Françoise Pfaff, enseignante à Howard University aux Etats- Unis : "Je me suis intéressée au cinéma pour connaître l’Afrique"
Françoise Pfaff enseigne le français, la littérature caraïbéenne, africaine et le cinéma africain à Howard University aux Etats- Unis. Parallèlement à cette fonction enseignante, elle est critique de cinéma. Revenue au FESPACO après l’avoir quitté il y a 20 ans, elle se réjouit du dynamisme du festival. Quel regard critique porte Françoise Pfaff qui a connu l’Afrique par le cinéma sur le cinéma africain ? A travers les lignes qui suivent, elle partage son point de vue et son expérience.
Lefaso.net : qu’est-ce qui justifie votre présence au 22è FESPACO ?
Françoise Pfaff : J’étais venue il y a déjà 20 ans, et je suis contente d’être de retour après une interruption pour des obligations familiales. Je constate qu’il y a toujours le même dynamisme, les mêmes rencontres qui se passent entre les gens qu’on ne rencontrerait jamais autrement et aussi la disponibilité des cinéastes. C’est une expérience intéressante et j’espère que le cinéma africain va redémarrer dans une autre direction peut- être, parce que maintenant le cinéma argentique commence à être cher et moins couru au profit du développement du numérique, mais un cinéma numérique de qualité.
Vous l’avez dit, la dernière fois que vous étiez là au FESPACO remonte au tout début des années 90, est-ce que vous sentez maintenant qu’il y a un changement véritable ?
Je pense que le cinéma africain s’est beaucoup élargi parce qu’il y a beaucoup de gens qui participent. J’ai vu par exemple à l’ISIS (Institut supérieur de l’image et du son, ndlr) qu’il y a beaucoup de partenaires. Ça ne se remarquait pas autrefois. J’ai participé le lundi matin à un atelier avec des Espagnols (Casa Africa), il y avait aussi des interventions de la part de la Commission de l’Union européenne ; tous ces partenariats n’existaient pas il y a vingt ans. Quand je venais au FESPACO c’était surtout la France qui était le guichet d’aide du cinéma africain francophone.
Mais maintenant il y a une sorte de mondialisation des aides qui sont allouées au cinéma africain. Il y a toujours de petites failles d’organisation qui existaient il y a 20 ans mais comme le festival est devenu plus grand, je pense que c’est normal qu’il y ait des failles. Il faudrait travailler un peu plus sur l’organisation du festival, surtout l’information, parce que souvent on arrive et on ne sait pas qu’il y a tel et tel événement, c’est souvent par hasard qu’on rencontre des gens. C’est bien qu’on élargisse l’information et qu’on nous dise ce qui se passe tous les jours à telle heure, ça nous éviterait de rater des événements. Je note après avoir vu quelques films qu’il ya une ouverture de la thématique du cinéma africain vers le monde, et la participation de plus de femmes.
Quel regard critique vous portez sur le cinéma africain ?
Je me suis intéressée au cinéma pour connaître l’Afrique. Je suis née et éduquée en France et je suis d’origine alsacienne et guadeloupéenne, je suis donc de la diaspora africaine mais je connaissais mal l’Afrique. Depuis que je m’intéresse au cinéma africain ça m’a permis de pénétrer les cultures africaines, les problèmes de religion, de société, politique, économique, etc. Quand j’enseigne dans les classes je me sers du cinéma pour enseigner l’Afrique. Les Noirs américains sont particulièrement intéressés par les images de l’Afrique par des Africains. Ils sont tous été soumis à l’image de Tarzan, John Wayne, Hollywood qui a déformé l’image de l’Afrique.
Dans les journaux ils lisent des histoires sur l’Afrique quand il ya des coups d’Etat, la famine, les problèmes politiques. La Tunisie et l’Egypte étaient à la première page, maintenant c’est la Lybie, mais on ne parle jamais de l’Afrique tranquille, de l’Afrique humaine. C’est toujours une sorte d’Afrique extraordinaire et des coups d’Etat, de la famine, de la corruption, etc. Le cinéma africain aide à changer les mentalités en ce qui concerne la perspective de l’Afrique par les étrangers. J’essaie d’utiliser le cinéma africain en tant que lien entre l’Amérique et l’Afrique. L’image, le film est quelque chose de privilégié pour transmettre la culture.
Mon regard critique du cinéma africain, je pense qu’il doit se diversifier parce que je retrouve les mêmes thèmes que j’ai trouvés il y a 20 ans. Mais en même temps il y a une ouverture, donc il faut continuer vers cette ouverture et ne pas répéter les mêmes thèmes de corruption, de femmes lésées, etc. Bref, c’est un peu le renouveau dans la continuité.
A votre avis qu’est-ce qu’il faut faire pour que le cinéma africain puisse décoller véritablement ?
Il faut d’abord plus d’argent pour la production, ensuite diffuser les productions et créer une sorte de mini- industrie pour distribuer les produits. Ce sont des initiatives panafricaines qui permettront de produire plus et de mieux distribuer à l’intérieur de l’Afrique et aussi de par le monde.
A ce 22è FESPACO vous présentez votre livre paru récemment, de quoi traite-t-il ?
Le livre s’appelle « A l’écoute du cinéma sénégalais », publié par l’Harmattan en France. Il est sorti en novembre 2010 mais les interviews réalisées remontent à deux ou trois ans quand j’étais au Sénégal. J’y suis restée pendant un an et j’ai interviewé une quarantaine de personnes, j’en ai retenue une vingtaine de cinéastes importants mais aussi de jeunes qui utilisent le numérique. Ce que j’ai voulu faire dans ce livre c’est de donner la parole aux cinéastes, ne pas imposer ma critique mais leur demander pourquoi ils ont fait le film ? Quelles sont leurs solutions au problème du cinéma africain ? Qu’est-ce qu’ils projettent de faire dans l’avenir ? C’est vraiment l’écoute de la problématique, de la thématique du cinéma africain, et j’ai fait une longue introduction qui contextualise le cinéma sénégalais.
J’ai fait ça pour le cinéma sénégalais et j’aimerais faire la même chose sur les cinéastes africains vivant à Paris pour voir comment leur regard sur l’Afrique se diffère de quelqu’un qui reste en Afrique et qui fait des films en Afrique. C’est mon prochain projet.
Interview réalisée par Koundjoro Gabriel Kambou
Lefaso.net