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Le « printemps africain » de Alpha Condé pourrait être mis à mal par quelques gelées tardives (3/3)

Publié le mercredi 30 mars 2011 à 02h42min

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26 janvier 2011. Alpha Condé est à Tripoli. Il y a tout juste un mois qu’il a prêté serment en tant que président de la République de Guinée. Il séjourne dans la capitale libyenne alors qu’à Tunis le président Ben Ali a pris la fuite une dizaine de jours auparavant, le 14 janvier 2011 ; au Caire débutent les premières manifestations qui feront chuter le président Hosni Moubarak. Il n’est pas nécessaire d’être un géopoliticien de premier plan pour comprendre que le « monde arabe » n’en peut plus d’étouffer sous la férule de dictateurs au pouvoir depuis une éternité. Mais à Tripoli, Condé négocie la réalisation, parmi d’autres choses, d’un hôtel cinq étoile dans le quartier de Kipé, à Ratoma, là où il réside, et voit en la Libye une « citadelle révolutionnaire qui a servi de support pionnier dans la réalisation des aspirations des peuples du monde à s’approprier leur pouvoir et à rester attaché à leur décision ». Condé semble écrire sous la dictée de Kadhafi !

Libre à Condé de trouver des qualités au régime libyen ; cela prouve, qu’au moins, il a « la reconnaissance du ventre ». Mais on s’étonne que le 7 février 2011, à Addis Abeba (Ethiopie), lors du sommet de l’Union africaine, interrogé par Marc Perelman de France 24, Condé stigmatise les régimes tunisien et égyptien, dénonçant « le soutien total de la France » aux « dictateurs » Ben Ali et Moubarak, et affirmant que ce qui se passe en Afrique du Nord doit « faire réfléchir les grandes puissances qui soutiennent les dictateurs aveuglément ».

Que Condé dénonce le soutien des « grandes puissances » aux dictateurs africains et arabes, O.K., c’est son job de « socialo », « d’opposant historique » aux dictateurs guinéens, qu’il s’enthousiasme pour les Tunisiens et les Egyptiens qui ont dégagé en touche Ben Ali et Moubarak c’est, là encore, dans la norme, mais alors pourquoi aller « cirer les pompes » de Kadhafi à Tripoli et de José Eduardo Dos Santos à Luanda (Angola), pays où il s’est rendu après son séjour en Libye ?

« On ne peut ni laisser un dirigeant massacrer son peuple ni laisser des puissances extérieures tirer sur l’Afrique » expliquera Condé à Etienne Mougeotte et Pierre Prier dans Le Figaro (23 mars 2011). « Je suis pour les solutions pacifiques en Afrique ». D’accord, sauf que les Guinéens, pendant quelques décennies, ont été massivement « massacrés » et que s’il n’y avait pas eu un règlement de compte au sein de l’armée qui avait pris les commandes du pays après la mort de Lansana Conté et la « facilitation » de Blaise Compaoré, Condé ne serait pas autre chose aujourd’hui que ce qu’il affirme avoir toujours été : « un opposant historique ».

Et quand il est interrogé sur « le drame ivoirien » et la question de savoir si « Laurent Gbagbo doit partir », Condé n’est pas plus « franc du collier » : « Je pousse mes collègues chefs d’Etat à établir un dialogue entre le président Gbagbo et le président Ouattara ». Je m’agace toujours que l’on mette sur le même plan un président battu et un président élu ; je note surtout que le sens du dialogue n’est pas la qualité majeure de Gbagbo. Et quand les interviewers du quotidien Le Figaro veulent en savoir un peu plus : « solution politique et non pas militaire […] partage du pouvoir », Condé répond simplement : « Je n’ai pas de schéma tout prêt. Je constate simplement qu’à Abidjan on se tire dessus à l’arme lourde, et que c’est le peuple qui meurt ».

Puisque Condé n’a pas tout compris du « drame ivoirien », je lui précise qu’en fait ce sont essentiellement les « troupes » de Gbagbo qui tirent « à l’arme lourde » sur le « peuple » ivoirien en ciblant les quartiers qui sont considérés comme des fiefs des électeurs de Ouattara. Ce qui ne manque pas de faire désordre dès lors que Gbagbo et Condé sont deux « camarades » de l’Internationale socialiste ; et deux partenaires de la multinationale Bolloré (il faut lire à ce sujet le papier de Airy Routier dans France-Soir du samedi 26 mars 2011 : « Conakry, renvoi d‘ascenseur » ; Routier, ancien rédacteur en chef adjoint de l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur, est un enquêteur crédible qui s’est illustré, autrefois, avec un livre sur « l’affaire Elf », et qui a rencontré, dans cette affaire, Condé et Pierre-Olivier Sur, avocat de Getma et… ami de Condé).

C’est sans doute une des explications à la complaisance de Condé à l’égard de Gbagbo qu’il se refuse à caractériser comme un « président battu » qui s’incruste au pouvoir ; mais il vrai que l’ostracisme de Gbagbo a l’égard des « gens du Nord » (ostracisme que, d’ailleurs, il instrumentalise largement pour justifier son maintien au pouvoir) n’est pas sans rappeler l’ostracisme de Condé à l’égard des Peuls.

Il est vrai aussi qu’à Conakry Condé a chargé l’armée de virer manu militari les équipes de Getma pour y installer celles de Bolloré (les « socialistes » ne sont plus les antimilitaristes qu’ils ont été par le passé) et qu’il a promis de faire « participer [l’armée] à la vie économique », comme si les galonnés guinéens avaient attendu de changer de patron pour mettre la main sur le tiroir-caisse ! Mohamed Lamine Fofana, le ministre des Mines et de la Géologie, a déclaré au quotidien Les Echos (vendredi 24 mars 2011) que « depuis cinquante-deux ans, ce secteur n’a rien rapporté à la population » ; or chacun sait que le secteur minier guinéen (bauxite : les deux tiers des réserves prouvées mondiales ; fer : 40 milliards de tonnes de réserves estimées ; diamants ; nickel ; uranium ; or : potentiel de plus de 100.000 tonnes) représente 25 % du PIB ; il y a quand même bien quelqu’un qui a mis la main sur le pactole ; et si ce n’est pas la population, ce sont ceux qui ont dirigé le pays jusqu’à présent, autrement dit les militaires.
Condé nous promet « un printemps africain », nous assurant que les prémisses en ont été son élection à la présidence.

Mais les premiers bourgeons tardent à percer. Pour l’instant, la Guinée reste un pays qui fait la « une » avec des affaires jamais très claires. Au-delà de « l’affaire Getma-Bolloré », une autre tête d’affiche apparaît dans le théâtre d’ombres de la Guinée. Il s’appelle Dominique Gevrey. Un petit capitaine de l’armée française (« petit » dans la mesure où il a gravi les échelons un à un après avoir quitté l’école en 6ème) qui s’est illustré, récemment, en France, par « l’affaire Renault » ; une histoire d’espionnage industriel qui finit en carambouille dont Gevrey serait l’instigateur et le bénéficiaire. Gevrey avait été recruté par la direction de la sécurité du groupe Renault. Il venait de la Direction de production et de sécurité de la défense (DPSD), sorte de NCIS soft à la française. Il y « suivait » les mercenaires en Afrique.

Renaud Lecadre écrit dans Libération (samedi 19 et dimanche 20 mars 2011) que Gevrey envisageait « sa reconversion comme consultant des chefs d’Etat africains » et qu’il se « rend souvent en Afrique pour arrondir ses fins de mois par ces conseils à la bonne franquette ». Gevrey a tenté de prendre la poudre d’escampette. Le 11 mars 2011, il s’est fait « serrer » à l’aéroport « en partance pour Conakry, pour y tuyauter le président guinéen, Alpha Condé, avant sa visite à Nicolas Sarkozy » (Libération - cf. supra). Pas de commentaires du côté de Conakry et Paris ; à la veille de la visite de Condé, on préfèrera se taire : l’ambition de la France est de reconquérir le terrain économique perdu en Guinée et cela vaut bien quelques arrangements entre amis.

D’autant plus que Condé laisse entendre que son pays pourrait, à terme, revenir dans la zone franc.
« Une hirondelle ne fait pas le printemps », dit-on. Un nouveau « patron » à Conakry ne fera pas le « printemps africain ». Pas de la façon dont les premiers mois de sa présidence se déroulent : trop de zones d’ombre, trop d’affairisme. Mais faut-il s’en étonner de la part de Alpha Condé ? Cela nous promet un mandat particulièrement agité.

Jean-Pierre Béjot

La Dépêche Diplomatique

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