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Le jour de la chute du leader… (1/3)

Publié le vendredi 15 avril 2011 à 03h14min

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C’était il y a deux mois, jour pour jour, le samedi 12 février 2011. Ben Ali et Moubarak étaient tombés. J’avais repris quelques lignes du texte écrit en 1985 par le romancier égyptien Naguib Mahfouz dans Le Jour de l’assassinat du leader. C’était une évocation de la mort de Anouar El-Sadate (6 octobre 1981). Elles me semblaient dans l’air du temps. Elles le restent au lendemain de la « capture » de Laurent Gbagbo à Abidjan.

« Je suis retourné m’asseoir, déchiré par des émotions contradictoires : l’amertume, la peur, la joie. Envahi, aussi, par le vague accueil que je faisais à des perspectives à peine entrevues, mais qui promettaient la fin de l’inertie et de la routine, l’essor vers des horizons sans limites. Que vienne demain, il ne sera pas pire que le jour présent ! Même l’anarchie vaut mieux que le désespoir, la lutte contre les fantômes mieux que la peur. Cette secousse a renversé un trône, troué les murs de forteresses ».

C’était, hier, lundi 11 avril 2011. La nouvelle est tombée brutalement dans l’après-midi, totalement inattendue tant on s’était habitué à l’enlisement des « situations » en Côte d’Ivoire et alors que plus personne ne croyait aux échéances annoncées et à l’interminable « assaut final ». On pensait même, y compris dans les milieux français les mieux informés de ce qui se passait sur le terrain « militaire », que la situation pouvait encore se retourner. C’est, sans doute, ce qui a incité les responsables onusiens et français à précipiter les choses. L’affaire traînait depuis trop longtemps pour qu’on ose encore y croire. Et puis, voilà, c’est fait.

C’était hier le jour de la chute du leader… Et ce matin, nous avons été beaucoup à nous réveiller avec la « gueule de bois ». Non pas d’avoir fêté cette « chute » ; mais d’avoir, encore une fois, été « roulé dans la farine ». Gbagbo - sans doute parce qu’il se refusait à y croire - nous avait annoncé une fin flamboyante si jamais elle devait être à l’ordre du jour. « La mort plutôt que la honte ». Et, en face, nos interlocuteurs évoquaient tout à la fois « fort Chabrol », « fort Alamo », bref un « bunker » inexpugnable, QG hyper-sophistiqué de la formidable « bataille d’Abidjan » qui était, nous disait-on, en train de se dérouler.

Mais de la même façon que la dictature de Gbagbo n’a été qu’une minable caricature de celles des « républiques démocratiques et populaires » d’Europe de l’Est, sa chute n’aura été qu’une simple déchéance. Pas d’anges exterminateurs ou sauveurs bien sûr mais pas, non plus, de troupes d’élite, pas de geste définitif à la façon d’un Salvador Allende (le président chilien qui avait choisi de se suicider dans le palais présidentiel de la Moneda plutôt que d’être capturé par la junte militaire qui s’était emparée du pouvoir sous les ordres du général Augusto Pinochet).

Le témoignage de Jean-Philippe Rémy dans Le Monde (daté du mercredi 13 avril 2011) est édifiant quand il décrit Laurent Gbagbo « suppliant qu’on l’épargne » et réclamant à manger car, dit-il , « je viens de loin, j’ai faim » ; et Simone dont la chemise est déchirée et dont les soldats arrachent « ses tresses par pleines mèches de cheveux ». « La défaite n’est jamais belle » commentera Rémy. Celle-ci est ignominieuse ; mais c’est la voie qu’avait choisie d’emblée Gbagbo en refusant de reconnaître sa défaite électorale et en s’auto-proclamant président de la République de Côte d’Ivoire (cf. LDD Côte d’Ivoire 0278/Vendredi 3 décembre 2010) ; Alassane Ouattara empêchera qu’elle soit dramatique.

Tout cela est minable. Affreusement minable même si je ne peux que me réjouir de ce que, dans cet « assaut final », on ait évité ce que l’on pouvait redouter : un « bain de sang ». Mais on ne peut que s’interroger sur l’aveuglement de tous ceux (et ils sont nombreux) qui, en Côte d’Ivoire, en Afrique, en France, on voulu faire de Gbagbo un héros. S’il a achevé son parcours politique comme un tocard, c’est qu’il a été, tout au long de son parcours, un tocard. Et le fait qu’il soit parvenu au pouvoir, qu’il ait tenté de l’exercer, qu’il ait résisté aux multiples pressions des uns et des autres pour l’en chasser, ne change rien à l’affaire ; ce que je dis depuis plus de dix ans maintenant, je le dis encore aujourd’hui : Gbagbo n’a jamais été l’homme qu’il a prétendu être. Et ceux qui l’ont présenté comme un remarquable leader politique devraient se poser quelques questions sur le bien fondé de leurs analyses ; et leurs motivations profondes. Gbagbo a été, souvent, l’expression des frustrations politiques et sociales des uns et des autres, l’instrument de quelques règlements de compte, une façon simpliste de dénoncer une « Françafrique » qui voudrait recoloniser l’Afrique.

Gbagbo tombe à l’avant-veille du jour où sort dans les salles de cinéma françaises le film documentaire du Roumain Andrei Ujica : « L’Autobiographie de Nicolae Ceausescu ». On a souvent comparé le couple Gbagbo au couple Ceausescu et beaucoup de ses ennemis lui ont promis une fin aussi dramatique. Dans un entretien avec Jacques Mandelbaum (Le Monde daté du mercredi 13 avril 2011), le réalisateur explique que ce film lui a permis de comprendre « la dictature comme phénomène collectif ». Il explique : « Pour ma génération, il [Ceausescu] n’était que la personnification du totalitarisme et la cristallisation de notre haine. La réalité est plus complexe. Ceausescu n’est pas un monstre tombé du ciel pour persécuter une nation innocente. Le film montre que l’aveuglement idéologique et un certain assentiment collectif sont nécessaires à l’établissement et à la pérennité du bourreau ».

C’est dire aussi que ceux qui, aujourd’hui, fustigent les Gbagbo et leurs dérives étaient ceux qui, en 2000, avaient laissé faire ; quand ils n’avaient pas applaudi des deux mains à leur victoire. J’ai vu tomber Ahidjo (Cameroun) - même s’il avait choisi de céder la place -, Bédié (Côte d’Ivoire), Gueï (Côte d’Ivoire), Lissouba (Congo), Mobutu (Zaïre), Sankara (Burkina Faso), Tandja (Niger), Traoré (Mali) et quelques autres ; il y a eu la mort de Baré (Niger), Eyadema (Togo), Houphouët-Boigny (Côte d’Ivoire), Savimbi (Angola)… ; les plus critiques vis-à-vis de ces hommes et les plus virulents pour condamner ces régimes étaient ceux qui en avaient profité le plus ; ou avaient déploré ne pas en avoir profité assez. C’est dire que la face hideuse qu’arborait Gbagbo hier, alors qu’il venait d’être capturé, était celle de toute une classe dirigeante. La faillite de la Côte d’Ivoire n’est pas que la faillite d’un homme (ou plus exactement d’un couple) ; c’est la faillite d’une classe dirigeante et de tous ceux qui en ont été les alliés et les partenaires. La liste est longue et ne concerne pas, bien évidemment, que la Côte d’Ivoire et l’Afrique de l’Ouest. Pas même seulement les 107 « proches » qui, hier, ont été capturés en même temps que le couple présidentiel.

Aujourd’hui, c’est jusqu’à la lie qu’il a fallu ingurgiter le breuvage amer concocté par ceux qui, pendant dix ans, ont laissé faire et ont, plus encore, convaincu les Gbagbo du bien fondé de leur action. Les généraux, en grand uniforme (je m’étonne toujours qu’ils ne soient jamais dépenaillés, comme leurs troupes, et qu’ils puissent arborer autant de médailles gagnées on ne sait sur quels champs de bataille), avec à leur tête Philippe Mangou, leur patron, sont venus promettre à Ouattara la même fidélité que celle qui les avaient liés à Gbagbo. Pas rassurant pour la République mais enfin, comme l’a dit Ouattara à cet instant là : « Nous sommes tous des Ivoiriens, et pour ma part j’assurerai la continuité de l’Etat ». Ouattara a raison ; il lui faudra faire avec un pays en miettes et une République en lambeaux. Sans compter une économie en ruines. Mais les miettes, les lambeaux et les ruines ne datent pas du deuxième tour de la présidentielle du 28 novembre 2010 !

A suivre

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche DIplomatique

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Vos commentaires

  • Le 15 avril 2011 à 15:48, par Merline En réponse à : Le jour de la chute du leader… (1/3)

    Je vous retrouve M. Bejot, je vous attendais sur ce sujet. Brillantissime, excellentissime. Tous les habitants de ce pays doivent avoir conscience qu’ils ont presque tous donné "du grain à moudre" à Gbagbo. Depuis les complicités et les complaisances vis-à-vis des crimes de la fesci. L’aveuglement vis-à-vis du synares, syndicat de prof d’université transformé en appendice du fpi jusqu’aux silences de la population qui a laissé l’éducation et la santé se désagréger, en passant par tous ceux qui ont accepté de payer les diplômes pour leurs enfants, de payer un droit de passage à tous ces policiers aux nombreux barrages à l’intérieur et à l’extérieur d’Abidjan, à tel point qu’il ne servait plus à rien d’avoir des papiers valides pour le véhicule. C’EST LA FAILLITE DE TOUT UN PEUPLE QUI A CRU AUX BELLES PAROLES SOUVENT INCOMPRENSIBLES DE CHARLATANS. Le pays est effectiement en miettes : plus de moralité, plus de courtoisie, plus de respect, plus de conscience pour le travail, c’est la loi de la jungle, la loi du plus fort. Roublardise, mensonge, agressivité, sont les seuls cours appris par deux générations dans les nouvelles écoles et universités : sorbonnes, agoras, parlements dont le grand recteur et ordonnateur s’appelle BléGoudé.
    Dans quelles conditions ce pays pourra-til s’en sortir ? Permettez-moi d’être pessimiste et optimiste à la fois

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