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Tournant la page du clash avec Mamadou Tandja et de la transition militaire, le Niger entend reprendre toute sa place en Afrique de l’Ouest (2/2)

Publié le mardi 26 avril 2011 à 20h57min

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Si le Premier ministre du Niger, Brigi Rafini, est inattendu (cf. LDD Niger 060/Vendredi 22 avril 2011), la nomination de Mohamed Bazoum au portefeuille de ministre des Affaires étrangères (avec le titre de ministre d’Etat) ne saurait être vraiment une surprise, sauf pour ceux qui le voyaient déjà… premier ministre. Vice-président du PNDS (le parti du président Mahamadou Issoufou), Mohamed Bazoum a été en charge de la diplomatie du Niger du 25 février 1995 jusqu’au 23 août 1996.

Mahamane Ousmane était alors président mais, à la suite de la démission de la primature de Mahamadou Issoufou, c’est Hama Amadou qui avait formé un gouvernement de coalition. Mohamed Bazoum restera en poste (les Affaires étrangères étant devenues les Relations extérieures) dans le gouvernement du 30 janvier 1996, formé après la prise du pouvoir par le Conseil de salut national (CSP) du colonel Ibrahim Baré Maïnassara.

C’est Mohamed Bazoum qui aura la tâche délicate de faire accepter le nouveau régime aux partenaires extérieurs. A cette occasion, il n’hésitera pas à mettre en cause le président Mahamane Ousmane sans pour autant faire l’impasse sur la responsabilité de la classe politique dans son ensemble : « Il s’apprêtait à dissoudre l’Assemblée nationale, ce qui aurait été une autre forme de putsch. Avec les mêmes conséquences […] Si nous avons tous notre part de responsabilité, le principal fauteur de trouble reste le président. Il n’a pas été à la hauteur de sa fonction et s’est comporté en chef de l’opposition ». Baré Maïnassara dira cependant par la suite que Mohamed Bazoum, en mission à l’étranger lors du putsch, avait « saisi certaines chancelleries pour susciter une intervention vigoureuse » ; il est vrai que les relations entre les deux hommes se sont rapidement détériorées et qu’ils ne manqueront pas, par la suite, de s’invectiver par médias interposés. Placé à plusieurs reprises en résidence surveillée, Mohamed Bazoum sera également arrêté et emprisonné.

Ce n’était pas la première incursion de Mohamed Bazoum dans l’action diplomatique du gouvernement : il avait été secrétaire d’Etat auprès du ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, chargé de la Coopération, dans le gouvernement formé le 7 novembre 1991 par Amadou Cheffou (le général Ali Saïbou était alors au pouvoir) et l’était resté jusqu’au remaniement du gouvernement, le 31 janvier 1993 (élection de Mahamane Ousmane à la présidence de la République). Pendant cette période, il sera sous l’autorité de Hassane Amidou Diallo ; c’est aussi en ce temps-là que Niamey a renoué des liens diplomatiques avec la République de Chine, préférant Taipeh à Pékin, Mohamed Bazoum ayant employé alors cette formule qui résumait bien l’enjeu : « Taïwan ou le chaos » (c’est Baré qui renouera des relations diplomatiques avec Pékin).

Professeur de philosophie de formation, Mohamed Bazoum sera en pointe dans l’opposition à la gestion de Mamadou Tandja. Il sera un des instigateurs de la motion de censure qui fera tomber Hama Amadou, premier ministre, en 2007, et dans le combat contre le projet référendaire de 2009 visant à permettre à Tandja de prolonger son mandat présidentiel.

Mohamed Bazoum n’a jamais été conciliant à l’égard de Tandja. Il avait qualifié de « coup d’Etat », le référendum constitutionnel et réclamera que le président déchu soit jugé pour « haute trahison ». Quand Tandja sera renversé par l’armée, il dira que « c’est exactement ce dont nous avions peur » et que cette mainmise des miliaires sur le pouvoir était de la responsabilité de Tandja. Il n’est pas moins virulent à l’égard de la rébellion du MNJ dont il souligne la « schizophrènie » : le MNJ tient un discours national mais se présente sur le terrain comme un mouvement « communautariste ». Il ne veut pas pour autant exempter le gouvernement central de sa responsabilité : « Il faut reconnaître que les problèmes existent, et le MNJ en est le mauvais symptôme » (discours lors d’une table ronde organisée par Alternative Espaces Citoyens - 2008) ; il affirmait alors qu’il « faudra, un jour, faire le bilan de la rébellion touarègue mais qu’auparavant il fallait créer un rapport de force dans lequel l’Etat sera en meilleure position pour discuter avec le MNJ […] C’est facile de s’asseoir et de parler avec des hommes qui ont pris les armes ; mais c’est difficile d’obtenir un accord durable ». Au lendemain de la prise du pouvoir par l’armée, en 2010, et de la mise en œuvre de la transition, il se félicitera que le CSRD ait choisi de la mener avec le concours de la société civile plutôt qu’avec les partis politiques : « le fait de les tenir tous également à l’écart garantit plus d’équité dans les rapports avec les partis politiques de façon générale. Cette équité n’avait pas été observée en 1999. Il y avait des partis qui avaient eu droit à plus de postes que d’autres à tous les niveaux. Cette fois-ci, on n’observe pas ce phénomène et c’est tant mieux pour notre pays, tant mieux pour cette transition » (entretien avec Sani Soulé Manzo - Sahel Dimanche - 25 juin 2010).

Mohamed Bazoum est désormais le numéro deux du gouvernement ; compte tenu de sa proximité avec le chef de l’Etat (une collaboration politique de plus de vingt ans !), de sa dimension politique nationale et de son expérience internationale, il est en fait le numéro un bis. De son président, il dit que « c’est un homme d’une probité remarquable […] qui a à cœur de réussir tout ce qu’il fait » ; il dit aussi « qu’il aura une relation de grande qualité avec ses alliés et une relation très saine avec le président Hama Amadou [président de l’Assemblée nationale] qui est quelqu’un que notre parti considère énormément du fait du rôle qu’il a joué pour que Mahamadou Issoufou soit au pouvoir » ; il dit encore que la victoire de Issoufou change l’image du Niger : « c’est différent de si c’était quelqu’un qui devait poursuivre la continuité des actions des gouvernements précédents ». Avant même d’être nommé officiellement ministre des Affaires étrangères, il affirmait : « Je pense que notre coalition au pouvoir est une coalition qui est en mesure de relever le défi du retour du Niger sur la scène internationale, beaucoup plus que n’aurait été en mesure de le faire l’ARN [la coalition regroupée autour de la candidature de Seyni Oumarou, le dernier « premier ministre » de Tandja] dont l’image au plan international est catastrophique » (entretien avec Gorel Harouna pour Le Républicain - 14 avril 2011).

Le portefeuille de ministre des Mines a été confié à Foumakoye Gado. Un job que le secrétaire général du PNDS avait déjà assuré (avec l’énergie) du 23 avril 1993 au 5 octobre 1994 quand Mahamadou Issoufou avait été premier ministre. Très en pointe, lui aussi, dans le combat contre le « tazartché », il avait cette formule très explicite : « Le pouvoir n’est pas une carte de téléphone où on donne un bonus ». Vis-à-vis du groupe français minier AREVA, il est dans la même disposition d’esprit que Mohamed Bazoum. Au sujet de Imouraren, il dit : « C’est un bon chantier, mais il faut prendre des dispositions pour qu’il ait des retombées pour la population ». Mohamed Bazoum, de son côté, pose la question : « Combien de permis qui étaient dévolus à AREVA ont été détournés par Tandja ? Il les a pris et les a donnés à son fils pour qu’il les vende à d’autres sociétés […] AREVA est une grande société qui a une démarche éthique […] Tous ceux qui prenaient M. Tandja pour un fou comprennent que les motivations réelles, c’est l’argent de l’uranium qui fait qu’il se comporte ainsi. Il est loin d’être fou » (L’Observateur - 1er août 2009). C’est dire que la « rupture » risque de n’être pas qu’un mot d’ordre mais une réalité !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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