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Les « barons » du Niger entendent ne pas insulter l’avenir. Ils s’accrochent aux basques de Mahamadou Issoufou, le candidat de la « rupture » !

Publié le vendredi 11 février 2011 à 20h43min

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Ils sont, d’ores et déjà, quatre candidats présents au premier tour (sur les dix qualifiés) à apporter leur soutien à Mahamadou Issoufou, arrivé en tête (avec 36,06 % des voix) et bien placé pour être l’homme de la « rupture » à l’issue d’une victoire désormais annoncée à la présidentielle du 12 mars 2011. Il y a là Hama Amadou, arrivé en troisième position (19,82 % des voix), Cheiffou Amadou, cinquième (4,07 %), Moussa Moumouni Djermakoye, sixième (3,95 %) et Amadou Boubacar Cissé (1,61 %).

Au total, Issoufou serait - potentiellement - à la tête de plus de 65,5 % des suffrages exprimés lors du premier tour. C’est, bien sûr, un calcul tout à fait théorique : les candidats ne sont pas propriétaires des voix qui se sont portées sur leur nom. Mais il ne faut pas être dupe : si les perdants du 4 février 2011 apportent ainsi leur soutien à Issoufou, c’est qu’ils ont conscience que le vent de l’Histoire souffle en faveur de la « rupture » bien plus que de la « continuité ». Et que les électeurs nigériens veulent un changement de régime : Issoufou est « l’opposant historique » à Mamadou Tandja et au MNSD tandis que son challenger, Seyni Oumarou, n’a débuté en politique que tardivement, étant nommé au gouvernement, pour la première fois, au lendemain de l’élection de Tandja (24 novembre 1999) et ayant été son premier ministre de 2007 à 2010, autrement dit alors qu’il devenait évident que le chef de l’Etat était plus que jamais soumis à la pression de ceux qui voulaient le voir perdurer au pouvoir (pour leur plus grand profit, bien évidemment !).

Issoufou doit bien rire. A la veille du premier tour, toute la classe politique semblait s’être mobilisée contre lui au nom de « Tout sauf Issoufou », mettant en place une « alliance » de circonstance (cf. LDD Niger 055/Lundi 7 février 2011) qui n’aura pas résisté à la publication des résultats du premier tour. Issoufou en tête, et même largement en tête, il devenait évident que la « rupture » était à l’ordre du jour. Hama Amadou, Cheiffou Amadou et Amadou Boubacar Cissé viennent donc de rompre l’accord de soutien au mieux placé pour le second tour et, du même coup, Seyni Oumarou se retrouve bien seul. Mais qui pouvait penser que les Nigériens avaient occupé la rue et que l’armée avait « viré » Tandja du pouvoir pour y ramener celui qui apparaît comme son (très pâle) continuateur ? Les « Amadou » ont donc allumé la mèche qui devrait permettre de tourner la page du « pouvoir MNSD ». Vue l’ambiance qui règne aujourd’hui en Afrique, pas question de prendre des risques avec un électorat nigérien qui sait, aussi, à l’occasion, descendre dans la rue et imposer la règle du jeu.

Issoufou ne sera sans doute pas dupe non plus de ce subit coup de foudre de ses adversaires d’hier pour sa politique de « rupture ». Il y a toujours, au Niger, des places à prendre dans le cadre de ces coalitions qui sont le fondement du mode de production politique très éclaté et fortement régionalisé. Il sait aussi que ce qui se passe en 2011 est sans commune mesure avec ce qui s’est passé en 2004 ou en 1999, lors des précédentes présidentielles. La présidentielle 2011 est celle du « ras-le-bol » des populations à l’égard d’une classe politique qui « part en sucette » dès qu’il y a un monceau de dollars à l’horizon.

Pendant quelque temps (il ne faut pas rêver), compte tenu de ce qui s’est passé à Tunis et de ce qui se passe au Caire, à Sanaa et ailleurs sur le continent africain ou dans sa proximité, les responsables politiques vont adopter un profil plus soft. Le changement est à l’ordre du jour ; ce n’est pas une simple alternance, c’est une « rupture ». Issoufou sait qu’il surfe sur cette vague ; à lui d’être suffisamment rigoureux sans être rigide pour ne pas se faire confisquer sa victoire - et plus encore son pouvoir - par ceux qui ont déjà beaucoup « mangé » mais ne sont pas pour autant gavés. En matière de gestion politique, l’anorexie connaît pas.

Hama Amadou a été un jeune homme pressé à qui tout réussissait. Cabinet présidentiel, gouvernement, secrétariat général de l’ex-parti unique (le MNSD), il était bien placé dans les coulisses du pouvoir pour apparaître sur le devant de la scène quand le rideau du multipartisme s’est levé. A 45 ans, il était premier ministre. Et le restera jusqu’à l’irruption des militaires dans le scénario en 1996. Ibrahim Maïnassara Baré assassiné, la « démocratie » réinstaurée, Tandja élu président en 1999, Hama Amadou le redeviendra apparaissant comme un successeur putatif. Jusqu’en 2007 où tout se déglingue. Motion de censure, prison, exil, etc. Hama Amadou tente de se refaire une virginité en quittant le MNSD - dont il était devenu le patron - pour créer le MODEN-FA qui n’a pas encore prouvé qu’il était un outil de conquête du pouvoir (même s’il a fait, aux élections de 2011, pratiquement jeu égal avec le MNSD).

Hama Amadou est encore à un âge où la présidence ne lui est pas fermée. Ce n’est pas le cas de Cheiffou Amadou : bientôt 70 ans ! Et un long parcours politique : il a été le premier ministre de la transition au lendemain de la conférence nationale de 1991 à 1993 après avoir dirigé l’OACI (Organisation de l’aviation civile internationale). Tandja en a fait le président du CESOC, le conseil économique et social du Niger. Arrivé en cinquième position à l’issue du premier tour de la présidentielle du 4 février 2011, il réalise un score plus faible encore que lors du précédent scrutin, en 2004, où il avait obtenu 6,35 % des voix se hissant ainsi à la quatrième place derrière Tandja, Issoufou et Mahamane Ousmane.

Moussa Moumouni Djermakoye est le président de l’ANDP, un parti créé par son frère, figure emblématique de la vie politique nigérienne : Adamou Moumouni Djermakoye, décédé lors des manifestations anti-Tandja du printemps 2009 (cf. LDD Niger 040 et 041/Lundi 15 et Mardi 16 juin 2009). Mais il n’a pas son parcours exceptionnel et reste en marge de la classe politique : en 2004, à la présidentielle, son frère avait engrangé 6,07 % des suffrages, lui n’a pas passé la barre des 4 % (3,97 %) lors du premier tour 2011.

Le quatrième larron à avoir rejoint le camp de « tous pour Issoufou » (dans l’espoir que ce sera en fin de course : « Issoufou pour tous ») s’appelle Amadou Boubacar Cissé. Il est le leader de l’UDR mais vient du MNSD. Il a été un très éphémère (deux semaines) premier ministre en 1995 quand Mahamane Ousmane était président de la République ; il sera remplacé à ce poste par… Hama Amadou. Ingénieur de l’Ecole nationale des ponts et chaussées de Paris, c’est un technocrate - ils sont rares au sein de la classe politique nigérienne - qui a fait toute sa carrière à la Banque mondiale (il sera, en 2001, nommé vice-président de la Banque islamique de développement). Il reviendra cependant à la primature fin 1996 après avoir participé activement à la campagne du général Ibrahim Baré Maïnassara (qui a été la bête noire de Issoufou et de Hama Amadou) et avoir été son ministre de l’Economie et des Finances avec le titre de ministre d’Etat ; mais, là encore, ce ne sera qu’un bref passage : moins d’un an !

Au total, ceux qui s’agrippent aux basques de Issoufou forment un meeting pot quelque peu indigeste au sein duquel on retrouve d’anciens alliés au sein de la Coordination des forces démocratiques pour la République (CFDR) - qui voulait organiser la défense des acquis de la conférence nationale de 1991 : démocratie, Etat de droit, liberté d’expression… -, mais aussi des « pro-tazartché ». S’il gagne la présidentielle 2011, Issoufou va devoir faire un sérieux tri parmi ses nouveaux amis. Et leur rappeler que ce sont les électeurs qui ont voté ; pas les leaders des partis ! Et qu’il aura été élu pour changer les comportements ; et donc les hommes !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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