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Des démocraties sans démocrates. Des révolutions sans révolutionnaires. Des régimes totalitaires sans dictateurs…Où va l’Afrique du XXIème siècle ? (1/2)

Publié le lundi 11 avril 2011 à 02h37min

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Incohérence et irresponsabilité. Ce sont, selon moi, les deux mots clés du monde dans lequel nous vivons. Un monde « fou, fou, fou… » ? Non, un monde qui, au nom justement de la « mondialisation », s’est efforcé de nous convaincre que, au temps de la globalisation, la nation et l’Etat étaient deux concepts obsolètes et qu’il fallait penser, désormais, les rapports humains en termes de consommation. Consommation des produits et consommation de l’information.

Le contrebassiste Henri Texier le disait, voici quelques années, à Francis Marmande (Le Monde daté du 12 juillet 2007) : « On communique trop vite et on n’échange pas assez ». J’aime cette réflexion dans ce qu’elle peut avoir « d’africain » au-delà de son bien fondé (et de la musique de Texier). Dans le monde « occidental », l’échange est essentiellement un acte économique et le fondement du capitalisme (l’échange de sa force de travail contre un salaire, l’échange inégal entre le Nord et le Sud, etc.) ; en Afrique, « échanger », c’est prendre le temps de dialoguer, en parlant de tout et de rien sans pour autant « évacuer » les sujets graves et les questions essentielles.

Or, il faut bien le constater, nous vivons dans un monde où la confrontation couvre le bruit des conversations. Bien plus que par le passé ; parce que chacun, désormais, se replie sur ce qu’il pense être sa « communauté ». Les idéologies étaient transculturelles ; la fin des idéologies a favorisé la montée en puissance de tous les « communautarismes ». Ancrés dans nos certitudes, nous avons tué toute possibilité de dialogue en faveur d’un système binaire (qui est le fondement de l’informatique) : oui/non. Sans jamais nous poser la question de ce qu’impliquent ce « oui » et ce « non ». D’où ces démocraties sans démocrates, ces révolutions sans révolutionnaires, ces régimes totalitaires sans dictateurs…

Je m’explique. Je conçois que les Libyens ne veuillent plus de Mouammar Kadhafi et d’un régime qui est à des années-lumières des idéaux auxquels, initialement, le « guide de la révolution » faisait référence. Une société sans classes sociales, sans partis, sans Etat, fondée sur le référendum et les « comités populaires ». Que la population s’insurge c’est, selon moi, une nécessité historique. « Quand la dictature est un fait, la révolution est un devoir », disait-on, au Portugal, lors du déclenchement de la « révolution des oeillets » en 1974. Mais si la révolution est un devoir ; il faut l’accomplir comme une tâche et s’en donner les moyens. Je ne suis pas de ceux qui s’enthousiasment pour l’insurrection de Benghazi. Et je trouve le Conseil national de transition (CNT) irresponsable. Il n’y a pas de révolutions sans révolutionnaires et les XIXème et XXème siècles nous avaient appris qu’elles se construisaient idéologiquement, politiquement, militairement ; elles ne s’improvisaient pas dans la précipitation avec des civils de bric et de broc et des « hommes politiques » subitement en rupture avec le régime en place. « On fait la guerre pour vivre et non pas pour mourir », disait Giovanni Acuto, condottiere anglais au service de la République de Florence. Et Curzio Malaparte ne manquait pas de le rappeler dans sa « Technique du coup d’Etat » paru dans les années 1930 quand « révolutions » et « coups d’Etat » étaient à l’ordre du jour en Europe et ailleurs dans le monde (enfin en Asie et en Amérique latine).

Une révolution, tout comme un coup d’Etat, s’organise rationnellement. Plus encore aujourd’hui qu’hier dès lors que les armements et les moyens de communication mis en œuvre réclament une maîtrise des technologies qui ne peuvent pas s’acquérir en dix minutes. Penser que la spontanéité (chère à Ernesto « Che » Guevara dont on sait ce qu’il est advenu de ses « révolutions » américaines et africaines) et l’improvisation peuvent triompher, c’est « battre le tambour avec les tibias des morts ». Résultat : l’insurrection de Benghazi n’a, jusqu’à présent, provoqué qu’un immense foutoir dans lequel ni les Libyens ni les « occidentaux » ne savent qui est qui et qui fait quoi. Et dans le même temps, plus à l’ouest, sous la pression directe de Tripoli, Misrata se prépare à devenir une ville martyre : le « Guernica » de la « révolution libyenne ». Peut-on penser que l’on va former une nation et construire un Etat avec des « politiques » dont l’irresponsabilité est totale dès lors qu’ils pensent pouvoir surfer sur un mouvement de révolte qu’ils n’ont pas déclenché et pouvoir engager toute une population dans l’illusion que des hommes aux mains nues peuvent triompher de groupes puissamment armés ? Quand bien même ils parviendraient au pouvoir, ils seraient les otages des « puissances occidentales » qui, ayant empêché le pire, leur permettront d’accéder au meilleur. Pour eux-mêmes ; pas pour les peuples. Le CNT ramène l’Europe, l’Amérique et l’OTAN en Afrique du Nord ; et ce n’est pas la meilleure chose pour la paix, pour le monde arabe et pour l’Afrique ! Ni même pour l’Europe méditerranéenne. Les Italiens et les Français commencent à en prendre conscience.

En 2002, en Côte d’Ivoire, les Forces nouvelles, en réaction à la politique d’exclusion mise en œuvre par Laurent Gbagbo, ont tenté de s’emparer du pouvoir à Abidjan. Mais ont échoué. Elles parviendront cependant à se maintenir sur une ligne de front dont le centre de gravité sera Bouaké. Près de dix ans plus tard, ne manquant pas d’hommes, de moyens et de « connexions » internationales, on pouvait penser que ces Forces nouvelles auraient pu imaginer, connaissant Gbagbo, que ce dernier, acculé, après cinq années de résistance continuelle, à organiser une élection présidentielle dont il était mathématiquement le perdant, n’accepterait pas un verdict des urnes qui lui serait défavorable. Là encore, rien n’a été organisé rationnellement et Alassane Ouattara est depuis quatre mois confiné dans un hôtel tandis que « ses » troupes sont incapables de venir à bout de quelques centaines d’hommes qui, eux, pendant tout ce temps, ont entrepris d’organiser leur dernière ligne de défense afin de la rendre inexpugnable. Du même coup, voilà encore une fois les « puissances occidentales » appelées à la rescousse et nos très chers « démocrates » africains qui ne voulaient pas accéder au pouvoir dans les fourgons des militaires contraints de dire : « merci monsieur Sarkozy ».

Mais qui peut légitimement reprocher aux « puissances occidentales » de jouer le jeu qui est le leur et qu’ils entendent imposer à tous ? La démocratie ne peut pas être le résultat d’une démarche consensuelle entre ceux qui détiennent le pouvoir et ceux qui le subissent. C’est le résultat d’un rapport de forces. Dont il faut se donner les moyens : une organisation rationnelle. Si, aux XIXème et XXème siècles, les choses pouvaient paraître simples, il y avait la nation, l’Etat et rien d’autre sauf la nation et l’Etat des autres (d’où les guerres franco-prussiennes puis franco-allemandes), au XXIème siècle la donne est plus complexe du fait d’une mondialisation qui brouille les cartes. Et créé des connexions dans lesquelles la nation et l’Etat ont bien du mal a reconnaître qui est qui et qui fait quoi pour le compte de qui. On ne fait plus la guerre pour des raisons qui relèveraient de « l’impérialisme » mais pour des motivations « humanitaires » ; sans que cette « humanitarisme » soit très probant pour les populations qui subissent les bombardements, les exactions, les meurtres, les famines, les maladies, les viols, etc. tandis que les gouvernements discutent et négocient sans cesse de nouvelles règles du jeu. Et différentes lectures de ces mêmes règles. L’incohérence d’un monde « occidental » qui ne se veut plus « impérialiste » mais « humanitaire » trouve ainsi à s’exprimer pleinement dès lors que les leaders politiques font preuve d’une irresponsabilité totale.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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