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Qu’ont dit les trois présidents ouest-africains et le Premier ministre Kenyan à Laurent Gbagbo ?

Publié le vendredi 14 janvier 2011 à 00h24min

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Les apparences sont parfois trompeuses. La cordialité affichée le 03 janvier entre Laurent Gbagbo, dans son palais d’Abidjan, et les trois chefs d’Etat - Boni Yayi (Bénin), Ernest Koroma (Sierra Léone) et Pedro Pires (Cap-Vert) -, accompagnés, cette fois, du Premier ministre kényan Raila Odinga, n’a pas éludé la question de fond. " Tu dois partir, quitte à revenir. C’est cela la démocratie ", a lancé Boni Yayi, reprenant l’exemple de son prédécesseur Mathieu Kérékou et évoquant, au passage, des textes bibliques. " Il n’y a rien à négocier, si ce n’est l’amnistie de Gbagbo et de ses proches. C’est le prix de la paix ", ont ajouté les trois présidents envoyés par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Un discours qu’ils ont tenu également auprès d’Alassane Ouattara.

"Nous avons essayé d’entrouvrir des portes de sortie de crise en invitant les deux parties à la retenue, le temps qu’elles acceptent de se parler ", explique un membre de la délégation. En clair, les quatre émissaires ont proposé notamment à Laurent Gbagbo une rencontre avec Alassane Ouattara. Leur hôte a accepté. C’est pourquoi, quelques heures plus tard, Raila Odinga a évoqué publiquement ce projet. Aussitôt, Alassane Ouattara a répliqué : " Pas de rencontre tant que M. Gbagbo ne reconnaît pas ma victoire ".

Laurent Gbagbo a par ailleurs tenté de retourner le Premier ministre Kényan, le plus farouche de tous. Il a ressorti ses "preuves" écrites et visuelles des "irrégularités" et des violences dans le Nord, et joué la carte de l’ouverture en réitérant sa proposition de création d’un comité d’évaluation des élections, chargé notamment de "recompter". "Raila Odinga cherchait à comprendre. Son attitude faisait sourire Boni Yayi. Pedro Pires, de son côté, était moins loquace, un peu sur ses gardes ", raconte un témoin du palais.

Quel compte rendu a été fait au président de la Cedeao, le Nigérian Goodluck Jonathan ?

Le lendemain, à Abuja, les trois chefs d’Etat et le Premier ministre kényan ont tenu devant le président nigérian, Goodluck Jonathan, le même discours : " Il faut privilégier la négociation. " L’un des moins va-t-en guerre de la délégation a ajouté : " Les deux parties finiront par s’entendre sur quelque chose. Je suis optimiste. Ce qui est important, c’est que les Ivoiriens ne s’entretuent pas pour 1825 jours de pouvoir " - soit un quinquennat. Visiblement, les pays ouvertement hostiles à une intervention militaire de la Cedeao (Cap-Vert, Gambie, Guinée-Bissau, Ghana) ont marqué quelques points. Du moins pour l’instant.

Pourquoi l’Union africaine a-t-elle choisi Raila Odinga ?

Le parcours du Premier ministre Kényan explique sans doute pour beaucoup le choix de l’Union africaine (Ua), dont la paternité reviendrait à Jean Ping, le président de la Commission. Raila Odinga aurait dû accéder à la tête de l’Etat lors de l’élection présidentielle de décembre 2007. Mwai Kibaki a été plus rapide : il s’est proclamé président et a prêté serment dans la foulée avant même que les résultats soient entièrement connus. Après deux mois de négociations tendues et des affrontements qui firent quelque 1100 morts, un gouvernement de coalition a sauvé le pays de la guerre civile et contraint les deux adversaires à travailler main dans la main. Tant bien que mal…
Pour Odinga, ce précédent néfaste est un véritable " viol de la démocratie ". Le message est donc simple. Odinga s’est sacrifié pour partager le pouvoir avec un président battu ; or ça ne marche pas. Commentaire d’un diplomate ouest africain : " Il n’y a pas mieux qu’Odinga pour expliquer à Gbagbo que la solution à la kényane ne peut pas s’appliquer à la Côte d’Ivoire ".

Quel est le jeu de Paris ?

" On essaie de ne pas se mettre en avant ", confie un décideur à Paris. " En termes de légitimité, il est toujours préférable que les Africains soient devant. En plus, on a la chance que la Cedeao et l’Ua soient relativement germes. " Bref, après l’ultimatum adressé le 17 décembre à Laurent Gbagbo - " Une maladresse ", concède un diplomate français -, Nicolas Sarkozy est le moins visible possible. De bonne source, le président français suit le dossier " de très près ". Il téléphone régulièrement à son homologue nigérian Goodluck Jonathan. La ligne : encourager l’option militaire de la Cedeao, mais surtout ne pas y participer. Seule exception : un appui pour le renseignement. Si cette option est écartée, Paris comptera alors sur l’asphyxie économique et financière. Commentaire d’un proche du dossier : "Gbagbo joue la montre. Il va falloir la jouer avec lui".

A l’Elysée, la question est gérée au quotidien par le sherpa Jean-David Levitre, le responsable Afrique André Parant et toute la cellule diplomatique. Au Quai, elle est suivie personnellement par la ministre, Michèle Alliot-Marie. " Elle s’intéresse énormément aux questions africaines ", témoigne l’un de ses collaborateurs " Quand on lui envoie une note sur la Côte d’Ivoire, elle nous la retourne avec des annotations du genre : "Précisez, qu’est-ce que vous voulez dire par là ?" " A ses côtés, les hommes de son cabinet - Hervé Ladsons, Jérôme Bresson, etc. - et le directeur Afrique, Stéphane Gompertz, donné partant depuis neuf mois, mais toujours là !

Pourquoi Gbagbo a-t-il perdu le soutien américain ? Quelle est la position d’Israël ?

" Les mensonges et les fausses promesses de Gbagbo ont fini par exaspérer Obama ", dit un proche du département d’Etat à Washington. " Et comme Obama est un homme de principes, qui plus est avec une fibre africaine… "
Le droit, rien que le droit. Dix-huit mois après le discours d’Accra, le président américain fait ce qu’il dit… au détriment de Gbagbo.

Côté israélien, on fait profil bas. Fini le temps où l’ambassadeur à Abidjan soutenait ouvertement Laurent Gbagbo. Aujourd’hui, son successeur prend bien soin de se démarquer des sociétés privées israéliennes qui travaillent pour le régime (sécurité, écoutes téléphoniques, etc.). Et à Tel-Aviv, le gouvernement de Benyamin Netanyahou ne fait aucune déclaration.

Que fait le président burkinabé, Blaise Compaoré ?

Prudence, prudence, le président burkinabé ne peut rien dire qui mette en danger ses deux à trois millions de compatriotes installés en Côte d’Ivoire. En revanche, il agit. Si la Cedeao choisissait l’option militaire, son pays serait l’un des contributeurs de troupes. Loin derrière le Nigéria - qui assurerait notamment l’appui aérien -, mais à la hauteur du Sénégal, du Mali et de quelques autres, qui pourraient accepter d’envoyer chacun plusieurs centaines d’hommes. Dans ses vœux de nouvelle année, Blaise Compaoré a lâché ces petites phrases : " Je voudrais rassurer nos compatriotes qui vivent dans des pays à transition dite difficile. Le gouvernement restera de concert avec la communauté internationale et interafricaine pour garantir leur sécurité. " On ne saurait être plus clair.

Pourquoi Mouammar Kaddafi est-il silencieux ?

En fait, le 5 janvier, le " guide " libyen est à moitié sorti de son silence. Ce jour-là, il a reçu en audience le ministre des Affaires étrangères de Sierra-Léone. Or, au sein de la Cedeao, le Sierra-léonnais Ernest Koroma est l’un des chefs d’Etat les plus fermes vis-à-vis de Laurent Gbagbo. Communiqué de l’agence Jana après l’entretien : " Le guide privilégie les voies pacifiques de conquête du pouvoir par les urnes. Le perdant doit savoir reconnaître sa défaite et attendre le prochain scrutin pour retenter sa chance ". Dans l’entourage du numéro un libyen, Mohamed Al-Madani, le patron de la Cen-Sad, continue de plaider la cause de Gbagbo. Mais Ouattara bénéficie du soutien de deux poids lourds : l’ancien ministre des Affaires étrangères, Ali Triki et l’actuel Moussa Koussa.

L’Afrique du sud du président Jacob Zuma joue-t-elle un rôle ?

Celle de Jacob Zuma, non. En revanche, celle de l’ex-président Thabo M’Beki, oui. Le 5 janvier, le médiateur Sud-africain a lancé sur la chaîne Sabc : " Il ne faut surtout pas une intervention militaire en Côte d’Ivoire, car cela va déclencher une guerre civile : " En pratique, Zuma soutient la ligne pro-Ouattara de l’Ua, mais sans enthousiasme. En décembre, il a hésité plusieurs jours avant de se ranger derrière l’organisation. Commentaire d’une experte de Johannesburg : " Que ce soit au Soudan ou en Côte d’Ivoire, quand M’Béki prend un dossier, Zuma se décharge sur lui, à la façon de Ponce Pilate. Zuma est ravi, le temps de la crise, il est sûr que M’Beki ne s’occupera plus de l’Afrique du Sud ".

Le gouverneur de la Bceao, Philippe Henri Dacoury-Tabley, a-t-il vraiment coupé les vivres à son ami Laurent Gbagbo ?

Philippe Henri Dacoury-Tabley, le gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao), est dans une situation très inconfortable. Imposé par Gbagbo, il doit aujourd’hui prouver sa loyauté envers ses mandants, qui reconnaissent Ouattara. Son kit de survie ? Les règles de fonctionnement de la banque, très précises. Ainsi, s’il a montré des réticences à assumer l’opération de retrait des signatures de l’administration Gbagbo avant la réunion du Conseil des ministres de l’Union monétaire, le 23 décembre, et indiqué les risques qu’il y avait à " suspendre " les comptes d’un Etat membre, il s’est, semble-t-il, exécuté. En effet, " toutes les opérations entre la Bceao et le trésor public ivoirien sont suspendues ", assure un économiste proche du conseil d’administration de la banque. Les avoirs ivoiriens s’élevaient en décembre 2009 à 1479 milliards de Fcfa (2,2 milliards d’euros). Gbagbo ne peut plus légalement compter sur ce trésor de guerre.

Le comité de direction de la Bceao continue toutefois d’émettre des réserves sur un " bannissement " de la Côte d’Ivoire, jugé plus complexe à mettre en œuvre qu’il n’en a l’air. Petit cas pratique : " Le siège national de la banque à Abidjan est gardé par les Forces de défense et de sécurité (Fds), loyales à Gbagbo. Si elles viennent ouvrir les coffres pour récupérer les avoirs, qu’est-ce qu’on fait ? " S’interroge un cadre en service à Dakar. En cas de non-coopération, Dacoury Tabley pourrait-il être remercié par sa tutelle ? Il a un mandat " irrévocable ", précise l’article 56 des statuts de la Bceao. L’ami de Gbagbo n’a pas le choix et aurait fait allégeance à Ouattara. Le 31 décembre, il a reçu à Dakar Charles Koffi Diby, son ministre de l’Economie et des Finances.

Combien de temps Gbagbo peut-il tenir sans la manne du pétrole et du cacao en c as d’embargo ?

La stratégie d’étouffement économique commence à porter ses fruits. " Nous payons nos taxes selon la procédure normale, indiquée par le ministre de l’Economie et des Finances, Charles Koffi Diby ", explique un exportateur de cacao. Explication : les versements sont déposés à la Bceao, qui reconnait à présent la signature Ouattara. Et si le camp Gbagbo a exercé une pression sur les opérateurs pour qu’ils paient rapidement et en cash leurs impôts, les multinationales du cacao et les majors pétrolières ne se sont pas exécutées. " Une intervention militaire est très risquée et peut avoir des conséquences imprévisibles " explique un ministre des Affaires étrangères de la sous- région. " En revanche, si Gbagbo est privé de ses recettes d’exportation et ne peut plus piocher dans ses avoirs à la Bceao, il ne pourra pas tenir plus de trois ou quatre mois ". " Les affidés du régime vivent sur la bête mais, si la source se tarit, ils pourraient bien revoir leur soutien à Gbagbo ", espère un haut fonctionnaire international.

Selon le Fmi, les recettes fiscales de l’Etat en 2009 sur le cacao se sont élevées à 325 milliards de Fcfa et à 110 milliards sur le pétrole. Chaque mois, pour payer les fonctionnaires, Gbagbo doit trouver 70 milliards de Fcfa.

Pas simple si on perd le contrôle de la manne pétrolière et de l’argent de la fève. " Si la communauté internationale venait à nous mettre sous embargo, la situation deviendrait critique ", soutient un cadre de la société nationale Petroci. Du côté de la Société ivoirienne de raffinage (Sir), on craint également que les Nigérians remettent en question leurs livraisons de brut alors que les banques ont coupé les lignes de crédit.

En cas d’intervention militaire, Gbagbo pourra-t-il compter sur son armée ?

La hiérarchie militaire a défilé au palais présidentiel d’Abidjan, le 4 janvier. Après l’échec de la médiation des quatre émissaires africains, Laurent Gbagbo voulait s’assurer de la loyauté de ses hauts gradés. Sur les 60 000 éléments des Forces de défense et de sécurité (Fds), il peut compter sur 4000 fidèles, richement dotés en armement, qui composent les troupes d’élite. Il s’agit notamment des hommes du général de gendarmerie Georges Guiai Bi Poin, patron du Centre de commandement des opérations de sécurité (Cecos), du général Bruno Dogbo Blé (garde républicaine), du commandant Boniface Konan (Fusiliers marins commandos) et du colonel-major
Nathanaël Brouaha Ehouman (sécurité présidentielle).

Quels sont les scénarios militaires envisagés ?

Deux scénarios sont actuellement à l’étude. Le premier - qui semble privilégié car il limite les risques de pertes civiles - repose sur une opération éclair. Cette intervention du " type Taylor ou Noriega " s’appuierait sur des forces spéciales - en partie composées d’Africains - avec un fort soutien logistique. Objectifs : Gbagbo et quelques sécurocrates du régime. " Ce genre d’opération pourrait provoquer une stupéfaction dans le camp Gbagbo et le neutraliser, ce qui limite les menaces d’un embrasement très lourd en vies humaines ", explique un diplomate ouest-africain. Dans ses dernières déclarations, Alassane Ouattara a clairement marqué sa préférence pour cette stratégie, balayant les craintes d’une guerre civile. " Si Laurent Gbagbo refuse de lâcher le pouvoir, il suffit d’aller le chercher et de l’enlever du palais présidentiel ", a-t-il ainsi déclaré sur France 24. " Si Laurent Gbagbo s’en va, tout cela va s’écrouler comme un château de cartes ", a-t-il ajouté sur Rfi.

L’autre scénario, officiel puisqu’il a été annoncé par la Cedeao, prévoit l’envoi d’une force de libération ouest-africaine - comprenant entre 3500 et 4000 hommes - composée de neuf pays, avec en tête le Nigeria. Devraient également y participer le Burkina Faso, le Sénégal, le Mali, la Sierra Léone, le Togo, le Bénin… Le financement de cette troupe, coordonnée par les chefs d’état-major nigérian et burkinabé, serait assuré par l’Union européenne et les Etats-Unis. Avant de partir sur le terrain, les troupes seraient rassemblées sur deux sites au Togo et au Mali. " Cette force ne devrait pas être opérationnelle avant le début du mois de février, le temps d’assurer le
regroupement, la logistique et le financement opérationnel ", explique un expert militaire. Une partie des soldats pourrait ensuite être prépositionnée au nord de la Côte d’Ivoire et au Libéria. Mais ceux-ci ne devraient pas être en première ligne lors des assauts militaires.

En effet, les premières troupes seraient composées des ex-rebelles des Forces nouvelles et d’éléments des Forces de défense et de sécurité (Fds) qui apporteraient alors leur soutien au président Ouattara. Les Etats-Unis et la France devraient, quant à eux, être mis à contribution en matière de renseignements, même si le président Nicolas Sarkozy a exclu toute intervention des 900 soldats français de la force Licorne. " Ce serait de la folie de la part de Gbagbo de continuer à s’accrocher à son fauteuil, souligne un diplomate ouest-africain. Même s’il conserve des fidèles dans l’armée et le soutien des Jeunes patriotes, il ne pèsera pas lourd face à une coalition militaire
internationale. "

Il n’empêche, Paris, Washington et les capitales régionales espèrent ne pas avoir recours à cette voie militaire. " Il faut tout faire pour que les Ouest-africains ne s’entretuent pas. Et il n’est pas question de s’engager tant que l’Angola soutient militairement Gbagbo. Les Nations unies doivent envisager tous les moyens de pression sur Luanda ", explique un ministre ouest-africain des Affaires étrangères.

Ses sécurocrates préparent actuellement différents scénarios. Particulièrement de sécurisation d’Abidjan, du périmètre présidentiel et de la Radio télévision ivoirienne (Rti). Un temps évoquée, l’attaque du Golf hôtel, qui héberge le président Ouattara et ses fidèles, a été reportée. Les puissances occidentales et les Nations unies en ont fait une ligne rouge à ne pas franchir. En cas d’attaque étrangère, le camp Gbagbo laisse également planer la menace de représailles (prise d’otages, guerre urbaine, répression…)

Pour l’instant, les Fds n’ont affiché aucune défection. " Ce n’est pas la volonté qui manque, mais beaucoup de militaires ont peur pour leur famille ", explique un gradé. On appelle même cela le " syndrome Louis-André Dacoury-Tabley ", cet ancien ami de Gbagbo qui a rejoint la rébellion en 2002. Le lendemain de son ralliement aux Forces nouvelles, son frère, le docteur Benoît Dacoury-Tabley, avait été enlevé par " des hommes en treillis " à Abidjan avant d’être retrouvé mort, criblé de balles.

Quelle est la position des églises catholiques et évangéliques, et des chefs musulmans ?

A Abidjan, les faits et gestes du nonce apostolique, Mgr Ambroise Madtha, sont soigneusement observés. Sa visite à Laurent Gbagbo en son palais, le 11 décembre, et ses propos en faveur d’une résolution négociée de la crise ivoirienne ont contraint le Vatican à publier un communiqué martelant que " le Saint-siège et son représentant en Côte d’Ivoire sont et restent impartiaux dans la résolution de la crise post-électorale ". Le pape s’est prononcé de manière très superficielle sur la situation à Abidjan, le 31 décembre dernier. " La tradition veut qu’il s’inspire des positions des évêques du pays. Or, là, cela faisait plus d’un mois que la Conférence épiscopale n’était pas arrivée à pondre une déclaration, en raison des divergences profondes au sein du clergé ", assure un ecclésiastique.

C’est chose faite depuis le 5 janvier. Et visiblement, c’est la position du cardinal Bernard Agré, prélat le plus gradé du pays, assez favorable à Laurent Gbagbo, qui a prévalu lors de la rédaction de la déclaration. Ce qui ne signifie pas que les clivages ont disparu. Les évêques ivoiriens ont choisi " la voie de la médiation et de la négociation ", demandent " avec insistance " à l’Onu de respecter la souveraineté de leur pays, et mettent en garde contre les " conséquences incalculables " d’une intervention militaire étrangère. Les évangéliques, dont l’influence est croissante, notamment dans les grandes villes comme Abidjan, sont plus nombreux à se ranger sous la bannière du " frère " Laurent et, surtout, de la " sœur " Simone. Au point que Paul Ayo, président du Conseil national des Eglises protestantes et évangéliques de Côte d’Ivoire (Cnepeci), a été vertement tancé à deux reprises par la presse pro-Ouattara. Mais l’unanimisme n’est pas de mise, et certaines congrégations implantées historiquement dans le Nord du pays éprouvent quelques sympathies pour " Ado ". Quant aux chefs religieux musulmans, ils se sentent majoritairement proches de Ouattara-même si les démons de la division n’épargnent pas la communauté musulmane. C’est ainsi qu’à l’occasion du dernier Hadj, une dispute homérique a opposé des pèlerins, divisés sur le candidat pour lequel ils devraient prier.

Le cas du chef d’état-major, Philippe Mangou…

Le chef d’état-major des armées ivoiriennes, le général quatre étoiles Philippe Mangou, est souvent comparé à une colombe. Mais il s’est mué en faucon en radicalisant son discours au cours des dernières semaines. Il n’hésite plus à mettre en garde sévèrement les casques bleus des Nations unies et les forces de Licorne, l’opération de l’armée française en Côte d’Ivoire. " Son activisme a des limites, même s’il doit son ascension fulgurante à Laurent Gbagbo, confie l’un de ses proches. Il n’affrontera jamais les troupes occidentales ". Mangou est surveillé de près par les sécurocrates de Gbagbo, ses nouvelles positions extrémistes correspondraient donc plutôt à une stratégie
de survie qu’à des convictions personnelles. Bon vivant, riche propriétaire foncier et immobilier, il n’entreprendra rien qui compromettra la pérennité de ses " biens ". De toute façon, Gbagbo n’a jamais placé une confiance aveugle dans son chef d’état-major. S’il a maintenu à la tête des troupes ce militaire doté d’un réel charisme, il a créé plusieurs unités d’élit composées de ses partisans les plus fidèles.

Que prépare la cour pénale internationale ?

Le procureur de la Cour pénale internationale (Cpi), Luis Moreno-Ocampo, a convoqué son équipe le 10 janvier pour une réunion sur la Côte d’Ivoire. Son bureau recevant régulièrement des informations sur les exactions commises depuis 2002, le pays est " sous analyse ". Dans le jargon de la Cour, l’expression désigne le stade précédant l’ouverture d’une enquête. Pour le moment, rien ne lui permet donc de conclure à l’existence de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Le bureau du procureur reste néanmoins sur ses gardes. Dans la crise actuelle, il entend jouer un rôle dissuasif : " Si par exemple, la violence éclatait à la suite des discours de Charles Blé Goudé, il pourrait faire l’objet de poursuites ", a déclaré Moreno Ocampo le 21 décembre. Ce dernier compte s’appuyer sur certains états africains membres du la Cpi. Ce qui n’est pas le cas de la Côte d’Ivoire. Si au moins l’un d’entre eux lui déférait la situation en Côte d’Ivoire, cela permettrait au bureau du procureur d’ouvrir une enquête. Dans cette stratégie, le partenaire privilégié du procureur est le Nigeria. Selon nos sources, Moreno Ocampo pourrait y envoyer prochainement une équipe. Mais les éléments sur les exactions en Côte d’Ivoire reçus par son bureau ne portent pas exclusivement sur les lendemains de l’élection. Chaque étape de la crise ouverte en 2002 est émaillée de crimes. Ils impliquent les Forces nouvelles comme celles de Laurent Gbagbo. Aucune des parties ne serait épargnée par une enquête globale.

In Jeune Afrique N°2609
Du 9 au 15 Janvier 2011

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