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Zéphirin Diabré à la rencontre des Burkinabè de France : « Si je suis parti du CDP, ce n’est pas pour y revenir »

Publié le lundi 28 février 2011 à 01h57min

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Une manifestation d’un parti politique de l’opposition burkinabè, se déroulant à Paris en plein jour et à visage découvert, l’évènement est assez rare pour être souligné ! C’est tout le paradoxe de la démocratie du pays des Hommes intègres. Autant les opposants de nombreux pays africains sont facilement identifiables dans la capitale française, à l’image des partisans de Laurent Gbagbo et de Alassane Ouattara qui se défient aussi bien dans les médias que dans les rues, autant il est difficile de trouver un visage de l’opposition burkinabè. Y a-t-il une opposition burkinabè en France ? La question mérite d’être posée.

Lors de la mise en place du bureau de la Commission électorale indépendante (CENI) en France dans la perspective du vote des Burkinabè de la diaspora, l’opposition était représentée par des militants de …l’Alliance pour la démocratie et la fédération (ADF), une formation qui a soutenu la candidature de Blaise Compaoré en 2005 et 2010 et qui siège au gouvernement !

Les choses sont peut-être en train de changer. Le 19 février dernier, le président de l’Union pour le progrès et le changement (UPC), Zéphirin Diabré a rencontré, dans les locaux de la Congrégation du Saint-Esprit, dans le 5e arrondissement, ses partisans ou sympathisants en vue de mettre sur pied une section de son parti. Après l’Italie, le parti du Lion poursuit donc sa stratégie d’implantation hors du Burkina « partout où se trouvent des Burkinabè qui, tôt ou tard, finiront par voter ». Ce n’est pas la foule des grands rassemblements lors de l’installation des bureaux dans les provinces burkinabè, mais une dizaine de personnes avait fait le déplacement pour écouter l’ancien ministre et ancien président du Conseil économique et social devenu une figure de l’opposition depuis mars 2010.

« On n’est pas nombreux, mais pour un début, ce n’est déjà pas mal », se réjouit le Maitre de cérémonie du jour, Noël Beouindé.
Zéphirin Diabré a t-il réellement rompu avec ses anciens camarades toujours aux commandes des affaires ? Quels type de rapport l’UPC entend t-il nouer avec les autres forces de l’opposition et quelles sont ses ambitions pour les prochaines élections législatives et municipales ? L’UPC a-t-elle une identité idéologique ? Si oui laquelle ? Explications.

Vous n’étiez pas candidat à la présidentielle, mais votre parti participera-t-il aux municipales et aux municipales ?

Sur la présidentielle de 2010, je me suis déjà expliqué dans une déclaration qui a été publiée. L’UPC est née en mars 2010 et la présidentielle était prévue en fin novembre, visiblement, c’était trop court comme délai pour nous préparer. Nous n’avons pas encore l’infrastructure politique avec laquelle on peut aborder une présidentielle dans des pays comme le nôtre. Je fais de la politique depuis 20 ans et ça ne m’intéresse pas qu’on me dise que je suis sympathique, il faut que j’ai une machine de campagne active dans tous les villages et des gens dans les bureaux de vote pour surveiller le vote. Quelle est la force du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) ? C’est d’avoir transformé toutes les structures de la révolution en ses structures après le 15 octobre et cela lui donne une longueur d’avance sur les autres partis politiques. Ils a des gens qui parlent et agissent en son nom, ce que je ne pouvais avoir en neuf mois.

J’observe d’ailleurs que les partis qui sont anciens et qui sont allés au scrutin ont connu le même problème et se sont retrouvés avec des scores minables. Avec ce régime en place, ma candidature n’aurait recueilli que 1,5%, un score qu’on aura brandit pour dire : « vous voyez, il peut parler sur les radios internationales, mais ici, il ne pèse pas grand-chose ». A postériori, ceux qui nous avaient critiqués nous donnent aujourd’hui raison en reconnaissant que c’est bien de prendre le temps de nous installer avant de nous lancer dans la bataille des législatives et des municipales de 2012 et nous y travaillons.

En mai 2009, vous avez organisé un forum sur l’alternance au Burkina. Comment peut-elle avoir lieu alors qu’il n’y a pas de parti d’opposition solide capable de la provoquer ?

Vous avez raison, le vrai problème de notre opposition est qu’elle se trouve dans une situation où elle n’a pas les moyens d’occuper le terrain comme le parti au pouvoir, lequel utilise l’appareil d’Etat (préfets, Hauts commissaires, gouverneurs), les opérateurs économiques et les autorités coutumières qui lui viennent en aide. Mais ce n’est pas suffisant pour expliquer le fait qu’il n’y ait pas d’alternance chez nous. Dans beaucoup de pays, quand il y a la démocratie, l’alternance commence au sommet comme ça été le cas au Sénégal en 2000. Quand le parti au pouvoir a un mauvais candidat, il y a une fenêtre de tir et il peut être battu.

Au Burkina, je note d’ailleurs que les choses évoluent au regard de ce qui s’est passé à la dernière présidentielle où le taux d’inscription a été faible. Et puis, les espaces du CDP sont peu à peu sont grignotés parce que dans certains endroits, il doit se battre pour conserver ses positions et dans d’autres où il est carrément battu. A cela il faut ajouter le fait qu’en politique, il y a ce que vous faites et ce que l’adversaire fait contre lui-même. Très souvent les fruits pourrissent de l’intérieur et vous en profitez aussi. Or, nous écoutons, observons et entendons des choses qui montrent que la cohésion du parti majoritaire n’est plus ce qu’elle était et beaucoup ne se sentent plus à l’aise dedans. Voyez les supputations sur la FEDAP-BC ! Un député CDP me faisait remarquer que sur les 38 membres du gouvernement, pas plus de 6 sont députés chez eux, contrairement à ce qui se passait dans les années quatre-vingt-dix où il fallait démontrer qu’on est un leader dans sa circonscription électorale. C’est de cette manière que nous autres sommes entrés dans le gouvernement et qu’on appelait « gouvernement têtes de liste ».

Il y avait comme une sorte de prime à l’excellence, ce qui n’est plus le cas actuellement. On constate qu’il y a des filières parallèles par lesquelles les gens deviennent ministres et c’est intéressant à noter, parce que ça veut dire qu’il y a d’autres centres de décision qui sont plus importants que le CDP qui est théoriquement et nominalement le lieu du pouvoir.

Le chef de file de l’opposition, Maitre Bénéwendé Sankara a demandé la dissolution de la Commission électorale indépendante (Ceni). Quelle est votre position sur ce sujet et êtes-vous favorables à des coalitions entre partis d’opposition ?

Nous appuyons la demande du chef de file de l’opposition car la Ceni a dépassé son niveau d’incompétence et doit de ce fait, être renouvelée afin qu’on ait de nouvelles façons de faire. Voyez le cafouillage dans lequel l’élection présidentielle a été organisée : des gens qui n’avaient ni carte nationale d’identité, ni carte d’électeur, jugée d’ailleurs illégale par un tribunal…On dirait que plus on avance, plus on recule. C’est inacceptable !

Quant à nos rapports avec les autres partis de l’opposition, nous sommes d’accord sur le principe des coalitions y compris pour les échéances à venir. Toutefois, à l’UPC, nous considérons que les choses doivent se passer à la base et non par les états majors des partis. Si dans une province, les camarades d’un parti donné se rendent compte que pour remporter un siège, il est important de se rallier à nous et vice-versa, eh bien, nous sommes d’accord et dans ce cas, l’état major de notre parti entérinera. Les accords d’en haut, on n’en veut pas car on adoube souvent des gens qui n’ont pas d’assise populaire.

La critique que vous faites du gouvernement actuel rappelle Laurent Bado il y a quelques années, le discernement en moins. Qu’est-ce qui nous garantit que « l’affaire des 30 millions » qui a éclaboussé le leader du PAREN ne se reproduira pas avec vous ?

(Rires) Vous avez tout à fait raison de poser une telle question d’autant qu’au pays, beaucoup se demandent si je n’entretiens pas une certaine complicité avec le pouvoir. J’entends des gens dire : « Son affaire-là n’est pas claire, il critique le régime, mais passe à la télé quand même » ! Moi, j’ai un péché originel qui est que j’ai été dans le système et quand nous avons organisé le débat sur l’alternance, certains sont restés perplexes, se demandant si j’ai vraiment rompu avec mes anciens camarades.

Mais j’ai beau faire tous les grands discours, il n’y a que ma pratique qui va convaincre les sceptiques parce que je n’ai pas de garantis à leur donner. Cependant, j’observe que depuis un an, la question revient de moins en moins quand j’anime les meetings, mais d’autres se demandent si nous serons capables de tenir la ligne d’opposition, et ne serons pas tentés un jour d’aller vendre notre fonds de commerce au régime en place. La différence entre les autres et moi, c’est que j’étais dans le système et j’ai décidé d’en sortir parce que je n’étais plus d’accord avec ce qui se passait. Et je suis allé faire autre chose avant de revenir dans l’arène politique.

Soyons sérieux ! Quand j’étais aux Nations Unies, si je voulais obtenir un avantage, je n’avais pas besoin de créer un politique pour ça ; il suffisait que j’appelle à la présidence pour dire que je veux rentrer et croyez-vous que j’aurais été au chômage ? Je connais le fonctionnement du système et je sais comment faire pour obtenir un poste. D’ailleurs, certains de mes anciens camarades du CDP me disent : « Toi, on ne te comprend pas, tu veux quoi même ? Viens on va travailler ensemble ! », mais je leur dis que je ne suis plus d’accord avec eux. Ceux qui me suspectent oublient que je suis allé remettre ma démission de président du Conseil économique et social (CES) pour aller étudier l’économie à Harvard, dans le froid, alors que j’étais, comme on dit, voituré, chauffeuré, climatisé, ne payant ni l’eau, ni l’électricité, ni téléphone, autant d’avantages que personne ne m’a retirés !

Si je suis parti du CDP, ce n’est pas pour y revenir et tout ce que je peux dire, c’est que je donne rendez-vous dans deux, trois, quatre ans pour prouver ma bonne foi. Et sur ce plan je suis très serein car je suis préparé pour ça.

Après la création de votre parti, vous êtes allés rendre visite au Mogho Naba et l’en informer. Quel est le sens de cette visite ? N’y a-t-il pas une contradiction en voulant promouvoir la citoyenneté tout en cherchant le « parrainage » des chefs coutumiers ?

Il s’agit juste d’une visite de courtoisie et de respect. A l’UPC, nous avons des militants qui sont des chefs coutumiers et ils nous ont dit que dans la tradition mossi, il est normal qu’on fasse une démarche vers celui qui incarne la suprématie du pouvoir, c’est-à-dire le Mogho Naba, afin de le saluer et l’informer de la création du parti. Nous en avons discuté au Bureau politique national (BPN) et la décision a été prise d’aller lui rendre visite et c’est ce que nous lui avons dit quand il nous a reçus. En réponse, il nous a remercié et nous a dit à peu près ceci : « Je ne fais pas de politique, j’observe tout ce que chacun fait et je souhaite simplement que le combat que vous menez se fasse dans la tranquillité.

N’insultez pas les gens, exprimez vos idées et s’il y a des élections, ne faites pas de bagarres. Laurent Gbagbo était venu me voir ici et je lui avais donné les mêmes conseils, mais visiblement il ne m’a pas écouté. Je vous souhaite bonne chance comme je le souhaite à tout le monde, car vous êtes tous les enfants de ce pays et je vous remercie du respect et la considération que vous avez pour moi en venant me parler de la création de votre parti ».

Mais ce n’est pas le seul que nous avons vu ! Quand je suis allé lancer le parti dans l’Est, le bastion de notre secrétaire aux relations extérieures, Docteur Julien Couldiati, nous avons fait une escale chez le gouverneur, le haut commissaire, puis chez l’autorité coutumière, sa majesté Kupiendiéli qui, comme vous savez, est membre de l’ Alliance pour la démocratie et la fédération (ADF). Même chose quand nous sommes allés à Tenkodogo où j’ai rendu visite au chef qui est considéré comme le papa du Mogho Naba. A Dori, j’ai vu sa famille de l’Emir du Liptako qui venait de mourir il y a peu. Partout où je vais, je rend visite aux autorités coutumières, religieuses et admiratives car ça participe du respect des autorités dans une société.

Au plan économique, quelle devrait être selon vous, la vocation du Burkina ? Un pays agricole, minier ou de services ?

Vous n’aurez pas la réponse à cette question aujourd’hui car le débat en cours et nous devons réserver la priorité des conclusions à nos militants. Quand le moment viendra, vous le saurez.

Vous êtes de l’opposition, mais on ne sait pas très bien quel est le positionnement idéologique de l’UPC. Un parti libéral ou socialiste ?

Nous n’avons pas encore tranché sur cette question, mais je crois qu’il faut se démarquer des étiquettes et prendre à bras le corps les problèmes auxquels notre pays est confronté. Sur certaines questions, on a l’impression que la meilleure solution est socialiste et sur d’autres, on sent qu’il y a de bonnes idées dans le camp libéral. Sur l’éducation par exemple, on ne peut pas parler de justice sociale si on ne prend pas en charge cette question.

Nous estimons aussi qu’il nous faut une politique de planification, qui n’est pas contraire au libéralisme dans le contexte burkinabè. Nous avons besoin d’un chemin nous indiquant où nous allons, et rien que la crise alimentaire de 2008 suffit à convaincre de la pertinence d’avoir cet outil. Nous sommes 15 millions et on ne sait même pas qui mange quoi et en quelle quantité ! Dans une ville comme Ouaga avec 3 millions d’habitants, on ne sait même pas combien de poulets dont le prix augmente n’importe comment, sont consommés par jour ?

Croyez-vous que c’est la main invisible qui va régler tout ça ? Qui sait combien de tonnes de riz, de mil faut-il pour nourrir les Burkinabè ?
Côté infrastructures, il nous faut également de la planification sans que cela ne soit synonyme de socialisme. Nous sommes pour le principe de l’économie de marché, c’est-à-dire, la promotion de l’entreprenariat notamment au niveau des jeunes, car c’est un facteur de dynamisme et de croissance.

Après l’Italie, vous souhaitez installer les structures de votre parti en France. Qu’attendez-vous des Burkinabè de France et comment comptez-vous les associer à la gestion du pays si vous arrivez au pouvoir ?

Nous sommes modestes ! Nous avons des idées sur le rôle de la diaspora, sa contribution par son expertise et son expérience au développement socio-économique du Burkina. C’est pour cette raison que nous avons créé un département pour s’occuper de nos compatriotes de l’étranger et qui est dirigé par le secrétaire aux relations extérieures et des Burkinabè de l’étranger, Docteur Couldiati. Pour l’instant, ce que nous souhaitons, c’est qu’ils fassent monter la maillonaise au fur et à mesure qu’on avance. Nous espérons que dans les années à venir, les Burkinabè de l’étranger seront présents dans les instances représentatives du pays, comme le Sénat.

En attendant de conquérir le pouvoir d’Etat, nous souhaitons avoir des gens qui relaient notre message et font des propositions qui feront avancer les choses et qui contribueront à contrebalancer la domination du CDP. Pourquoi la lutte contre la corruption n’avance pas ? Je connais des personnalités du CDP qui nous disent, « allez-y, faites des propositions pour lutter contre la corruption, on vous soutiendra, parce que nous ne pouvons pas prendre l’initiative ». Donc, des idées venant de l’opposition et soutenues par un grand nombre peuvent faire bouger les choses.

De nombreux pays arabes connaissent des secousses politiques actuellement. Comment appréciez-vous ce qu’on qualifie de révolution arabe ?

Chaque pays est un cas à part et connait des bouleversements socio-politiques à un moment donné de son histoire qui n’ont pas forcément quelque chose à voir avec les autres. Mais en même temps, ce qui se passe dehors a une influence sur la manière dont les gens voient les choses et c’est ce qui explique cet effet domino à partir de l’exemple de la Tunisie.

Cela dit, ces pays ont un retard d’allumage par rapport à l’Afrique noire qui, dès les années 90, a connu des secousses avec les conférences nationales qui ont emportés certains pouvoirs. Ce qu’il faut souligner, c’est que les ingrédients qui ont mis la poudre dans ces pays sont aussi présents chez nous : pauvreté, chômage des jeunes diplômés etc. Dans les années 60, les gens invoquaient Dieu pour expliquer leur chômage, mais ceux qui ont aujourd’hui une Maitrise ne parlent pas de Dieu, mais demandent des comptes à leurs gouvernements. Le sentiment d’injustice devient plus fort quand dans le même temps, ils voient un ancien promotionnaire qui était le crouton de la classe mais qui, grâce à ses relations politiques brasse des millions et les nargue. Même s’ils ne descendent pas dans la rue, nous souhaitons que le sentiment de révolte qui anime les gens s’exprime dans les urnes

Interview réalisée à Paris par Joachim Vokouma

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