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"Jean-Pierre, mon père !" : L’adieu d’Etienne Minoungou à Jean-Pierre Guingané

Publié le mardi 25 janvier 2011 à 09h04min

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Ton départ brutal nous laisse tous dans la stupeur, l’incompréhension et la douleur.
Pourquoi es-tu parti ? Comment es-tu parti ?

Es-tu parti fatigué ? Eprouvant la lassitude de l’artiste et de l’intellectuel qui a été contraint de reconfigurer la dimension de ses rêves, face à l’irresponsabilité de notre Etat, pour lequel ni une culture alerte, ni un enseignement de qualité ne sont des priorités ?

Fatigué de ne pouvoir, ni dans ce projet de l’Espace Gambidi, ni dans tes initiatives à l’Université, bénéficier des encouragements, du soutien, de la reconnaissance, même symbolique, des autorités de ton propre pays ?

Lassé de te trouver face à des interlocuteurs qui assimilent la culture au folklore, qui subordonnent la création à la politique, qui vident l’enseignement de son ambition de produire des jeunes esprits novateurs et indépendants ?

Es-tu parti soucieux ? Soucieux d’avoir consacré ta vie à tout cela sans répit, à la construction de cet espace, au développement à l’extérieur (puisque tu ne pouvais pas compter sur les appuis de l’intérieur) des partenariats susceptibles de l’ériger, brique après brique, mètre par mètre, mettant peut-être trop ta force de création entre parenthèse ?

Soucieux d’avoir dû, ces dernières années, être avant tout un gestionnaire, un commerçant, un patron angoissé par les factures à payer à la fin du mois : les salaires du personnel, l’électricité, l’eau, la connexion Internet… Soucieux, chaque mois des 400.000, 600.000, un million de francs à trouver pour que vive cet espace dont la responsabilité pesait sur tes seules épaules ?

Même si, génération après génération, depuis plus de 20 ans, cet endroit, ton talent et la force de tes idées ont permis de produire, de façonner et d’encourager ceux qui font aujourd’hui que le théâtre est un art fort, vivant, multiple, prolifique, au Burkina Faso et partout en Afrique ; tu portais presque seul avec ta femme YOLANDE, avec une toute petite équipe, le poids de ce lieu. Es-tu parti soucieux de cela ?

Es-tu parti triste ? Frustré, après les gesticulations nécessaires pour l’obtention de ton dernier visa à l’Ambassade de France ? Te disant qu’aussi belle et noble que soit la mission de celui qui, inlassablement, consacre son énergie à promouvoir la culture, à en être un ambassadeur permanent dans les cénacles internationaux, cette mission ne justifie pas d’autres humiliations devant des petits fonctionnaires français qui obéissent à des ordres venus de loin ? Triste de voir que, alors que les mafias n’ont aucune peine à parcourir le monde en tout sens, les hommes de culture intègres et indépendants sont jugés avec mépris, voire avec suspicion…

Es-tu parti triste, soucieux, fatigué ?

Ou es-tu parti en riant, en te moquant, en ironisant… comme tu savais si bien le faire ?

En riant des petits fonctionnaires français qui ont ça de bon qu’ils sont tellement caricaturaux qu’on peut, après coup, passer de bons moments à s’asseoir avec ses amis pour en « dire du mal ».

En souriant du fait que, si les artistes et les intellectuels font l’objet de mesures de contrôle renforcées, cela signifie peut-être que leurs mots font encore peur, plus que les billets de banque des mafias, et que c’est plutôt une bonne nouvelle.

En te moquant d’autres petits fonctionnaires, dans des ministères d’ici ou d’ailleurs, pour qui la culture n’est qu’un mot sur leur fiche de paye, et en te disant qu’ils pourraient constituer une belle source d’inspiration et devenir les pantins d’une prochaine farce où tu ne manquerais pas de montrer la différence entre ceux qui vivent de la culture et ceux qui vivent pour et par la culture.

Et même, peut-être es-tu parti en riant de toi-même… et de nous. En te disant que, quoi qu’il en soit de l’éloignement de tes ouailles, les comédiens acquièrent leurs premiers tics lors de leurs premiers pas sur scène et que peu d’entre eux parviennent à se défaire de ces tares de jeunesse. Chacun d’entre-nous porte en lui ses premiers pas, dans la manière de faire tel geste, de prendre telle respiration, de prononcer tel mot, de prendre telle expression. Que nous soyons restés chez toi longtemps ou quelques semaines, tu resteras présent en tous ceux qui, comme moi, ont fait leurs premiers pas de comédiens, et parfois les suivants, guidés par tes conseils. Qu’on le veuille ou non, nous portons ta marque… et tu vis à travers nous et ce que tu nous as enseigné.

Jean-Pierre, je voudrais que tu sois parti ainsi, en riant, en te moquant, en ironisant, en imaginant combien tout cela pouvait être drôle… mais je n’en suis pas sûr. Et c’est ça qui est le plus dur.

Etienne Minoungou,

24 janvier 2011

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