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Chesnot et Malbrunot otages : La France dans le piège moyen-oriental ?

Publié le vendredi 24 septembre 2004 à 10h18min

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Chesnot et Malbrunot

Paris vient de trouver, à son corps défendant, la porte d’entrée dans les affaires moyen-orientales. Ce qui ne peut que ravir Chirac qui a toujours ambitionné, pour la France, de développer une politique arabe dont l’axe Paris-Alger n’est qu’une bien maigre expression. Reste, pour Paris, à savoir où se trouvera la porte de sortie. En espérant que nous ne soyons pas obligés d’emprunter une issue de secours.

La semaine qui vient de s’écouler a été dense pour la classe politique française et pour notre diplomatie. Il faut en souligner les aspects exceptionnels. Cette capacité que montre la France, chaque fois, dans les moments dramatiques, à se rassembler et à se mobiliser. Rassemblement et mobilisation qui transcendent les clivages politiques et religieux. En 2001, les Français étaient tous "Américains".

En 2002, ils étaient tous "démocrates" et "anti-fascistes". En 2004, ils étaient tous "musulmans". Christian Chesnot et Georges Ma1brunot, s’ils sortent indemnes de cette aventure irakienne, ce que l’on ne peut que souhaiter le plus ardemment possible, pourront se dire, eux qui ont consacré leur vie professionnelle (et bien au-delà de ce que recouvre ce terme quand on est journaliste) au monde arabo-musulman, leur "engagement" n’a pas été vain.

La France, qui a une très lourde dette vis-à-vis des peuples musulmans, a découvert que les Français musulmans existaient, étaient organisés, responsables, déterminés et courageux. Chesnot et Malbrunot ont plus fait pour affirmer la légitimité des organisations musulmanes que quiconque jusqu’à présent (à tel point d’ailleurs que la voix des Français musulmans a couvert celle de nos partenaires gouvernementaux maghrébins que l’on a peu entendue dans cette affaire). Et beaucoup de nos compatriotes ont découvert que les femmes voilées n’étaient pas, nécessairement, des femmes muettes !

La France s’est découvert aussi un réseau dense d’amitiés moyen-orientales. Barnier, qui ne cesse de prôner une diplomatie "d’influence", vient de découvrir que cette "influence" existait déjà, de longue date ; et que cette "influence" était le fait d’hommes et de femmes qui s’étaient beaucoup (et durablement) investis au Moyen-Orient. Héritage d’une élite intellectuelle et d’une diplomatie marquée par des générations de "drogman" et la filière "Orient" de son recrutement.

Dans ses récentes pérégrinations moyen-orientales, il faut espérer que Barnier avait embarqué avec lui les Sept piliers de la sagesse de T.E. Lawrence. Qui lui rappeleront que les Français ont été partie prenante dans la conclusion de la "révolte arabe" de 1917-1918 et que des troupes algéro-françaises accompagnaient Allenby quand il entra dans Damas. Mais qu’ils avaient déjà "trahi" les Arabes par la signature des accords secrets franco-anglais Sykes-Picot (16 mai 1916).

Si Barnier a relu Lawrence, il a dû en retenir une phrase essentielle : "On affirme en Orient que le meilleur chemin pour traverser un carré est d’en parcourir trois côtés" (chapitre V dans Introdution). Et cette déclaration de Fayçal à Lawrence : "Voyez-vous, les nécessités de la guerre nous lient aujourd’hui aux Anglais. Nous sommes charmés de leur amitié, reconnaissants de leur aide, prêt à partager les profits de la lutte. Mais nous ne sommes pas des sujets britanniques" (chapitre XIV dans Livre 1). C’est dire qu’en Orient il faut du temps, beaucoup de temps. Et, qu’au-delà du temps, rien n’est jamais durable !

Barnier rend compte, ce week-end, à Chirac. Et doit retrouver, dimanche après-midi, le Premier ministre et les membres de la cellule de crise. L’objectif immédiat est, bien sûr, la libération de Chesnot et Malbrunot. "Priorité absolue" affirme, à juste titre, le ministre des Affaires étrangères. Ensuite, sera passé le temps des "nécessités de la guerre". Viendra celui des réalités. Y compris les plus inattendues. La France ne voulait pas entendre parler de la guerre contre l’Irak. Paris était au-dessus de la mêlée. Et y fait une irruption remarquée. Malgré elle. Il va lui falloir, désormais, gérer tout cela.

I - La place de la communauté des Français musulmans dans la vie politique, sociale et culturelle de la France. Tous les commentateurs s’accordent à reconnaître que le Conseil français du culte musulman (CFCM) et, plus encore, l’Union des organisations islamiques de France (UO/F), ont gagné, dans cette bataille, une légitimité qui leur était refusée.

En privilégiant l’approche islamique d’un problème strictement politique, Paris a mis à contribution les seuls interlocuteurs identifiés : les organisations musulmanes. Qui ont joué à fond le jeu du gouvernement. Et sont devenues des partenaires incontournables. Malgré (ou à cause) de la loi sur la laïcité. Ce qui ne va pas manquer de fâcher les organisations juives de France, Israël étant tout naturellement exclu de ce dossier moyen-oriental. Ce qui est une nouveauté. Les Français musulmans sont, jusqu’à présent, les grands "profiteurs" de cette crise.

2 - Les relations de la France avec les gouvernements arabes. L’unanimité a été quasi totale dans la condamnation de la prise en otages des journalistes français (on aurait aimé, d’ailleurs, que cette condamnation soit systématique : ces prises d’otages sont injustifiables quel que soit le pays d’origine de l’otage !). Quel va être le prix à payer pour le soutien des capitales arabes à Paris ? Ce sont, généralement, des gouvernements autoritaires qui ont une vision à géométrie variable de la question du terrorisme et des relations intra-arabes. En fonction du rapport de force international. C’est-à-dire en fonction de ce qu’en pensent la Maison Blanche et le Pentagone !

3 - Les relations des gouvernements arabes avec les gouvernements des pays membres de la "coalition". Quand Iyad Allaoui, premier ministre irakien, dénonce et menace Paris c’est Washington et la "coalition" qui s’expriment. Les marges de manoeuvre du Caire, d’Amman, etc... sont étroites. Y compris vis-à-vis des groupes terroristes. L’argument islamique n’a beau être qu’un prétexte, il y aura des voix (et pas seulement des voix) pour dénoncer le soutien de ces régimes (souvent en état de décomposition) a un pays qui "refuse le port du voile par les jeunes
filles musulmanes".

Ces régimes cherchent un soutien de côté de Paris. Paris est-il en mesure de les soutenir ? Une victoire des démocrates à Washington et un moindre (seulement moindre) engagement US au Moyen-Orient ne risque-t-il pas de laisser submerger la région par les groupes terroristes qui ne cessent de se multiplier et de trouver des relais, y compris en Afrique de l’Ouest et dans le Caucase, auprès des groupes mafieux.

4 - Les relations de Paris avec Bagdad et les multiples oppositions. Il y a en Irak des "résistants" à l’invasion US qui s’opposent au gouvernement fantoche (il n’est rien d’autre pour l’instant) de Iyad Allaoui. Et une myriade de groupes et groupuscules, plus ou moins en connexion entre eux et avec "l’étranger". Allaoui n’aime pas la politique de la France en Irak tandis que la France voudrait bien retrouver dans ce pays l’impact qui avait été le sien dans le passé. C’était l’objet de la visite à Paris de Ghozi al-Yaour, le président irakien. Visite torpillée par l’affaire des "otages". Ce qui satisfait Allaoui et, du même coup, ses commanditaires de Washington. Mais notre diplomatie risque fort, à l’avenir, d’être trimbalée et instrumentalisée au gré des luttes d’influence.

Car la libération, espérée, de Chesnot et Malbrunot ne résoudra pas le problème de fond. Il est parmi les salafistes irakiens (adeptes d’un islam "premier") des responsables qui n’apprécient pas, politiquement, la mise en cause de la France. Et risquent de le faire payer aux auteurs de la capture des deux journalistes français. Cette irruption dans le conflit intérieur irakien d’une puissance occidentale considérée jusqu’alors comme hors du coup risque fort de déclencher une lutte d’influence dont les Français, en Irak, pourraient bien faire les frais.

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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