’Afrique noire (éditions Hatier) au Soudan occidental. Ils y apprendront que les acquis culturels et civilisationnels ne sont pas toujours en péréquation avec les ressources naturelles et que de grands royaumes ont géré et développé cette région sahélienne bien avant la colonisation. "Nos parents avaient une vision rigoureuse de l’éducation qu’il convenait de donner à leurs huit enfants. Cette rigueur était pour eux un devoir. Mais ils ne voulaient pas nous obliger à faire ce que nous ne voulions pas faire. Si cela peut te convenir, alors il faut y aller, me disaient-ils", souligne Filippe Savadogo.

"L ’histoire du cinéma n’a qu’un siècle et quelques années, me précise Filippe Savadogo, mais très vite ceux qui n’ont pas inventé le cinéma se sont rendu compte qu’une image vaut mille mots. Donc l’image a toujours passionné beaucoup de régions du monde, et l’Afrique en premier lieu. Le Fespaco, qui est né à la fin des années 1960, a très vite mis dans nos esprits que le cinéma (et l’audiovisuel plus généralement) pouvait vous projeter loin dans le monde dans la mesure où nous voyions des cinéastes venir de toutes les Afriques, du Nord, de l’Ouest, du Centre, australe, etc... pour rejoindre Ouagadougou. Faire du cinéma était un rêve pour beaucoup de jeunes burkinabè de notre époque. J’y suis parvenu par le plus pur hasard. J’ai pleuré trois nuits et trois jours parce que j’avais été orienté, après le bac, en linguistique. Mais lors de la création de l’Institut africain d’éducation cinématographique (Inafec) j’ai sauté à pieds joints dans cette filière de formation".

En novembre 1982, Savadogo achève ses études à Paris. Pendant six ans, il a multiplié les stages de Radio-Bobo à l’Unesco en passant par le Centre national du cinéma, la Télévision nationale du Burkina Faso, etc... Le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) a été créé en 1969 et institutionnalisé en 1972. Savadogo y est recruté comme attaché de relations publiques : "Entre deux sessions [le Fespaco est biennal depuis sa 6ème édition), j’avais pour mission de mieux faire connaître le Festival". Nous sommes en 1983. Le médecin-commandant Jean-Baptiste Ouédraogo est à la tête de l’Etat depuis novembre 1982. Mais le 4 août 1983, quelques militaires progressistes vont prendre le pouvoir et instituer le Conseil national de la Révolution. La Haute-Volta tourne une page de son histoire. Savadogo également. Il n’a pas encore 30 ans ; il entre dans l’âge d’homme au son du canon... des AK47.

Il y avait une étroite filiation entre les idéaux de la Révolution burkinabè et le caractère militant du cinéma africain de ces années là (orientation affirmée dans le cadre de la Déclaration d’Alger en 1975). Le nouveau régime va vite prendre conscience que le Fespaco était un événement majeur qui allait lui permettre de mieux faire connaître le Burkina Faso et son programme d’action. "Nous étions alors les enfants de la Révolution, me déclare Filippe Savadogo. Très rapidement, nous avons été partie prenante et nous avions la ferme volonté de travailler efficacement aux postes que nous occupions. Notre engagement ne se discutait pas ; il était quotidien. Cette époque était enthousiasmante pour les jeunes cadres qui arrivaient sur le marché du travail. Nous voulions apporter tout ce que nous avions appris à l’école. Nous avions étudié en Europe mais nous revenions dans un pays dont les ressources étaient modestes. Nous n’avions pas les moyens de nos ambitions mais nous avions la volonté, malgré tout, de réussir. Le Festival était un lieu d’expression libre pour tous les gens de cinéma et les hommes de communication. Aujourd’hui, qui dit Ouagadougou dit Fespaco. Ouagadougou a besoin du Fespaco et le Fespaco a besoin de Ouagadougou".

A la fin de l’année 1984, pour des "raisons familiales", le patron du Fespaco doit se retirer. C’est Savadogo qui va le remplacer. Il n’a encore que deux années, à peine, d’expérience au sein du festival et le voilà nommé, en décembre 1984, au poste de secrétaire général permanent. "J’ai été confronté à un extraordinaire défi. Il s’agissait de diriger le festival. C’était une responsabilité qui dépassait ma propre personne et même mon propre pays. C’était une responsabilité continentale. Il n’y avait pas d’alternative.. il fallait que nous allions de l’avant. Et c’est ainsi que, du jour au lendemain, je suis passé de simple communicateur à chef d’entreprise. Parce que, pour moi, le Fespaco était une entreprise qu’il fallait gérer en tenant compte de tout ce qui gravitait autour du cinéma et autour de l’Afrique ".

Le Fespaco avait survécu (il y avait trouvé un nouveau souffle) à la Révolution de 1983. Il survivra au Front populaire en 1987 et à la Rectification en 1989. Cette année là, le Fespaco va fêter ses 20 ans. "Le Festival, m’explique Savadogo, a toujours fait l’objet d’un consensus national. Nous avions conscience qu’il ne nous appartenait pas mais qu’il appartenait à toute l’Afrique et, surtout, au monde de la culture. C’était le symbole d’une Afrique qui veut bouger".

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique (14 /05/ 2003)


Filippe Savadogo, ambassadeur du Burkina Faso en France.
Un diplomate qui ne cesse de "faire son cinéma".Pour la gloire de son pays et de toute l’Afrique
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Si Filippe Savadogo continue de "faire son cinéma" c’est pour la bonne cause : pour la gloire de son pays et de toute l’Afrique. Ambassadeur du Burkina Faso en France (mais aussi au Portugal, en Espagne, au Vatican et en Tunisie ; il est par ailleurs représentant permanent auprès de l’Unesco et sherpa du président Compaoré auprès de l’OIF), il est soucieux de l’image de son pays là où il est chargé de le représenter. Cette préoccupation se comprend d’autant mieux que Savadogo a été un homme d’image avant d’être un homme de relations internationales : de 1984 à 1996, il a été le patron du Fespaco (cf LDD Burkina Faso 021/Mercredi 14 mai 2003). Il ne perçoit pas, d’ailleurs, de véritable rupture entre ses activités cinématographiques et ses activités diplomatiques ; il s’agit, à chaque fois, de promouvoir ce qui lui tient à coeur : le Burkina Faso et l’Afrique bien sûr, mais aussi une certaine vision du monde qui l’entoure.

Savadogo ne manque pas de m’affirmer : "Nous avons été les enfants gâtés de la Révolution. Les artistes ont été soutenus et nous avons eu une vie plus facile. Depuis, la situation n’a cessé de s’améliorer et nous ne cessons de progresser. C’est cette vision là que je garde de toutes ces années passées ".
J’ai été le témoin privilégié de cette "vision". En août 1989, j’écrivais alors : "Un pays peut-il envisager d’appuyer durablement sa notoriété sur des activités culturelles et artisanales ? C’est le pari lancé, et réussi, par le Burkina. Voilà vingt ans, ce pays enclavé osait mettre en place un festival du cinéma. Le Fespaco a su perdurer et se développer malgré un contexte politico-économique qui n’a pas été toujours favorable. L’an dernier, en alternance avec le Fespaco, les autorités décidaient de promouvoir l’artisanat africain dans le cadre d’un salon.. le SiAO [...] C’est, là encore, l’occasion pour ce pays de se donner pendant quelques jours une dimension continentale. Car le problème est là. Le Burkina a choisi, pour mieux vivre, d’aller au-delà de ses frontières et de s’ouvrir sur la sous-région et le reste de l’Afrique en offrant une vision globale du continent à travers les réalisations culturelles. C’était, d’emblée, vouloir rompre avec une image misérabiliste et montrer que l’Afrique peut, avec ses propres moyens, promouvoir ses réalisations. Et qu’elles peuvent, souvent, tenir la concurrence avec ce que le Nord propose au Sud. Certes, ces manifestations ont leurs limites. Elles concernent, hélas, plus souvent les publics d’ailleurs, occidentaux et africains, que ceux du pays même. N’empêche, l’impact est là. Et porte loin, au-delà des frontières, le nom du Burkina".

Près de quatorze ans se sont écoulés depuis que ces lignes ont été écrites. Le SIAO s’est imposé, à son tour, comme une manifestation internationale (cherchez, ailleurs, en Afrique noire, un seul pays qui organise deux manifestations de cette ampleur depuis si longtemps). Et le Fespaco est devenu un rendez-vous incontournable, l’événement "tendance" qui fait partie de l’emploi du temps de tous ceux qui ont en commun la culture, le cinéma et l’Afrique. Pourtant, Ouagadougou n’était pas la destination la plus favorisée pour accueillir de telles manifestations : longtemps mal desservie, longtemps mal équipée (peu d’hôtels, moins encore de restaurants, pas de taxis ni de transports collectifs décents, etc...), longtemps politiquement "suspecte" (les régimes militaires, fussent-ils révolutionnaires, mettent avant tout en oeuvre des militaires !).

Quand j’évoque ces années passées avec Filippe Savadogo et la satisfaction que j’éprouve à voir perdurer deux manifestations africaines dont j’ai connu les débuts délicats et aléatoires, il me donne la meilleure réponse : "Ouagadougou ne s’est pas construite en un jour. Nous aurions pu être assis sur une manne pétrolière. Ce n’était pas le cas. Nous avons compris, depuis longtemps, que petit pays sahélien, il nous fallait compter uniquement sur nous-mêmes. Et si, jamais, des amis passent par là, nous considérons cela comme un "plus", un soutien extraordinaire. Les Burkinabè vivent chichement parce qu’ils n’ont pas d’autres alternatives".

Il ajoute : "Le Burkina Faso est un pays carrefour au sein duquel, depuis des siècles, ont été brassées toutes les populations. C’est un pays au grand coeur. Quand les gens y viennent, ils y reviennent. Les Burkinabè sont des interlocuteurs aptes au partenariat. S’il existe plus de 130 opérations de jumelage entre la France et le Burkina Faso, alors que la communauté burkinabè est très faible ici, c’est que les Français, à l’origine de l’essentiel de ces initiatives, trouvent auprès des Burkinabè ce qu’ils ne trouvent pas ailleurs. Notre capital, c’est notre art de recevoir les étrangers et notre manière de donner. Le Fespaco et le SIAO sont la preuve que les Africains sont en mesure de construire des projets par eux-mêmes ; ces deux manifestations démontrent pleinement notre capacité de réalisation, une capacité qui s’est exprimée dans d’autres domaines, économiques et politiques. C’est sans doute pour cela que nous avons, aussi, la confiance des bailleurs de fonds".

Il ne manque pas de souligner, à juste titre, que Ouagadougou est une ville où l’on peut se promener la nuit en toute sécurité, "ce qui n’est pas le cas de toutes les capitales africaines", ajoute-t-il. Et qu’il a fallu que le Burkina Faso consente des "efforts herculéens pour que le Fespaco existe et se consolide". "Je ne suis pas sûr, commente-t-il, qu’il y ait beaucoup de pays africains qui auraient été prêts à faire tous les sacrifices que nous avons consentis". Cela a été payant. "Avec le Fespaco et le SIAO nous avons acquis une réelle expertise en matière d’organisation de manifestations internationales. C’est pourquoi nous avons pu organiser d’autres grandes réunions.. OUA, CAN, France-Afrique, Francophonie, etc... Ouagadougou s’est transformée grâce au Fespaco et à ses effets induits. Nous avons oublié, aujourd’hui, le manque de chambres, de lits, les problèmes du téléphone, le manque d’infrastructures, etc... Ouaga 2000 est l’expression de cette évolution. Le Village de la Francophonie 2004 en est une autre. Et, désormais, c’est le Fespaco qui profite, à son tour, de cette évolution. Juste retour des choses. Les études prouvent d’ailleurs que cette manifestation est désormais un besoin économique, culturel et même politique".

En 1996, Filippe Savadogo se voit charger d’une nouvelle mission. Le président Blaise Compaoré lui confie l’ambassade de France à Paris (et, je l’ai signalé, quelques activités diplomatiques annexes et connexes). Il y remplace Frédéric Assomption Korsaga qui était en poste depuis 1992 (il avait été plusieurs fois ministres, ambassadeur à Abidjan, directeur de la Caisse nationale des dépôts et des investissements auparavant). "Ce fut pour moi une surprise, affirme Filippe Savadogo. Mais il y avait similarité, à mes yeux, entre la tâche d’un ambassadeur et ce que j’avais fait jusqu’à présent.. mieux faire connaître et aimer le Burkina Faso à travers son festival. Remis de ma surprise, je me suis dit qu’il y avait là un défi et que je devais le relever en partant des acquis qui étaient les miens. Pendant toutes ces années passées à la tête du Fespaco, j’avais noué de bonnes relations avec un grand nombre de pays dont, tout particulièrement, la France qui était notre partenaire le plus important, historiquement, politiquement et économiquement. J’avais la connaissance du terrain et le carnet d’adresses. J’avais également la confiance de nos dirigeants qui souhaitaient imprimer un nouveau mode de fonctionnement à nos ambassades. Il me fallait faire de l’ambassade du Burkina Faso à Paris une fenêtre ouverte sur notre pays afin qu’il soit connu et aimé. Vous savez, ajoute-t-il, fort poétiquement, l’amitié est une trace sur le sable,. les ambassadeurs sont ceux qui refont la trace. Inlassablement »
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique (15 /05/ 2003)


Filippe Savadogo, ambassadeur du Burkina Faso en France.
Un diplomate qui ne cesse de "faire son cinéma".Pour la gloire de son pays et de toute l’Afrique
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Inlassablement, Filippe Savadogo, ambassadeur du Burkina Faso en France, "refait la trace sur le sable" afin de sauvegarder l’amitié entre son pays et la France, entre les Burkinabè et les Français (cf LDD Burkina Faso 022/Jeudi 15 mai 2003). Pour y parvenir, il lui faut, d’abord, forger un outil performant qui puisse être au service d’une équipe qu’il veut, également, performante. Il s’en est expliqué le 4 novembre 1996 dans un essai qui s’intitule L’Esprit de l’Ambassade. Efficacité, humilité, solidarité, ardeur au travail, etc... tels sont les qualités qui doivent permettre "d’améliorer la qualité et le rendement de la mission", la constante étant bien sûr que "tout membre du personnel de l’ambassade reste partout et en tout lieu le vecteur de l’image de la mission du Burkina à Paris,. c’est un label". Savadogo entend, à la tête de l’ambassade, avoir la même préoccupation qu’à la tête du Fespaco : la meilleure gestion pour la meilleure promotion de l’image de son pays.

Il lui faudra, d’ailleurs, beaucoup de talent, une équipe compétente et bien soudée, une réelle détermination politique pour affronter toutes les difficultés qui vont entraver son action. Il y a, tout d’abord, une conjoncture politique française qui n’est pas toujours favorable aux actions diplomatiques étrangères. Filippe Savadogo a été nommé ambassadeur à Paris alors que Chirac était à l’Elysée et Juppé à Matignon. Puis ce furent cinq années de cohabitation. "Au cours de cette période, il fallait beaucoup d’entregent et d’énergie". Et avec un sourire complice, il ajoute aussitôt : " Vous me comprenez". Je le comprends d’autant mieux que je sais les ravages que vont provoquer dans les relations franco-burkinabè "l’affaire Zongo" qui remonte au 13 décembre 1988 et va faire sentir ses effets à compter de 1999.

"Cela a été une période très éprouvante. Il m’a fallu mettre en oeuvre tous les acquis de ma formation de journaliste et de communicateur. Mais vous conviendrez avec moi qu’en matière de communication, ce n’est pas parce qu’on a raison qu’on ne peut pas vous donner tort et ce n’est pas parce que l’on a tort qu’on ne peut pas vous donner raison. Mais, fermement, nous avons poursuivi notre tâche avec le concours de tous les amis du Burkina Faso, à Paris mais aussi au sein de la France profonde. Face à cette situation, beaucoup de nos interlocuteurs ont su faire preuve du discernement nécessaire. Nous sortions d’une élection présidentielle qui s’était déroulée tranquillement après avoir vécu une longue période de stabilité,. le pays se construisait avec discrétion dans le cadre du processus démocratique mis en oeuvre au début des années 1990 ,. les institutions de la République étaient en place et fonctionnaient convenablement. Le sillage était tracé. Il y avait la confiance entre les différents acteurs politiques et aucun jeu de cache-cache. "L’affaire Zongo" a été une surprise totale. Rien ne justifiait une telle chose. Ni pour vivre, ni pour survivre. Dans le contexte de la cohabitation française d’alors, cette malheureuse situation a servi de prétexte pour tenter de bâillonner un pays qui avançait dans son processus démocratique de manière sereine, visible et transparente. Lorsqu’il est apparu que cette exploitation de "l’affaire Zongo" ne menait nulle part, le Burkina Faso a retrouvé la position qui était la sienne".

Les effets de "l’affaire Zongo" vont se diluer et, pan, voilà "l’affaire ivoirienne" qui amène
quelques uns à montrer à nouveau du doigt, une fois encore, Ouagadougou et Blaise Compaoré. "Cette crise a des conséquences néfastes pour le Burkina Faso, me déclare Filippe Savadogo.
Du point de vue économique mais aussi politique. Mais il est clair que notre pays souhaite que la paix revienne en Côte d’Ivoire et que les Ivoiriens règlent leurs propres problèmes. Ceci étant dit, nous ne pouvons pas rester indifférents à un certain nombre de malentendus créés en Côte d’Ivoire et qui ont des conséquences pour le Burkina Faso. Les accords de Marcoussis ont été clairement établis. Les préoccupations qui sont celles du Burkina Faso sont devenues, de ce fait, celles de la Cédéao puis de l’Union africaine et enfin des Nations unies. Marcoussis a été totalement soutenu par les instances internationales et nous pensons que leur application sans défaillance permettra à notre sous-région de retrouver la quiétude que nous appelons de tous nos voeux.

L’évolution de la crise ivoirienne nous préoccupe parce que l ’histoire de nos deux pays a toujours été faite de fusions.. fusion politique lorsque la Haute-Volta a été supprimée en 1932 pour devenir la Haute Côte d’Ivoire,. fusion économique lorsque le colonisateur a organisé, à partir de 1920, une descente de main-d’oeuvre et de bras valides des pays du Sahel vers les pays de la côte, et principalement la Côte d’Ivoire, pour cultiver le café et le cacao, fusion naturelle puisque les mêmes populations se trouvent de part et d’autre d’une frontière qui est une simple donnée technique. Tout cela fait que nous n’avons d’autre alternative que de construire de grands ensembles régionaux en Afrique. La carte d’identité nationale ivoirienne ne peut pas exclure un certain nombre de personnes dont on sait qu’elles sont établies en Côte d’Ivoire depuis des générations". Les choses ne peuvent pas être exprimées plus clairement !

Dans ce contexte sous-régional, qui pèse sur les relations internationales du Burkina Faso, Filippe Savadogo a, cependant, des motifs de satisfaction. Il y a la communauté burkinabè en France. Peu de monde : environ 3.500 personnes. Mais "un motif de "fierté" affirme Savadogo. "Ce sont des gens modestes qui, pour la plupart, travaillent, ont une situation normale et sont bien intégrés en France. Nous gardons le contact avec eux en encourageant les associations de Burkinabè dans toutes les régions de France et nous travaillons à la rédaction d’un annuaire des Burkinabè de France parce que nous voulons qu’ils gardent le contact avec le pays natal".

L’image du Burkina Faso auprès des Français est forte. Et positive. Pour beaucoup d’entre eux, ce pays symbolise l’Afrique, sa culture, sa volonté de s’en sortir. C’est sans doute pourquoi il y a une telle profusion d’opérations de jumelage (plus de 130 de Dunkerque à Menton et de Brest à Strasbourg sans oublier la Corse). C’est pourquoi aussi, depuis 1999, la commission mixte France-Burkina Faso intègre la dimension de la coopération décentralisée. C’est pourquoi encore l’ambassade du Burkina Faso a créé la Journée de la coopération décentralisée (ce sera cette année, le samedi 25 octobre 2003, la 7ème édition).

Filippe Savadogo veut aller plus loin. "J’ai amené la coopération décentralisée de la périphérie des préoccupations à une position centralisée qui traduit que cette démarche est l’avenir. L’aide publique au développement va cesser un jour,’ il n y a plus de VSN [Volontaires du service national] en Afrique. Il faut donc instituer de nouveaux relais". Et pour y parvenir, Savadogo veut innover ; il propose la création d’un "visa de coopération" afin de faciliter les déplacements vers le Burkina Faso, l’instauration d’une véritable synergie entre les différents pôles de jumelage, une reconnaissance accrue du "travail de ces anonymes qui font des choses remarquables au Burkina Faso ".

Son regard se pose aussi sur les Burkinabè de France dont il veut valoriser, au Burkina Faso, l’expertise acquise ici ; et l’épargne. Il entend accorder une attention particulière à la jeune génération des Burkinabè de France qui doivent connaître le pays qui est le leur et sa culture. Comme le rappelait Filippe Savadogo le mercredi 9 avril 2003 à Paris, à l’occasion de sa remise de décoration en qualité de commandeur de l’ordre des Palmes académiques de la République française : "C’est dans l’union qu’est notre force et dans la diversité notre union ". Il serait souhaitable que ce message soit, aussi, entendu au palais présidentiel à Abidjan !
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique (16/05/ 2003)

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