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Le dilemme de Hama Amadou : Respecter son « alliance » électorale avec Seyni Oumarou ou répondre à la volonté de changement exprimée par les électeurs

Publié le mardi 8 février 2011 à 00h35min

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Il n’est pas toujours facile d’être dans la position du « faiseur de roi ». C’est celle qu’occupe Hama Amadou aujourd’hui, au lendemain de la proclamation des résultats électoraux (présidentielle + législatives) au Niger. Il y avait dix candidats ; quatre d’entre eux passent la barre des 5 %, ce qui est l’expression de la régionalisation des acteurs politiques (qui oblige tout pouvoir en place à Niamey à composer avec ses « adversaires » dans le cadre d’une coalition gouvernementale).

Bien évidemment, les trois grands leaders sont présents : Mahamadou Issoufou, Seyni Oumarou et Hama Amadou. Dans le même ordre d’arrivée que lors des récentes municipales (cf. LDD Niger 054/Mercredi 2 février 2011). C’est d’ailleurs, aussi, l’ordre d’arrivée des partis (PNDS-Tarayya, MNSD-Nassara, MODEN/FA-Lumana) aux législatives. On notera tout d’abord que là où les « civils » ivoiriens ont organisé, voici quelques mois (alors que la Côte d’Ivoire compte 1 million d’électeurs de moins que le Niger !), le plus fantastique « bordel » électoral jamais mis en œuvre en Afrique noire francophone, les « militaires » nigériens sont parvenus, en moins de quatre jours, a communiquer - via la CENI - les résultats de la présidentielle… et des législatives.

36,06 % des voix pour le candidat de « l’opposition historique » : Mahamadou Issoufou ; dont le parti, le PNDS-Tarayya obtient 39 sièges de députés (sur 113, soit près de 35 % des sièges) ; respectivement 23,24 % et 19,82 % des voix pour les deux ex-premiers ministres de Mamadou Tandja : Seyni Oumarou et Hama Amadou ; leurs deux partis obtiennent 26 et 24 sièges à l’Assemblée nationale, soit environ 23 % et 21 % des sièges. On le voit, il ne se dégage pas de majorité « personnelle » : aucun des leaders en compétition ne peut espérer l’emporter seul. La campagne du premier tour avait été caractérisée par les commentateurs comme un « Tout sauf Issoufou ». Aujourd’hui, à la veille du second tour (prévu pour le 12 mars 2011, ce qui laisse la porte ouverte à toutes les négociations), Issoufou se retrouve face à Oumarou et Hama Amadou en position de « faiseur de roi ».

Première leçon : Hama Amadou n’est pas qualifié pour le second tour. Longtemps considéré comme le « dauphin naturel » de Tandja, il était aussi le tuteur politique de Seyni Oumarou dont il avait été « l’inventeur ». Avec moins de 20 % des voix (et à peine un cinquième des députés), il se situe loin du score de Issoufou : plus de 36 % des voix (et 35 % des députés), mais au coude à coude avec Oumarou (plus de 23 % des voix et environ 23 % des députés).

Deuxième leçon : le MNSD-Nassara, l’ancien parti relifté de Tandja, tient le coup. Ce qui ne saurait étonner. Et le total des voix de l’Alliance pour la réconciliation nationale (qui a « rassemblé » six candidats de manière opportuniste à la veille du premier tour) représente 60 % des suffrages exprimés, soit le score de Tandja au second tour de la présidentielle 1999 ; mais il ne faut jamais confondre, au Niger, le tout avec les parties, l’ancrage régional des candidats étant une donnée incontournable. Que des hommes de l’ancien régime soit encore en course ne signifie pas que, nationalement, il y ait une nostalgie du temps du MNSD dans sa version Tandja.

Troisième leçon : même en tenant compte de l’éclatement de l’ex-parti présidentiel, le score réalisé cette année par Issoufou au premier tour de la présidentielle est significatif d’une percée du candidat de l’opposition. 36,06 % des voix contre 24,60 % des voix en 2004 (22,79 % en 1999, sa deuxième participation à une présidentielle mais la première lui permettant d’être présent au second tour) ; il vire ainsi largement en tête avec cet avantage incontestable d’être un homme neuf (même s’il n’est pas un inconnu) et, qui plus est, un « opposant » à Tandja.

C’est bien de cela qu’il s’agit : de la rupture. Tandja a été dégagé en touche par l’armée après avoir été contesté dans la rue par la population. Acceptera-t-elle de voir revenir au pouvoir les deux anciens premiers ministres du président déchu (Seyni Oumarou a démissionné le jeudi 23 septembre 2009 cinq mois avant la chute de Tandja mais après avoir organisé le référendum constitutionnel du 4 août 2009 et il a, par la suite, présidé une Assemblée nationale « tandjaïste » anticonstitutionnelle où le MNSD avait raflé, sans mal, 76 des 113 sièges) ou souhaite-t-elle tourner une page de son histoire politique récente ? La Constitution adoptée en 2010 évoque, d’ailleurs, la nécessité de développer une « culture d’alternance » et c’est dans cette perspective que le mandat du président de la République et des députés a été ramené de 5 à 4 ans.

Les chiffres du premier tour laissent penser que les Nigériens estiment que l’alternance est à l’ordre du jour. Sauf que, bien sûr, comme toujours au Niger, le nouveau pouvoir sera un pouvoir de « coalition » : Mohamadou Issoufou/Hama Amadou ou Seyni Oumarou/Hama Amadou. A l’Assemblée nationale, les deux partis de Oumarou et de Hama Amadou (MNSD + MODEN/FA) ne seraient pas majoritaires ; il leur faudrait l’apport des petites formations. Par contre, une coalition entre Oumarou et Hama Amadou leur assurerait une réelle majorité à l’Assemblée nationale et faciliterait la gouvernance du pays tout en respectant l’esprit et la lettre de la Constitution qui établit que le régime de la République du Niger est « semi-présidentiel ».

Ce scénario n’est pas le plus improbable. Dans Jeune Afrique Économie (19 juin 2000), Hama Amadou l’avait rappelé à Ali Biyo : « Mahamadou Issoufou est un ami. Nous avons géré le pays ensemble en 1995 dans le cadre de ce que l’on avait appelé alors la Nouvelle majorité, lui comme président de l’Assemblée nationale et moi en tant que premier ministre jusqu’au putsch du 27 janvier 1996. Puis nous avons été ensemble dans l’opposition au régime du général Ibrahim Maïnassara Baré. Au sein du Front de restauration et de défense de la démocratie (FRDD), nous avons vécu beaucoup d’épreuves ensemble, y compris des arrestations et autres internements arbitraires. Ce n’est pas parce que nous avons été aux élections dans des camps différents que nous allons devenir des adversaires irréconciliables ». C’était il y a dix ans.

Depuis Issoufou a été à l’origine de la motion de censure qui a fait tomber Hama Amadou le 31 mai 2007. Et c’est peut-être ce qui lui permettra de remporter la présidentielle 2011. Car, du même coup, Hama Amadou est devenu, pour Tandja, l’homme à abattre. Son séjour dans une cellule de la prison de haute sécurité de Koutoukalé (26 juin 2008-23 avril 2009) lui a permis de se refaire une virginité politique et de revenir en héros à Niamey à l’occasion des obsèques de Moumouni Djermakoye le 15 juin 2009 (cf. LDD Niger 048/Lundi 15 juin 2009). La mort du président de la Haute Cour de justice sonnera le glas des espérances de Tandja ; les Nigériens étaient alors dans la rue pour dire « non » au tripatouillage de la Constitution.

C’est dire que le compagnonnage entre Issoufou et Hama Amadou ne serait pas contre nature mais, bien au contraire, s’inscrirait dans la continuité de ce que les militaires sont parvenus à mettre en place à Niamey : un système politique au sein duquel l’alternance est rendue possible bien plus que par le passé. Reste que les « alliés » de Hama Amadou, à commencer par son ex-bras droit, Seyni Oumarou, ne verront sans doute pas d’un bon œil le pouvoir leur échapper. Mais c’est cela aussi la démocratie. Il faut d’ailleurs souligner que Issoufou a toujours joué pleinement son rôle « d’opposant historique » sans jamais se dévaluer totalement. C’est assez rare, en Afrique, pour ne pas être remarqué.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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