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Tournant la page du clash avec Mamadou Tandja et de la transition militaire, le Niger entend reprendre toute sa place en Afrique de l’Ouest (1/2)

Publié le lundi 25 avril 2011 à 22h55min

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L’exemplarité de l’évolution politique du Niger ne passionne pas les médias. Il est vrai que les Nigériens ne font rien pour cela. Qui se souvient qu’il y a tout juste deux ans, le lundi 4 mai 2009, à Imouraren, lors de la pose de la première pierre de la mine d’uranium, en présence de Anne Lauvergeon, patronne du groupe AREVA, et de Alain Joyandet, secrétaire d’Etat français à la Coopération et à la Francophonie, Mamadou Tandja avait enclenché un processus qui allait le conduire dans le mur ?

Affirmant ne pas « rester insensible » aux cris de la « foule » qui réclamait « la continuité » (tazartché) à la tête de l’Etat, et soulignant que la Constitution « autorise l’organisation d’un référendum, et [que] c’est au peuple de décider », Tandja pensait réussir un coup de force politique aux allures de coup d’Etat. Ce sera le coup de grâce : malgré une victoire référendaire, malgré la révision de Constitution, malgré les menaces et les intimidations, Tandja va être dégagé de la scène politique par l’armée qui organisera le retour des civils au pouvoir via six consultations électorales en l’espace de quelques mois. Bravo !

Le 12 mars 2011, Mahamadou Issoufou était donc élu président de la République avec près de 58 % des suffrages, assurant ainsi une réelle alternance politique (il était le leader de l’opposition à Tandja depuis l’accession au pouvoir de ce dernier fin décembre 1999). Dans son discours d’investiture, il a rendu hommage au « sens des responsabilité » et à la « maturité politique » du peuple nigérien. « Certains peuvent trouver insolite qu’un peuple, constitué en majorité d’analphabètes, puisse accéder ainsi à un tel niveau de maturité politique. Le penser, c’est oublier que l’humanité a un socle de valeurs communes : en effet tous les peuples, quel que soit leur niveau de développement économique, social et culturel, aspirent à la liberté, à l’égalité et à la justice. Le penser, c’est aussi oublier que notre peuple, héritier de grands empires qui s’étaient partagé l’espace nigérien pendant des siècles, a une histoire politique, notamment institutionnelle, caractérisée par le développement d’une culture de compromis favorable à la promotion des valeurs démocratiques, une culture de compromis qui incite à la sagesse, favorise la tolérance et condamne l’extrémisme et la violence. Le penser, c’est enfin oublier que les forces démocratiques ont accompli, depuis vingt ans, un travail politique d’une grande ampleur au sein du peuple ». C’est un discours de circonstance mais qui recouvre une réalité tangible : les Nigériens se sont donnés les moyens de ne pas accepter ce qu’ils affirmaient refuser. Sans pour autant que ces moyens (le recours à l’armée) ait conduit à un processus de mainmise durable des militaires sur le pouvoir politique. Belle performance (même si elle était à risques).

Illustration de la culture de compromis du peuple nigérien : le mardi 19 avril 2011, Hama Amadou était élu président de l’Assemblée nationale. Ancien premier ministre de Tandja, longtemps considéré comme son « dauphin », Hama Amadou a terminé troisième de la présidentielle 2011 tandis que sa formation politique (MODEN/FA-Lumana) était arrivée en troisième position également lors des législatives couplées avec la présidentielle. C’est dire que le changement - même quand il est une « rupture » - n’empêche pas une certaine continuité.

Toujours dans le cadre de cette culture du compromis, le président Mahamadou Issoufou a choisi de nommer un Targui au poste de premier ministre (c‘est une « première » au Niger). Ce n’est pas que de l’opportunisme politique (le problème de la rébellion touarègue est pendant depuis quelques décennies), Brigi Rafini est considéré comme une personnalité politique compétente. Originaire de Iferouâne, dans le massif de l’Aïr (au Nord-Est de Arlit ; à 1.300 km de la capitale, Niamey), Rafini est né le 7 avril 1953. Etudes primaires à Agadez, études supérieures à l’ENA de Niamey puis à l’ENA de Paris (après un passage par l’Institut international d’administration publique), il rejoindra alors la préfectorale. En 1987, il sera nommé secrétaire d’Etat à l’Intérieur puis, en 1988, ministre de l’Agriculture et de l’Environnement. Le général Ali Saïbou a pris la suite du général Seyni Kountché en 1987 et le Niger, à l’instar des autres pays de l’Afrique noire francophone, va connaître les bouleversements liés à la revendication du multipartisme et à l’instauration de la démocratie. Politiquement, Rafini était passé du MNSD (au temps du parti unique) à l’Alliance nigérienne pour la démocratie et le progrès (ANDP) avant de rejoindre le Rassemblement pour la démocratie et le progrès (RDP) créé par Ibrahim Baré Maïnassara et présidé par Hamid Algabid, ancien premier ministre, ancien président de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) et candidat malheureux aux présidentielles de 1999.

Rafini présidera (1989-1991) le Conseil national de développement, sorte de conseil économique et social, et sera député-maire de Iferouâne sous la bannière du RDP (qu’il quittera pour rejoindre le PNDS quand Tandja va s’acharner à conserver le pouvoir). Il va dès lors s’investir pleinement, au nom de l’Assemblée nationale (dont il était un des vice-présidents), dans la recherche de solutions à la « question touarègue », Iferouâne ayant tout particulièrement souffert de l’insécurité liée aux actions de la rébellion. Rafini dira même que sa ville est « l’épicentre de l’insécurité ». Contacts avec le gouvernement central, avec les élus locaux, les chefs traditionnels de la région d’Agadez mais aussi avec le « Guide de la révolution libyenne ».

Pour Rafini, la question de l’insécurité dans la zone sahélo-saharienne concerne tous les « pays riverains du Sahara » qui est « un espace commun à plusieurs pays et tous ces pays ont, plus ou moins ce type de conflits. C’est pourquoi, de plus en plus, nous essayons d’impliquer l’ensemble des pays du Sahara à une réflexion profonde sur la gestion de cet espace […] Tant que les pays qui le côtoient ensemble ne se mettent pas ensemble pour définir les conditions de stabilité et de gestion de cet espace, il va être difficile à un pays, à deux pays, à trois pays… de résoudre le problème qui se pose » (entretien avec Abdoulkarim Mahamadou pour la chaîne de télévision privée Dounia - février 2008).

Son implication nationale et internationale dans cette recherche de solution va formater son mode de production politique. « Si nous devons avoir un mérite, dira-t-il, c’est celui de pouvoir régler nos problèmes par l’intelligence, par la réflexion et par le dialogue. La seule force qui vaille, c’est celle de dissuader, de convaincre, de persuader, car nous avons plus intérêt à vivre ensemble dans la symbiose et dans un climat de paix et de fraternité […] Pour moi, le dialogue doit être permanent et tous les engagements pris doivent être respectés et suivis en permanence également C’est cela la gouvernance que nous appelons de tous nos vœux, pour effectivement vivre dans la paix et l’harmonie, dans un Niger uni que nous voulons de tous nos cœurs. Il n’est pas question, au XXIème siècle, qu’il y ait des velléités d’anarchie, de séparation ou de clivage quelconque. Nos nations doivent parachever leur construction dans la symbiose » (entretien avec Assane Soumana, 3 avril 2009).

Les premiers gouvernements sont toujours « resserrés ». Celui de Rafini n’échappe pas à la règle : 23 ministres dont trois ont le titre de « ministre d’Etat » (Affaires étrangères, Plan et Intérieur) et six femmes (soit le quart de l’effectif), quelques têtes d’affiche et beaucoup de têtes nouvelles ; c’est cela aussi la « rupture » !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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