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Confrontée à la déstabilisation de l’Afrique du Nord, la France redécouvre les vertus géopolitiques de l’Afrique noire

Publié le mercredi 2 février 2011 à 02h46min

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Dans le brouhaha que connaît actuellement l’Afrique du Nord, l’information est passée inaperçue. Le mercredi 26 janvier 2011, le Jordanien Ahmad Massa’deh, secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée (UPM), a donné sa démission. Explication laconique : « Les conditions dans lesquelles [il avait accepté cette fonction] ont changé ». C’est le moins que l’on puisse dire.

Lancée avec force flonflons le dimanche 13 juillet 2008, l’UPM a eu, très tôt, le destin du Titanic : beaucoup de monde pour s’enthousiasmer sur sa mise en œuvre et applaudir son lancement et dès le naufrage, prévisible compte tenu du contexte d’une méditerranée particulièrement agitée, plus personne pour en prendre la responsabilité. Exit donc l’UPM. Et, du même coup, Nicolas Sarkozy, promoteur de cet UPM dont il voulait faire l’outil de sa diplomatie européenne et proche-orientale, ouvre un atlas et se dit, « Mais oui, bien sûr, les pays d’Afrique du Nord se trouvent en… Afrique ». Et cela tombe bien puisque notre président vient d’obtenir « la lourde responsabilité » de présider le G8 et le G20, qu’il avait « promis de tout faire pour que l’Afrique y soit associée aussi intimement qu’il est possible » et que le sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine se tenait au même moment à Addis Abeba.

Sarkozy était donc ce week-end à Addis Abeba, capitale de l’Ethiopie et siège de l’Union africaine (UA). Après le « Discours de Dakar » (26 juillet 2007) et le « Discours de Pretoria » (28 février 2008), voici donc la nouvelle mouture de la vision sarkozienne du continent africain. C’était le dimanche 30 janvier 2011. Pas d’envolée lyrique, rien qui puisse retenir l’attention des commentateurs. Un discours au ras des pâquerettes qui correspond à ces temps incertains où rien ne marche comme il faut, sauf les manifestants dans les rues de Tunis, d’Amman (en Jordanie), du Caire… tandis « qu’il y a le terrorisme au Sahel, la piraterie en Somalie et dans le golfe de Guinée, des trafics en tout genre, des conflits qui s’éternisent […] dans l’Est de la République démocratique du Congo, en Somalie, en Côte d’Ivoire où tout un peuple voit bafouer le choix qu’il a librement exprimé lors d’une élection qui devait sceller le retour à la paix ».

L’éternel donneur de leçon, celui qui ne savait pas commencer un discours sans un « je vais vous dire » exprimant qu’il savait ce que nous ne savions pas (ou nous refusions de savoir), celui qui, en Afrique, voyait des « sages » partout et célébrait la gloire des chefs d’Etat, ramenant sans cesse l’Afrique à sa traditionnalité, se refusant à prendre en compte sa modernité, a nettement évolué dans sa vision continentale. Ce n’est plus une Afrique qui « n’est pas entrée dans l’Histoire », c’est au contraire une Afrique qui bouscule tous les clichés et « met à bas des idées fausses ». « L’Afrique en matière économique n’a pas échoué, nous dit Sarkozy. L’Afrique enregistre des progrès remarquables. Le niveau de sa croissance, plus rapide que sa croissance démographique, est largement supérieur à la moyenne mondiale sur les dix dernières années […] L’Afrique a un formidable dynamisme démographique. L’Afrique est la jeunesse du monde […] Votre marché intérieur est en pleine expansion. Votre sol et votre sous-sol sont riches. Tout est réuni pour le décollage économique africain ».

Et même « la bonne gouvernance, la démocratie, le respect des droits de l’homme sont autant de valeurs pour lesquelles [l’Afrique] se bat au quotidien et [qu’elle] réussit à faire avancer ». La meilleure preuve en est ce qui se passe actuellement en Tunisie et en Egypte où les « événements » en cours démontrent que ce sont là « des aspirations profondes de chacun de nos peuples ». « La France, ajoute Sarkozy, respecte la souveraineté des Etats et le droit des peuples à se déterminer eux-mêmes. La France ne veut donner de leçon à personne, ni chercher à imposer un modèle. Au nom de quoi le pourrait-elle ? ». Il n’hésite pas, par ailleurs, à mettre en accusation « le monde financier [qui], par ses excès, a plongé le monde entier dans une crise économique sans précédent » et à dénoncer « la spéculation financière sur les marchés des produits agricoles qui provoque des émeutes de la faim ».

A Addis Abeba, le ton a bien changé. Nous sommes loin du Sarkozy « sûr de lui et dominateur » qui imposait sa vision de l’Histoire, distribuait les bons et les mauvais points, caressait dans le sens du poil les « sages » et regardait en noir et blanc un continent qui, lui, en voyait de toutes les couleurs. Il ne faut pas se leurrer pour autant ; la finalité du discours sarkozien est la même : « Si nous voulons maîtriser les flux migratoires, lutter contre le terrorisme, il faut vous aider à réussir votre développement économique. Et la France est convaincue de cette réalité ». Le ton a changé parce que la donne a changé. Les leaders d’Afrique du Nord (le Maroc s’est retiré de l’UA depuis un sacré bail) n’ont pas fait le déplacement en Ethiopie. Et pour cause : Ben Ali s’est tiré du palais de Carthage comme un voleur ; Moubarak pourrait être contraint à faire ses valises ; Bouteflika ne se porte pas mieux ; Kadhafi n’aime la révolution que lorsqu’elle le porte au pouvoir. De Rabat au Caire, ce n’était plus l’Afrique du Nord mais « l’Afrique fantôme ».

Dès lors que le rempart Sud-Méditerranéen vient non seulement de se fragiliser mais de s’écrouler par endroit, c’est l’Afrique noire qui apparaît sur les écrans géopolitiques de notre diplomatie qui, effarée, voit s’effondrer, sous les coups de boutoir de populations jusqu’à présent désorganisées, les régimes les plus autoritaires et les plus policiers du continent. Si la « ligne Maginot » de l’Afrique du Nord vient à se rompre, c’est AQMI et ses katibas de la zone sahélo-saharienne qui se profilera à l’horizon mais aussi la charia du Nord-Soudan, du Nord-Nigeria et d’ailleurs, les réseaux mafieux d’Afrique de l’Ouest, de Bissau à Cotonou ; au-delà, les groupuscules terroristes du golfe de Guinée qui pourraient faire leur jonction avec ceux de l’océan Indien dès lors que la RDC est le ventre mou du continent et un cancer dont nul ne sait où il peut développer des métastases.

Dans ce monde incertain, la France de Sarkozy a une certitude : sa puissance économique et diplomatique tient aux liens tissés avec ses anciennes colonies ; si ces liens venaient à se distendre, la France verrait sa place au sein de la « communauté internationale » remise en question et son siège « permanent » du Conseil de sécurité aurait des allures de strapontin quelque peu déglingué. A Nice, lors du dernier sommet France-Afrique, beaucoup d’observateurs africains avaient noté, avec satisfaction, que Sarkzoy n’avait pas manqué de rappeler que l’Afrique était essentielle à la France au sein de la communauté onusienne. A Addis Abeba, il a démarré très fort sur cette question de la place de l’Afrique au sein de l’ONU, s’adressant directement à son secrétaire général et au président de l’Assemblée générale tous deux présents lors de son discours : « Faites la réforme du Conseil de sécurité dès cette année. N’attendez pas. La France vous soutiendra. Ne faites pas un discours, prenez des décisions. Elargissez le nombre de membres du Conseil de sécurité, reconnaissez au milliard d’Africains la place à laquelle ils ont droit et la France vous soutiendra ».

Ce n’est plus, dans le discours sarkozien, « l’Afrique des président », c’est « l’Afrique des Africains ». La sérénité qu’affiche d’ordinaire notre président a cédé la place à une fébrilité inaccoutumée. Il est vrai qu’il a pris conscience que lorsque « les Africains entrent dans l’Histoire », les tyrans vacillent sur leurs trônes. Ce qui le préoccupe beaucoup.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 1er février 2011 à 20:27, par l’Africain qui est dans l’Histoire En réponse à : Confrontée à la déstabilisation de l’Afrique du Nord, la France redécouvre les vertus géopolitiques de l’Afrique noire

    Que vient faire Sarkozy pendant ce sommet. le SG de l’ONU oui mais pas le donneur de lecons qui croit toujours que l’Africain n’est pas encore rentere dans l’histoire parce qu’il ne crée pas et ne produit pas de culture. Lobbyer pour le depart de Gwagbo ? peine perdue, car le temps joue contre leur poulin Alassane ! Il faudrait trouver une solution e compromie. Sarkozy nous ne te voulons pas en Afrque.

  • Le 1er février 2011 à 21:01, par le bon citoyen En réponse à : Confrontée à la déstabilisation de l’Afrique du Nord, la France redécouvre les vertus géopolitiques de l’Afrique noire

    Bonsoir,
    Belle analyse mais incomplète.
    La France paie aujourd’hui sa politique de sangsue qui consiste à exploiter les colonies au profit de la métropole sans contrepartie. Conséquence elle se retrouve aujourd’hui être une puissance dont les subordonnés sont les plus pauvres du monde.

    Prenons le cas du Burkina par exemple, le pouvoir est là depuis plus de 23 ans et la France ne dit rien car il fait son affaire. Elle s’en fou de cette population qui souffre et qui perd de jour le minimum nécessaire pour vivre (augmentation des frais de soins médicaux, augmentation des frais d’inscription dans les universités, augmentation des prix de denrée alimentaire etc. …). Et la France trouve que Blaise est un dirigent exemplaire. Le jour où le peuple sortira dans la rue, c’est ce même France qui va traiter notre président de tous les noms de diables.

    Et dans tous les ex colonie françaises, c’est la même politique. La France prend les secteurs rentables et laisse le pays moisir dans la misère (CFAO, BRAKINA, MABUCIG, SOFITEX etc. …).

    Alors qu’en tant que puissance économique, la France devait s’investir dans les secteurs à problème pour faire émerger les pays.

    Voyez la carte de la pauvreté dans le monde, 95% des pays les plus pauvres sont ceux sous influence française. Aujourd’hui, elle est confrontée à une double situation.

    Soit elle accepte l’émancipation de ces pays (en laissant tombé tous ces dictateurs qu’elle garde au pouvoir contre leur peuple pour pouvoir exploiter les pays).
    Soit elle s’entête dans sa politique actuelle et sera dépassée par les évènements au moment où tous les peuples prendrons leur responsabilité en main (Maghreb et bientôt l’Afrique Noir).

    Aujourd’hui la France ne vaut plus rien dans l’échiquier économique mondial. Elle est constitue un pays qui voit sa gloire partir et est en train de courir pour rattraper les autres. Mais les pays n’ont que du temps pour parler politique. On veut un développement économique. A quoi sert une place en conseil de sécurité pour des pays qui n’arrivent même pas à nourrir leur population ?

    Pour paraphraser feux Thomas Sankara, je dirai que la France a perdu son jeu de casino, alors qu’elle laisse les pays africains se débrouiller tout seul.

    Elle a joué, elle a perdu.

  • Le 2 février 2011 à 03:15 En réponse à : Confrontée à la déstabilisation de l’Afrique du Nord, la France redécouvre les vertus géopolitiques de l’Afrique noire

    Quand l’Afrique se sent mal,l’occident est enrhumé ;mais c’est pas pour autant qu’il faut les permettre de venir assister à nos réunions familiales ? Ce homme qui a clamé haut et fort que l’homme noire n’est pas suffisamment entré dans l’histoire reconnait-il en elle aujourd’hui des vertus.qu’il se limite à l’Afrique du Nord,autour de la méditerranée par laquelle ils se voient unis.Leurs partenaires privilégiés étant en chute séquentielle,ils trouvent un autre moyen pour recourir à l’homme noire et lui piller ses ressources et créer d’autres régimes dictatoriales pour nous amener vers la déroute.

  • Le 2 février 2011 à 16:31 En réponse à : Confrontée à la déstabilisation de l’Afrique du Nord, la France redécouvre les vertus géopolitiques de l’Afrique noire

    Sarkosy ou pas sarkosy, Gbagbo en tout cas va chier.

  • Le 3 février 2011 à 01:22 En réponse à : Confrontée à la déstabilisation de l’Afrique du Nord, la France redécouvre les vertus géopolitiques de l’Afrique noire

    L’Afrique est essentielle à la France, dites vous, mais pour l’Afrique, la France est un handicap, un frein qui empeche son developpement. C’est cela notre probleme, nous les non politiques. Pour nos autorités, la France est leur sauveur, et elles ne se rendent compte que quand elles ont perdu le pouvoir. On denonce alors leurs comptes en banques, on saisit leurs biens meubles et immeubles en occident, etc....Tant que vous etes au pouvoir, vous etes l’ami de la France et la France est votre ami. Parfois même, on est parent (voir Bokassa et Giscard). Tous ces hommes politiques. Je prefere ne pas les qualifier. Mais nous savons tous.

  • Le 17 novembre 2014 à 11:30, par jacques En réponse à : Confrontée à la déstabilisation de l’Afrique du Nord, la France redécouvre les vertus géopolitiques de l’Afrique noire

    Avec un recul de trois ans, le risque de voir AQMI et consorts émerger a été bien vu...

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