LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Le président équato-guinéen Obiang Nguema Mbasogo, nouveau président de l’Union africaine, va nécessairement bouleverser la donne diplomatique continentale

Publié le mardi 1er février 2011 à 02h30min

PARTAGER :                          

C’est un événement majeur. « C’est la première fois dans l’histoire de l’Union africaine qu’un pays de langue espagnole, et l’unique pays hispanophone d’Afrique, prend la présidence de l’Union africaine », a souligné le président Obiang Nguema Mbasogo ce dimanche 30 janvier 2011 alors qu’il vient de succéder au président du Malawi : Binu wa Mutharika, à la tête de l’organisation.

D’emblée, il a annoncé la couleur : « Les concepts de démocratie, des droits de l’homme, de bonne gouvernance, ne sont pas des thèmes nouveaux pour l’Afrique, mais il convient de les adapter à la culture africaine ». Il a ajouté : « Nous travaillerons pour accroître le développement économique, l’unité et la paix ». Plus encore, la Guinée équatoriale prend la présidence de l’UA en un temps où l’Afrique est en phase d’implosion. Dans la zone sahélo-saharienne, il y a les exactions géopolitico-mafieuses de AQMI qui posent problème, puis la « nouvelle crise ivoiro-ivoirienne » alors que beaucoup pensaient que la présidentielle permettrait de boucler ce dossier ; ce sera ensuite la fuite en Arabie saoudite de Ben Ali et des quarante voleurs, tandis que Le Caire momifie le dernier des Pharaons et que le Soudan s’engage dans la première partition territoriale de l’histoire de l’Afrique indépendante. Est-ce à dire que les dix plaies d’Egypte vont, par effet domino, s’abattre sur le continent tout au long de l’année 2011 comme si l’anniversaire du « cinquantenaire » marquait une rupture entre l’ancien temps et le nouveau ? Et que les nouvelles générations, trop longtemps confinées sous la tutelle des plus anciens, entendaient remettre en question leur autorité.

Il n’est pas un chef d’Etat qui, en Afrique (et sans doute dans le monde), soit depuis aussi longtemps au pouvoir que Obiang Nguema Mbasogo. Plus de trente ans (3 août 1979). Et, cependant, il demeure un des plus méconnus du continent. Il est vrai que son pays n’est pas plus connu que lui-même ; et que les clichés ne manquent pas pour caractériser l’un et l’autre. Soyons clair : Obiang Nguema Mbasogo fait l’unanimité contre lui ; plus encore de la part de ceux qui ne connaissent ni l’homme, ni le pays. Et même ceux qui « font du fric » avec la Guinée équatoriale ne sont pas les plus amènes dans leur jugement ; c’est sans doute qu’ils pensent qu’ils en font moins qu’ils ne devraient en faire, ou dans des conditions « difficiles ».

Je le dis d’emblée : Obiang Nguema Mbasogo et la Guinée équatoriale valent mieux que l’image qui en est véhiculée par les médias et les ONG. Je le dis d’autant plus volontiers que ce n’est pas un pays qui me facilite la vie (professionnelle) ; loin de là. Mais sachant d’où il vient et dans quelles conditions géographiques (une zone continentale, le Rio Muni + une île majeure, Bioko où se trouve la capitale : Malabo + des îles mineures - dont Annobon - et des îlots - dont ceux de la baie de Corisco - composent les territoires équato-guinéens ; la distance entre les deux points extrêmes de cet ensemble territorial est comparable à la distance Abidjan-Bobo-Dioulasso ou Abidjan-Monrovia ou Abidjan-Lomé) et historiques (colonisation par les Portugais puis cession aux Espagnols, décolonisation au temps de Francisco Franco), je trouve qu’il est injuste de noircir le tableau quand d’autres pays, mieux lotis en ces matières, ont failli ou sombré.

J’ai découvert ce pays, voici plus de quinze ans, quand il n’était rien ; à peine plus d’un centimètre carré sur une carte du continent (moins de 1/1000ème du territoire africain), quelques centaines de milliers d’habitants, peu « d’élites » hors de la diaspora. On venait d’y découvrir les premiers gisements de pétrole (c’était en 1995). Il y a deux façons d’écrire sur la Guinée équatoriale. En traitant ce pays comme un autre, en utilisant les critères d’analyse politiques et économiques que l’on emploie généralement. Ou en considérant ce pays comme un « scandale » politique, économique et humain. Pourquoi un « scandale » ? Tout simplement parce qu’il ne ressemble à aucun autre et qu’aucun analyste politique et économique ne s’en est soucié pendant des décennies jusqu’à ce qu’on y découvre du pétrole et du gaz naturel et que l’on tente alors de rattraper le temps perdu. Comment peut-on juger la Guinée équatoriale aujourd’hui sans savoir d’où elle vient ? Quel journaliste a fait l’effort de comprendre la Guinée équatoriale, de visiter le pays, de discuter avec ses responsables et avec la population avant d’asséner, dans les colonnes des journaux, des jugements définitifs ? Et il faudrait être bien naïf pour penser que l’émergence pétrolière du pays va faciliter sa vie politique et sociale. Peut-on me citer un seul pays dans le monde dans lequel la découverte et l’exploitation du pétrole ait favorisé le débat démocratique et l’équité sociale ? Pourquoi la Guinée équatoriale, venant d’où elle vient, réussirait, en une décennie, ce que les autres pays (à commencer par les Etats-Unis d’Amérique) ne sont pas parvenus à réaliser en cinquante ans ou un siècle (l’histoire du pétrole, en tant que produit industriel, a à peine plus d’un siècle !) ?

Obiang a conscience de la spécificité de son pays et de l’exceptionnalité de son histoire. Pays hispanophone, il a choisi de l’ancrer non seulement dans la francophonie mais dans un ensemble sous-régional « francophone » : la zone franc, l’UDEAC (aujourd’hui CEMAC). Et jusqu’à ce que, au début du XXIème siècle, la Guinée équatoriale ne soit devenue un pays producteur significatif d’hydrocarbures, il faut reconnaître que l’Afrique a regardé la Guinée équatoriale et plus encore les Equato-Guinéens avec condescendance ; quand ce n’était pas du mépris. Mais Obiang n’est pas homme à se soucier du regard que l’on porte sur lui. Il a érigé cette « différence » en mode de production politique et diplomatique. Il a été un président dans une pays en déshérence ; il est aujourd’hui un président dans un pays où l’opulence de l’appareil dirigeant est aussi « scandaleuse » que l’a été son histoire. Il assume.

Alors, bien sûr, cette opulence a suscité des vocations prédatrices. Il faut moins de temps pour acquérir des berlines de luxe, faire bâtir de fantastiques villas, acheter des terrains, spéculer, magouiller, etc. que pour former des « élites » conscientisées. C’est la règle en vigueur dans un système mondialisé - qu’on appelait autrefois capitaliste - qui n’épargne aucun pays. Nguema le sait d’autant mieux que la caste dirigeante est aussi, pour l’essentiel, un clan familial. Comment pourrait-il en être autrement dans un pays où l’évolution a été figée pendant les décennies de la colonisation et les années d’une décolonisation douloureuse. En 1995, Nguema me disait : « En Guinée équatoriale, nous ne pouvons pas nous permettre un changement trop rapide, cela ne pourrait que nous conduire à l’échec. Je pense que notre population a compris que cette voie était la meilleure pour arriver à la démocratie pluraliste sans désordre politique. Nous voulons développer ce pays pour assurer le bien-être du plus grand nombre. Mais nous ne voulons pas que ce changement se fasse dans le sang. Nous avançons par étapes. Nous travaillons depuis le début pour mettre en place une démocratie pluraliste. La satisfaction qui est la mienne, c’est que je suis le père de ce processus ».

Alors, bien sûr, on peut penser que ce ne sont que des mots. Et que les maux dont souffre la population méritent bien plus de considération que la tolérance à l’égard de la prévarication des uns et des autres. On peut penser aussi que c’est aux peuples de juger à quel rythme les pays peuvent avancer ; et dans quel sens. Nguema, président de l’Union africaine pour les douze mois à venir, se retrouve sur le devant de la scène. On pourra dès lors mieux juger du spectacle qu’il nous offrira quant à la gestion des troubles qui… troublent l’Afrique !

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique