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« L’histoire est en marche » nous dit Barack Obama. Mais les Etats-Unis veulent choisir ceux et celles avec qui ils entendent « faire un bout de chemin ».

Publié le jeudi 31 mars 2011 à 14h35min

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Washington. Lundi 28 mars 2011. Dans le cadre de l’Université de la défense nationale, en l’espace de vingt-sept minutes, le président Barack Obama a livré sa doctrine en matière de politique étrangère. Première puissance mondiale, les Etats-Unis, « nés d’une révolution », considèrent avoir une responsabilité envers « les autres êtres humains » ; ne pas l’assumer serait « trahir ce que nous sommes », dit-il.

« Ceux qui aspirent à la liberté » doivent donc trouver en l’Amérique une « amie ». Une « amie » qui a des… amis : pas question, a souligné le président US, de « porter seul tout le fardeau » dans des opérations de soutien extérieur (sauf si les intérêts vitaux américains sont menacés) ; le leadership US doit ainsi se limiter à « créer les conditions et les coalitions », les partenaires de l’Amérique devant « payer leur part des coûts ».

Illustration : la Libye. « En tant que président, j’ai refusé d’attendre les images des massacres et des fosses communes pour passer à l’action », affirme Obama ; mais c’est une action « limitée » : « Ce serait une erreur d’élargir notre mission militaire pour inclure le changement de régime ». L’opération résultant d’une coalition, « si nous essayions de renverser Kadhafi, notre coalition se fissurerait. Il faudrait mettre des troupes au sol, ou risquer de tuer de nombreux civils avec l’aviation. Les coûts seraient plus élevés ». Obama tourne donc la page de l’Afghanistan et de l’Irak (« Le changement de régime a pris huit ans, des milliers de vies américaines et irakiennes et près de 1.000 milliards de dollars. Ce n’est pas quelque chose que nous pouvons nous permettre de répéter »). Le temps des guerres « impérialistes », dans leur version « Made in USA », serait révolu ; il ne s’agit, aujourd’hui, que d’accompagner « l’histoire […] en marche » lorsque les peuples sont résolus à « déterminer leur propre destin ».

Reste à savoir quels peuples seront ainsi les « amis » de l’Amérique dès lors que leur chef n’en est plus un (« Il ne fait aucun doute que la Libye - et le monde - se porterait mieux si Kadhafi n’était plus au pouvoir ») ; Obama a fait l’impasse sur la liste des pays où « l’histoire est en marche » tandis que son conseiller diplomatique, Dennis McDonough, n’a pas manqué de souligner que chaque pays dans le monde présente une situation « unique » et qu’il n’est pas question de prendre une « décision [d’intervention] en fonction d’un précédent ou d’un souci de cohérence » ; le critère, a-t-il précisé, c’est « ce qui avance le mieux nos intérêts ». L’Amérique serait donc du côté de ceux qui luttent pour leur liberté ; mais cela ne signifie pas un engagement sur le terrain, tout au plus la garantie de ne pas trouver Washington de l’autre côté : celui des pouvoirs en place ! Une Amérique « progressiste » en quelque sorte, en rupture avec l’Amérique des « Bush-Men » ? Sauf que ce discours est aussi celui des « républicains ». « Si un prochain secrétaire à la défense conseille au président américain de dépêcher à nouveau un fort contingent dans un pays d’Asie, du Moyen-Orient ou d’Afrique, alors il faut qu’il aille se faire soigner la tête », disait récemment Robert Michael Gates, ancien patron de la CIA, secrétaire US à la Défense dans l’administration de George W. Bush et reconduit dans ses fonctions par Obama lors de son accession à la Maison Blanche.

Commentant les propos de Gates (sur le départ, il va quitter son poste ayant formulé, dès 2010, sa volonté de se retirer de la vie politique active), le 25 février 2011, à l’académie militaire de West Point, Alain Frachon, dans Le Monde (daté du 11 mars 2011), évoque « l’extrême réticence » des responsables politiques US à intervenir en soutien des « révoltes arabes ». Frachon explique que la « vigueur » de ces révoltes résulte notamment de « leur autonomie ». Il ajoute : « Elles ne sont pas motivées par des considérations de politique étrangère (Israël) ; elles ne sont pas faites au nom d’une idéologie (socialisme, islamisme, tiers-mondisme, etc.). En franglais, ont les dirait purement « domestiques ». Elles ont marginalisé Al-Qaida et porté un coup à la glorification de la violence djihadiste. C’est tout cela qui serait menacé par une intervention extérieure massive en Libye ».

La Libye focalise l’attention de « l’occident » mais ce n’est pas le seul pays où « l’histoire est en marche ». Gates affirmait, le 25 février 2011, au sujet du soutien à la rébellion anti-Kadhafi par la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne au dessus de la Libye : « Il faut appeler un chat, un chat, cela suppose d’attaquer au préalable la Libye » ; un mois plus tard, cependant, c’est bien ce à quoi ont participé les Américains : un acte de guerre. Et quelques uns se posent la question : pourquoi une telle opération contre Kadhafi alors que, ailleurs, on laisse faire ? L’amiral Jacques Lanxade, chef d’état-major particulier de François Mitterrand (1989-1991), chef d’état-major des armées (1991-1995), ambassadeur en Tunisie (1995-1999), posait la question, dans Le Parisien (dimanche 27 mars 2011 - entretien avec Bruno Fanucchi) : « Ce que l’on fait en Libye, pourquoi ne le fait-on pas en Côte d’Ivoire ? ».

Et il faut reconnaître que le message que le président Obama vient d’adresser, par ailleurs, à la Côte d’Ivoire et à « son peuple », apparaît en retrait par rapport à la volée de missiles Tomahawk tirés sur la Libye : « Il est temps que la démocratie triomphe en Côte d’Ivoire. Et ceux qui auront choisi cette voie trouveront un ami et un partenaire dans les Etats-Unis d’Amérique ». Le locataire de la Maison Blanche peut bien féliciter « le président Ouattara de son offre d’un avenir pacifique à tous les Ivoiriens : un gouvernement participatif, la réunification et la réconciliation », il s’abstient de fustiger autant qu’il conviendrait le comportement de Laurent Gbagbo et « de ses partisans [qui] s’accrochent au pouvoir ». C’est que le golfe de Guinée n’est pas la mer Méditerranée, que l’Afrique noire n’est pas l’Afrique du Nord (et plus encore le « monde arabe ») et que la capacité de nuisance de Gbagbo ne s’exerce qu’à l’encontre des Ivoiriens et des ressortissants des pays de la sous-région, sans incidences majeures sur ce que le conseiller diplomatique d’Obama caractérise comme les « intérêts » de l’Amérique (et parmi ces « intérêts », figurent évidemment, même si personne ne le dit à haute voix, la lutte contre Al Qaida).

Il y a aussi que les puissances « occidentales » voudraient, en Afrique, compter sur l’Union africaine et qu’elles ne le peuvent pas. Concernant la Libye, membre de l’UA, la difficulté a été contournée en considérant le pays comme appartenant bien plus à la Ligue arabe qu’à l’UA (ce qui n’est pas vrai) et en obtenant son feu vert (même s’il vire à l’orange). Au sujet de la Côte d’Ivoire, Lanxade dit clairement les choses : « On avait espéré que les forces de l’Union africaine viennent et fassent partir Gbagbo par la force, mais elles ne sont pas là ». Constatation quelque peu hypocrite d’ailleurs : Lanxade est bien placé pour savoir que l’UA est dans l’incapacité politique et militaire de mener, rapidement, une telle action ; et que la Côte d’Ivoire compte bien plus sur la « communauté internationale » que sur la « communauté africaine » pour régler son problème.

C’est aussi que le poids « continental » de l’Afrique pèse de plus en plus dans les relations internationales et que le monde « occidental » veut n’en avoir qu’une vision globale, « multilatérale », tandis que ses relations avec les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient relèvent encore exclusivement du « bilatéral ». Sauf que cette dimension continentale s’exprime mal via l’UA qui n’a pas les moyens de sa politique. Notamment, de sa politique « militaire ». D’où une attente qui se révèle être une illusion mortelle !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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