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Dénouement de la crise ivoirienne : A-t-on raison d’accuser la France ?

Publié le mercredi 20 avril 2011 à 02h12min

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Quiconque aime la Côte d’Ivoire ne peut rester indifférent aux évènements qui ont coïncidé avec l’arrestation du président Laurent Gbagbo, et au tapage de spéculations qui s’en est suivi. On ne peut que se sentir concerné non pas tant simplement par amour de cette Côte d’Ivoire qui pour ma part m’est très chère, mais surtout parce qu’il est nécessaire d’intervenir dans le débat afin d’apporter une contribution dans la seule perspective d’une analyse objective de la situation.

Car si la crise ivoirienne elle-même n’est pas singulière et est à l’image de biens des situations connues en Afrique, son dénouement, en tout cas ce que l’on peut nommer ainsi pour l’instant car nous sommes encore bien loin de ce que l’on pourrait appeler une paix totale, son dénouement, disais-je donc, marque l’histoire politique récente de l’Afrique d’une empreinte singulière. On peut alors espérer et souhaiter, n’en déplaise à d’aucuns, que l’action qui a conduit à la fin de la crise politique, dont tout le reste dépendait, fasse date et serve de référence à l’avenir pour dénouer des situations de ce type en Afrique.

Peut importe l’avis que l’on peut avoir de la situation, et Dieu seul sait que même d’éminents intellectuels de notre continent africain et d’ailleurs, d’éminents chefs d’Etat (ou ex-chefs d’Etat) de notre continent, d’éminentes puissances du monde se sont fourvoyés dans leur prise de position, une seule question mérite d’être posée : fallait-il mettre fin à cette escalade qui conduisait vers une catastrophe humanitaire et une guerre civile certaine ? Si oui, par quel moyen, après que toutes les solutions politiques et diplomatiques aient été épuisées ? Chacun a le droit d’avoir son avis, et on a le droit d’être partisan.

Ce n’est que de bonne guerre. Mais dans ce type de situation qui interpelle l’humanité jusqu’au tréfonds d’elle-même, aucun avis subjectif ne fait autorité. Pas plus celui d’un éminent intellectuel que celui d’un éminent chef d’Etat (ou ex-chef d’Etat), encore moins celui d’une éminente puissance du monde et, bien entendu, la mienne propre. En effet, nous sommes tous susceptibles d’être accusés de passion partisane. La seule autorité, à mon avis, est celle du bon sens moral, celle de la sauvegarde de l’humain. En tout cas, c’est la seule autorité qui inspire cette modeste contribution.

Le droit sans la force ou la force du droit contre le droit de la force

Certains Africains doivent encore se rendre à l’évidence : « Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir. » Cette phrase de Rousseau qui raisonne comme un manifeste politique devrait inspirer l’action politique de bien des chefs d’Etat en Afrique. Au lieu de cela, il semble plutôt que ces derniers sont séduits par un machiavélisme notoire, dans son aspect le plus négatif et dont l’expression suprême se trouve dans la formule dangereuse : « la fin justifie les moyens ». Certes pour l’homme politique mal avisé, on ne peut demander de choisir entre l’idéalisme moral de Rousseau et le réalisme de Machiavel, car le choix est fait d’avance. Heureusement, les choix que nous faisons nous rattrapent toujours, et l’homme politique ne peut se dédouaner des conséquences des actes qu’il pose en arguant tout simplement de quelque bonne intention que ce soit.

C’est une responsabilité qu’il doit assumer jusqu’au bout. De fait, il est courant de penser que l’homme politique, pour être efficace, ne doit s’embarrasser de morale. Mais c’est justement là que nous commettons l’erreur fatale, car la politique est intrinsèquement liée à la morale. L’action politique se projette comme action morale, car celui qui s’engage en politique s’engage à des devoirs, or le devoir est une valeur morale. Le contrat social qui fonde le vivre ensemble créant par là-même le phénomène politique est un contrat moral. C’est un contrat fondé sur des principes de justice et d’équité. L’engagement politique n’oblige personne. Mais lorsqu’on s’y engage, librement de surcroit, on est d’emblée soumis au devoir qu’impose la politeia, c’est-à-dire assurer le bonheur des citoyens dont on est au service et non l’inverse.

Il ne s’agit donc pas d’assurer seulement son propre bonheur ou celui de sa famille, de ses proches, de ses amis et de tous eux qui nous sont dévoués, mais de la société toute entière. Celui qui s’engage donc en politique, alors qu’il n’y est pas obligé, en négligeant ce principe fondamental, doit répondre ensuite de ses actes. Celui qui fait primer le réalisme, l’opportunisme, l’amour du pouvoir et quelque chose d’autre de ce type sur le devoir doit être rappelé à l’ordre, quitte à le faire par la force. Cette force que j’approuve, est celle qui a pour objectif de combattre le droit de la force pour instaurer l’Etat de droit, la force du droit. C’est précisément ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire ce jour mémorable du 11 avril 2011.

Pauvre Afrique !

Tous les acteurs de la crise ivoirienne doivent alors faire face à leurs responsabilités, au lieu de chercher ailleurs les raisons de leurs malheurs. Cette crise ivoirienne, une situation des plus banales en Afrique : Voila un chef d’Etat qui depuis presqu’une décennie, fait tourner tout le monde en rond. D’abord il arrive au pouvoir dans des conditions calamiteuses, comme il le reconnaît lui-même, à l’issue d’élections en 2000. Face à Robert Guéï son adversaire de l’époque qui affirme immédiatement sa victoire, Laurent Gbagbo crie à l’usurpation et à l’injustice, réclamant la victoire qu’il fini par obtenir grâce à la rue. Certes son mandat est perturbé en 2002 par un coup d’Etat manqué qui se mue en rébellion. Compte tenue de cela, une sorte de « légitimité situationnelle » lui est accordée pour rester à la tête du pays à l’issue de son mandat qui prenait fin en 2005, avec la mission d’organiser des élections dans un délai convenable.

Après de longs piétinements et de longues tergiversations, il fini par aller aux élections cinq ans après la fin de son mandat initial. A l’issue des récentes élections de 2010 il perd de façon incontestable et refuse de reconnaître la victoire de son adversaire Alassane Dramane Ouattara. Il s’accroche alors au pouvoir et installe le pays dans une crise politique et sociale sans précédant. Or tout cela avait été minutieusement préparé, car l’homme avait plusieurs tours dans son sac. En effet, à quoi peut-on s’attendre avec un candidat à des élections présidentielles qui a pour slogan, entre autres, « on gagne ou on gagne ! » C’est que l’homme s’était aussi préparé à l’alternative de la défaite. C’est donc ce plan B que l’on sait maintenant qui a été mis a exécution et qui a entrainé tout ce qui s’en est suivi. Le lourd armement qu’il avait en sa possession, sans parler des mercenaires étrangers, est une preuve palpable de sa décision de rester au pouvoir par tous les moyens.

Ce que l’on peut constater dans l’immédiat, c’est que Laurent Gbagbo la victime d’hier se fait encore passer pour une victime aujourd’hui. Mais en réalité, il n’est que l’auteur de l’usurpation et de l’injustice dont il affirmait hier être la victime. C’est ce que l’on appelle avoir la mémoire courte. Ce phénomène de victimisation de Laurent Gbagbo n’est en vérité qu’un mythe. Si encore, Monsieur Laurent Gbagbo avait effectivement gagné les élections et qu’il y avait une coalition de la communauté internationale contre lui, alors nous serions tous avec lui pour le soutenir, dénoncer et combattre cette coalition. Mais la vérité, c’est qu’il a perdu les élections. Ce qu’il sait lui-même, et ce que savent aussi tous ces proches et partisans (dont certains aujourd’hui font allégeance au président Ouattara). Et, comble de l’ironie, ils crient à l’impérialisme, au néo-colonialisme, à l’ingérence, etc. Ainsi accusent-t-ils la communauté internationale, la France en tête, surtout la France.

Mais de quoi accuse-t-on la France et la communauté internationale ? Est-ce d’avoir fait ce que les Africains, bien qu’ils aient eu la volonté, n’ont pas eu les moyens de faire ?
On a coutume de dire que les problèmes africains doivent être réglés par les Africains eux-mêmes. Mais en réalité, les Africains peuvent-ils régler eux-mêmes leurs problèmes ? Les Africains ont-ils les moyens politiques de régler eux-mêmes leurs problèmes ? C’est peut-être à cette question qu’il faut commencer par répondre, car les problèmes des Africains ne seront pas réglés par les Africains par simple décret. Le règlement des conflits des Africains par les Africains eux-mêmes ne se décrète pas, mais doit être sous-tendu par une volonté politique réelle et les moyens de mettre à exécution cette volonté politique.

Pauvre France !

On a reproché à la France d’avoir pris tardivement position pour soutenir la révolution tunisienne contre le pouvoir de Ben Ali ; on lui a aussi reproché et avec elle la communauté internationale, d’avoir mis du temps pour intervenir en Libye pour soutenir l’insurrection contre le Colonel Kadhafi ; on a reproché à l’ONU, à ses forces de maintient de la paix et, partant, à la force Licorne de ne pas être venu en aide aux populations ivoiriennes qui subissaient les exactions des milices, mercenaires et armées. Rappelons- nous aussi qu’il avait été reproché à la France d’avoir laissé le génocide rwandais s’exécuter sans intervenir. Mais que donc reproche-t-on à la France aujourd’hui en Côte d’Ivoire ? Est-ce d’avoir aidé à mettre fin à cet enlisement politique, cette précarité sociale qui conduisait doucement mais sûrement vers une catastrophe humanitaire et une guerre civile ?

Disons-le tout net, et n’en déplaise à tous ceux qui voient partout de l’impérialisme, du néo-colonialisme et que sais-je encore, l’intervention de la France quelle qu’elle soit, même militaire, fut salutaire pour les ivoiriens et les ressortissants étrangers qui vivent en Côte d’Ivoire. Cette intervention, en effet, est doublement légitime : d’abord parce qu’elle a été exécutée selon le droit, sous l’égide de l’ONU, en application d’une résolution du conseil de sécurité, doublé d’une lettre du Secrétaire Général du 10 avril demandant expressément à la force Licorne d’intervenir afin de neutraliser les armes lourdes et de protéger les civiles. De plus le président légitime de Côte d’Ivoire, Alassane Dramane Ouattara, a aussi demandé expressément à la France de l’aide pour venir à bout d’une situation qui devenait intenable.

Il convient de se rappeler qu’en 2002 c’est la France, à la demande du président légitime de l’époque, monsieur Laurent Gbagbo, qui a fait barrage à la rébellion l’empêchant d’assaillir Abidjan, ce qui coupa le pays en deux. A l’époque, on n’avait pas trouvé à redire. Ensuite, cette intervention a aussi, tout simplement, une légitimité morale pour être venu en aide à une population en danger. La France n’a fait que son devoir. De même qu’il est de notre devoir à tous de venir en aide à la vieille dame qui est tombée dans la rue, de même il est du devoir des grandes puissances internationales, sous l’égide de l’ONU d’intervenir pour mettre fin à des situations de menace de catastrophe humanitaire. L’idéal aurait été que la CEDEAO ou UA interviennent. Mais la CEDEAO comme UA ont peut-être la volonté d’agir, mais n’ont pas les moyens de le faire. Mieux, l’idéal aurait été que le président Gbagbo reconnaisse sa défaite, comme un bon démocrate. Mais rien n’y a fait.

Compte tenu du contingent de militaires français présents en Côte d’Ivoire et des liens historiques entre la Côte d’Ivoire et la France, il n’y avait que la France pour intervenir, et elle l’a fait lorsque tous les recours diplomatiques et politiques étaient épuisés. Elle l’a fait pour mettre fin à la souffrance d’un peuple, souffrances dues à un seul individu. Qui plus est, elle est intervenue en appuie des Forces Républicaines de Côte d’Ivoire, c’est-à-dire indirectement. Si c’est cela de l’impérialisme et du néo-colonialisme, alors je suis absolument pour défendre cet impérialisme et ce néo-colonialisme. Les temps ont changé, et il faut que certains Africains (intellectuels, politiques) le comprennent bien. L’époque où la communauté internationale devait assister sans réagir à des situations où des comportements politiques antidémocratiques engendrant un malaise social ou une catastrophe humanitaire en Afrique doit être révolue, cette époque est même révolue.

Désormais le droit d’ingérence pour raisons humanitaires doit s’imposer comme une réalité de notre société mondialisé d’aujourd’hui. Nous vivons en effet dans un espace monde. Et chaque entité de cet espace monde (les pays, les grandes puissances, les continents) doivent être considérées comme des contre-pouvoirs les uns pour les autres. Si l’intervention extérieure est nécessaire pour rétablir un certain ordre social et politique, il faut le faire sous l’autorité de l’ONU. Le cas ivoirien désormais, doit servir de modèle et s’instituer de façon jurisprudentielle.

Je m’insurge donc contre la condamnation de la France, car ce n’est pas elle qu’il faut accuser et condamner. Celle qu’il faut accuser, c’est l’Afrique. Ce sont bien les Africains qu’il faut condamner. C’était bien à eux de régler ce problème ivoirien. Décidément, le temps est encore loin où les Africains pourront régler eux-mêmes leurs problèmes sans l’aide de puissances extérieures. Ceux qu’il faut accuser et condamner, ce sont ces chef d’Etat africains qui s’accrochent au pouvoir par tous les moyens, que ce soit en changeant la constitution ou en refusant de reconnaître le résultat des urnes ou encore en manipulant les élections. Ce qu’il faut condamner, c’est le manque de maturité politique et démocratique de certains Africains. Heureusement que d’autres pays ont fait la preuve de cette maturité politique et démocratique (le Ghana, le Mali, etc.) Certes, la liste n’est pas longue mais cela est encourageant et est de bon augure pour espérer un jour une démocratie totale en Afrique.

Mais finalement, à propos du cas ivoirien, une question reste encore posée. Laurent Gbagbo avait-il toute la maîtrise de la situation ? Car il faut aussi compter avec son entourage qui avait un certain gout effréné du pouvoir, doublé d’une certaine conception mystico-réaliste de la politique et du pouvoir, un peu comme les pythagoriciens en cultivaient pour le nombre. Fort est à penser que chaque décision qu’il prenait, il ne le faisait pas que pour lui mais aussi pour tous les autres. Dès lors on peut considérer qu’il ne décidait pas tout seul, mais sous influence. Aussi, était-il sans doute devenu prisonnier de son entourage, comme pris en otage par celui-ci.

On peut se poser la question de la nature réellement objective de ses conseils. Dans tous les cas, si cela peut être pour lui une source de circonstances atténuantes, cela ne l’absout pas de ses responsabilités de chef. On peut alors imaginer que le dénouement de la crise fut pour lui salutaire, le libérant de chaînes qu’il avait lui-même contribué à se mettre, même si c’est pour se retrouver, par ailleurs, attaché à d’autres chaînes, celles de la justice.

Jacques BATIENO
Docteur en philosophie
Professeur de philosophie

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Vos commentaires

  • Le 20 avril 2011 à 15:28 En réponse à : Dénouement de la crise ivoirienne : A-t-on raison d’accuser la France ?

    c’est vraiment regrettable de rencontrer encore de telles personnes comme vous. suis vraiment désolé car a vous lire, il me semble que les cours de droits constitutionnels et civils ne font pas partie de votre patrimoine intellectuel. avant de se prononcer sur la situation politique d’un Etat souverain, il faut bien se renseigner. il ne suffit d’écrire pour le faire.

  • Le 21 avril 2011 à 16:14, par ADAM En réponse à : Dénouement de la crise ivoirienne : A-t-on raison d’accuser la France ?

    L’ANALYSE EST TRES PERTINENTE ET TRES OBJECTIVE ;PUISSE CE TEXTE OUVRIR LES YEUX DE CERTAINS SOIT DIT INTELLECTUELS AFRICAINS MAIS QUI N’ONT PAS EN REALITE LA PERCEPTION REELLE DES FAITS.

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