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An 2 de la crise ivoirienne : A Bouaké, l’antre des rebelles était vide

Publié le mercredi 29 septembre 2004 à 06h38min

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Un bel accueil nous a été réservé à Bouaké, la capitale des Forces nouvelles, le 17 septembre 2004. Depuis les environs de 8 heures jusqu’autour de 15 heures, nous avons été successivement à l’état-major des insurgés du 19-Septembre ainsi qu’à leur secrétariat général, au consulat burkinabè, avant un tour rapide en ville.

Tout cela nous a permis d’avoir une idée de Bouaké qui, aujourd’hui, est à la recherche de ses marques. Le rationnement de l’eau et de l’électricité y est une réalité, ce qui n’est pas pour favoriser son essor économique.

C’est effectivement autour de 8 heures, que le train s’est immobilisé à la gare de la capitale des zones sous contrôle des Forces nouvelles, Bouaké. Comme nous, de nombreux passagers y sont arrivés à destination. Chacun s’affaire à récupérer ses bagages. Un brouhaha noie la rame. Pour descendre, c’est la bousculade.

Il faut jouer les gros bras pour pouvoir se frayer un passage, car ceux qui attendent d’embarquer pour Bouaké sont pressés d’occuper les places assises libérées par ceux qui descendent.

A peine avons-nous mis le pied sur le quai qu’un jeune homme en demi-saison militaire (culotte jean, chemise treillis et képi), se pointe devant nous. Chez les rebelles, surtout chez les engagés volontaires, porter un pantalon, une chemise ou un ceinturon militaire, suffit pour être dans le mouvement.

Vous descendez ici à Bouaké ?

A peine avons-nous le temps de répondre par l’affirmative qu’il poursuit :
Remettez-moi vos pièces d’identité et attendez-moi au poste de police de la gare.

Nous nous exécutons sans broncher, comme d’ailleurs les autres voyageurs arrivés à destination. Au poste de police, il s’agissait d’enregistrer les passagers. Avant de commencer son "job", l’agent commis à cette tâche, d’une voix de stentor, pour calmer les ardeurs des gens qui se bousculaient, précisa net : "Je dois m’occuper d’abord des deux journalistes".

Comment a-t-il su qu’il y avait des journalistes ? Tenez, les nouvelles vont vraiment vite, et de toute évidence, Bouaké avait été informée de notre présence par les éléments des Forces nouvelles, à qui nous avons été présentés depuis Ouangolodougou. Une fois nos identités soigneusement enregistrées, nous sommes conduits au bureau du commissaire de la police spéciale SITARAIL.

Là, sur le bureau, se trouve un vieil ordinateur sur lequel s’affairait un homme d’une quarantaine d’années. Il nous prie de patienter, le temps de conclure le travail engagé sur la machine. Des agents nous apportent deux chaises brinquebalantes que nous acceptons avec plaisir, ne sachant pas combien de temps durerait l’attente.

Dans cette pièce faisant office de bureau du commissaire, sur une autre table, trois fusils d’assaut bien connus : deux kalachnikov et un G3. Dans un coin du mur, deux manchettes. Mais notre inspection de la pièce est interrompue par l’homme qui travaillait sur l’ordinateur.

Pour la première fois nous voyons son visage. Le faciès émincé, il portait une abondante barbe digne d’un révolutionnaire cubain. Il était habillé d’un simple tee-shirt de couleur bleue.

Je suis le commissaire Sangaré de la police spéciale SITARAIL de Bouaké.

Nous sommes des journalistes burkinabè venus couvrir les manifestations commémoratives du deuxième anniversaire de la rébellion en Côte d’Ivoire, avons-nous répondu après nous être nommément présentés.

Ah ! vous êtes Burkinabè ? Vous êtes nos frères. Quel est le nom de votre journal ?
L’Observateur paalga...

Après ces civilités qui ont fini de nous mettre en confiance, il informa ses supérieurs hiérarchiques de notre présence, et reçut alors l’autorisation de nous conduire à l’état-major des Forces nouvelles. Nous voici à bord de sa Renault rouge orangée, sur les flancs de laquelle sont estampillés écrit en jaune et noir : MPCI, commissaire Sangaré.

L’anniversaire aura lieu à Bouna

L’état-major est situé dans l’immeuble qu’occupait, avant la crise, la Caisse de prévoyance sociale de Côte d’Ivoire, la version ivoirienne de notre Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS). Pour qui connaît bien Bouaké, ce bâtiment est à un jet de pierre de la gare ferroviaire.

Là, nous avons attendu au rez-de-chaussée pendant que le commissaire, muni de nos documents (ordre de mission et laissez-passer) faisait le tour des bureaux à l’étage.

Il revint après un bout de temps nous chercher.
C’est fait, a-t-il déclaré, la hiérarchie militaire est informée de votre présence. Maintenant, allons au secrétariat général des Forces nouvelles pour informer aussi les civils de votre arrivée.

Après cinq petites minutes, nous sommes au secrétariat général sis dans les locaux de la préfecture de Bouaké. Un contrôle d’identité à l’entrée, et nous voici dans l’immeuble. C’est là que le commissaire a pris congé de nous, après nous avoir introduits auprès de qui de droit. C’est le directeur de cabinet adjoint, M. Mamadou Togba, qui nous reçoit. Nous l’informons de l’objet de notre présence à Bouaké.

Cette année, c’est à Bouna, à environ 600 kilomètres d’ici, que la fête a lieu. Vous auriez dû entrer en Côte d’Ivoire par Doropo en passant par Gaoua et Kampti. Actuellement tout le monde est déjà parti pour Bouna, car de là, la route est longue et en mauvais état. Seuls les véhicules 4X4 peuvent l’emprunter.

Il tente alors d’appeler le commandant de zone de Ferké, afin qu’il retarde une voiture pour nous conduire de Ferké à Bouna. Malheureusement, avec les problèmes de réseau cellulaire, il ne peut le joindre. Mais il promet d’essayer de le rappeler plus tard aux environs de 12 heures. Sur ces entrefaites, nous demandons à M. Togba un document de voyage, qui nous facilitera la libre circulation durant notre mission en terre ivoirienne. Ce sauf-conduit nous est signé.

Après le secrétariat général, nous mettons le cap, à bord d’un taxi, sur le consulat du Burkina à Bouaké, à 15 minutes de route.

Des maçons travaillent à en relever, de quelque hauteur, le mur d’enceinte, insécurité oblige. Nous trouvons les autorités consulaires en réunion. Il est déjà 12 heures, et il faut attendre. Pour ne pas perdre de temps, surtout qu’il faut reprendre la route pour Ferké, nous embarquons dans un autre taxi pour un autre « Consulat ».

Entendez par là un restaurant, qui porte ce nom, et dans lequel nous reprenons des forces. « Le Consulat », à ce qu’on dit, faisait autrefois la fierté de Bouaké. Aujourd’hui, c’est la désolation : l’eau courante n’y est plus disponible, avec ce que cela comporte comme désagrément.

Quand vous demandez une boisson (bière ou sucrerie), on envoie un garçonnet l’acheter dans un bar non loin de là. Mais pourquoi cela ? "Parce que nous ne pouvons supporter les taxes qu’on nous impose", explique une dame, qui venait de nous servir à manger. Notre quiétude sera subitement perturbée par un appel au secours, suivi de cris et de pleurs d’un enfant. Rapidement, une foule se forme. Il s’agissait en fait d’un petit qu’on venait de prendre la main dans le sac dans une alimentation.

Assurément, celui-là ne va plus chaparder, car il a bien été roué de coups. Après le déjeuner au riz et au foutou-banane, retour au consulat du Burkina. Il nous fallait saluer nos "parents" et récupérer nos bagages, que nous y avions laissés, notre représentation travaillant en journée continue et fermant à 14 h.

En l’absence du consul, qui était en déplacement à Ouaga pour une réunion, c’est le vice-consul, M. Yaméogo, qui s’est chargé de nous accueillir, avec empressement. Comme Bouaké, le consulat du Burkina a cette particularité d’être à cheval entre les zones rebelles et loyalistes. Si dans les premières zones les choses vont mieux pour nos compatriotes, ce n’est pas le cas dans les secondes, où les Burkinabè ont du mal à retrouver leurs maisons, terres et plantations, qu’occupent, depuis, des Ivoiriens.

Des problèmes réels existent

La ville de Bouaké n’est plus, aujourd’hui, ce qu’elle était. Elle est exsangue. La précarité y est assez palpable. Selon beaucoup de personnes que nous avons interrogées, "La ville s’est presque vidée de la moitié de ses habitants, qui ont fui les combats et les exactions". La télévision des rebelles fonctionne de façon sporadique. Faute de moyens de production conséquents, on reprend les émissions de la RTI, qui émet à Abidjan. Côté radiodiffusion, ce n’est guère meilleur. Nous n’avons pas pu capter RFI en FM. Quid des radios locales ? Celle que nous avons pu capter ne diffuse que de la musique. De quelle station s’agit- il ? Nous n’avons pu le savoir.

Côté presse écrite, pas de journaux en circulation. C’est dire que qu’à Bouaké, l’information est une denrée rare. Seuls les privilégiés, qui disposent d’une antenne parabolique, peuvent avoir une ouverture sur le monde. Cet état de fait est imputable au délestage du courant. Avec la crise, beaucoup de travailleurs de la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE) ont pris la poudre d’escampette.

Les quelques agents qui sont restés sont débordés par le travail. Résultat : rationnement de l’électricité. Or sans électricité en permanence, pas moyen d’avoir l’eau courante, encore moins de faire fonctionner une station de radio. Et quand on sait que les délestages dans certains quartiers peuvent durer une semaine et plus, comment s’étonner qu’il n’y ait pas de poissons frais ou de l’eau glacée ?

De fait, le commerce tourne au ralenti. Est-ce pour tout cela que les rebelles ont décidé de ne pas faire payer par les populations les factures d’eau et d’électricité ? En tout cas, depuis le déclenchement de la crise, les gens consomment l’eau et l’électricité sans payer, quand il y en a. "C’est le prix de la révolution", nous explique le commandant de zone adjoint de Bouaké, le sergent Ouattao. Par contre, pour la téléphonie fixe, si au début les gens ne payaient pas, maintenant obligation est faite à tout consommateur de se rendre à Yamoussoukro ou à Abidjan pour régler ses factures.

La téléphonie mobile, elle, marche sans problème, et est gérée par TELECEL et ORANGE. Les fonctionnaires et retraités qui sont restés à Bouaké touchent leurs salaires ou pensions en zones loyalistes (Yamoussoukro ou Abidjan le plus souvent) avec sur le chemin du retour, "les multiples rackets".

C’est aux environs de 15 heures que nous avons quitté Bouaké à bord d’un minibus sans âge. Selon le chauffeur, pour pouvoir voyager, tout transporteur doit se munir d’un laissez-passer, qu’il peut obtenir auprès des services des Forces nouvelles au prix de 7 500 FCFA.

Ce document de voyage est valable pour deux semaines. En route donc pour Bouna.

San Evariste Barro
D. Evariste Ouédraogo

Pour aller de Bouaké à Bouna, nous avons passé une nuit à Tafiré, et une demi-journée à Ferké. Demain, le récit de notre randonnée.


Bouaké, ville des deux roues

Le Burkina Faso, surtout sa capitale Ouagadougou, dans la sous région-ouest-africaine, détient la palme d’or de pays des deux roues. Ce record est cependant en train d’être battu, avec ce que nous avons vu à Bouaké lors de notre bref séjour. En effet, les « chars » y foisonnent de plus en plus, et c’est avec engouement que la population les enfourche dans toute la ville.

Avec la crise qui sévit en Côte d’Ivoire depuis un certain 19 septembre 2002, Il n’y a plus de postes de douane dans les zones dites "ex-assiégées". Les engins contrefaits abondent de ce fait sur le marché, et avec mois de 300 000 f cfa, série A ou pas, on peut s’octroyer une jolie moto. A côté de ces mobylettes toutes neuves, il y a les vielles CAMICO et autres L2, que la conjoncture a obligé certains à ressusciter. Les motocyclettes arrangent bien les gens de Bouaké, qui ont vite fait d’imiter nos voisins togolais et béninois en transportant ceux qui le souhaitent, contre bien sûr des espèces sonnantes et trébuchantes.

Le revers dans cette histoire de deux roues, c’est la vitesse, à laquelle se livrent en ville ceux qui viennent de découvrir la douceur de rouler à moto. Le code de la route n’est pas du tout respecté, et cela ne va pas sans drame : devant nous, une dame et sa fille, qui étaient à pied, ont été renversées le 17 septembre 2004 devant le Consulat du Burkina à Bouaké par un as du guidon. Leur état était sérieux et nécessitait une évacuation rapide à l’hôpital.

Malheureusement, il n’y avait pas d’ambulance, et on dût les y transporter en taxi « woro woro ».

D. E.O.
L’Observateur

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