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Indépendance du Sud-Soudan : Une aspiration légitime aux gros enjeux géopolitiques

Publié le mercredi 12 janvier 2011 à 00h06min

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Les Sud-Soudanais sont déterminés à goûter enfin aux délices de la liberté

Que l’on ne s’y méprenne pas, l’indépendance du Sud-Soudan, qui occupe en ce moment les devant de l’actualité mondiale, avec le déroulement depuis dimanche dernier du référendum d’autodétermination, revêt de gros intérêts pour les relations internationales. Les énormes enjeux en question ne valent pas que pour le Sud-Soudan ou le Soudan dont c’est vraisemblablement le début du dépècement ou encore pour l’Afrique qui assiste ainsi impuissante à la violation du sacro-saint principe de sa défunte OUA (Organisation de l’unité africaine) relatif à l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Les puissances occidentales (les Etats-Unis et leurs alliés) et asiatiques (la Chine notamment) se sentent également concernées pour des raisons différentes de ceux des Sud-Soudanais, hâtes, eux, de goûter aux délices de la souveraineté nationale.

Pour les Sud-Soudanais, le référendum d’autodétermination en cours est le scrutin qu’il ne faut pas rater dans sa vie. De l’indépendance, ils en rêvaient depuis longtemps. Pour ce faire, ils n’ont pas lésiné sur les moyens, y compris le recours aux armes à maintes reprises, pour parvenir enfin à cette consultation référendaire qui leur ouvre en principe, avec la victoire annoncée du « Oui », la voie de l’accession à la souveraineté d’ici à fin juillet 2011. En tout cas, si l’on s’en tient à l’Accord de Nairobi de 2005, duquel découle la tenue du présent référendum.
Pour les Sud-Soudanais, la victoire du « Oui » signifiera d’abord débarras et liberté vis-à-vis des Nord-Soudanais avec lesquels ils n’ont vraiment pas eu une bonne cohabitation, n’ayant pas la même culture et les mêmes pratiques religieuses (le Sud-Soudan est noir, animiste et chrétien et le Nord-Soudan, arabe et islamique) ; sans oublier la fausse promesse que le Nord avait fait au Sud pendant l’indépendance de lui conférer une autonomie. D’où les successives guerres civiles avec leurs cortèges de millions de morts et de déplacés déclenchées par les Sudistes pour se sortir du giron de Khartoum.

Pétrole, or, argent, cuivre, fer…

Ensuite, le « Oui » vainqueur au référendum voudra dire pour les Sud-Soudanais, auto-exploitation des immenses potentialité de pays : sols riches avec le climat tropical ; d’importantes ressources hydrauliques avec la présence du Nil blanc, toute chose qui permet la production de l’Hydroélectricité ; un sous-sol généreux puisqu’on y trouve du pétrole (85% de la production soudanaise à l’heure actuelle), de l’or, de l’argent, du fer, du chrome, du zinc, du cuivre, du tungstène…
Avec tous ces atouts, l’indépendance pour les Sud-Soudanais signifie naturellement promesse du bonheur, même si entre le rêve et la réalité il y a parfois un fossé. Parce que pour traduire dans les faits les aspirations légitimes du peuple sud-soudanais, il va falloir que le pouvoir central, une fois l’indépendance acquise, tienne parole, que les habitants du Sud-Soudan cultivent l’esprit d’unité en mettant surtout l’accent sur ce qui les rassemble et se mettent résolument au travail. Autrement, leurs rêves risquent bien de se transformer en mirages. En tout cas, les Erythréens, qui les ont devancés sur cette voie de l’indépendance, en se séparant de l’Ethiopie depuis 1993 pour goûter aux délices de la liberté en savent quelque chose, eux qui vivotent actuellement sous le joug d’un pouvoir autocratique.

Les gros risques pour Khartoum

Le Soudan, un géant territorial aux pieds d’argile

Cela dit, voyons à présent ce que représente le référendum d’autodétermination pour le Soudan. C’est une évidence, le pays du Général Omar-el-Béchir risque gros dans cette affaire. D’abord, le Soudan n’aura plus, avec une indépendance du Sud-Soudan, une main mise sur les richesses pétrolières que regorge le Sud, même si le Nord-Soudan reste pour l’instant un passage obligé pour l’évacuation de l’or noir sud-soudanais, les pipelines passant toujours par Khartoum. Ensuite, une indépendance du Sud-Soudan constituera un mauvais précédent pour le Soudan qui risque bien d’assister dans les années à venir, sinon dans les prochains mois, à une désagrégation de son espace territorial. A notre sens, c’est le plus important enjeu pour le Soudan dans cette élection. Si le Sud-Soudan peut accéder à l’indépendance, pourquoi pas les autres ensembles régionaux qui ont aussi leurs particularités ?

Et le fait même que le Darfour soit entré en guerre dans la même année (2005) que celle qui a connu la signature de l’Accord de Nairobi autorisant le présent référendum en dit suffisamment long sur les velléités sécessionnistes des différentes régions soudanaises. Plus près de nous, les récentes flambées de violences dans la région d’Habyé peuplée de Sudistes mais située au-delà de la ligne de démarcation entre le Nord et le Sud-Soudan. Khartoum, apparemment, n’entend pas perdre cette région à cause de ses richesses pétrolières. Si les Sud-Soudanais obtiennent gain de cause, les habitants d’Habyé ne voudront certainement pas se mettre en marge du mouvement puisqu’ils auront droit eux aussi à un autre référendum pour se déterminer par rapport à l’indépendance. Ce ne sont là que des cas parmi tant d’autres. Autant dire que c’est le début du dépècement du grand Soudan, le plus vaste Etat africain avec ses 2,5 millions de kilomètres carrés.

Pour toutes ces raisons, l’on comprend dans une certaine mesure, les initiatives que les tenants du pouvoir à Khartoum n’ont cessé de développer pour empêcher les Sud-soudanais d’aller à l’indépendance. Parce qu’aucun pays sérieux au monde ne peut accéder facilement à ce genre de revendications tendant à remettre en cause l’intégrité territoriale. Mais, comme on le dit, à l’impossible nul n’est tenu. Les autorités soudanaises ont fini donc par se résoudre à accepter cette indépendance du Sud-Soudan devenue inévitable.

Les enjeux pour Le Caire

Dans ce référendum sud-soudanais, quels sont les enjeux pour l’Afrique, à commencer par des pays comme l’Egypte et l’Ouganda.
En effet, les Sud-Soudanais, qui votent toute cette semaine pour s’autodéterminer, auraient pu appartenir soit à l’Egypte qui réclamait le rattachement du Soudan au moment de la décolonisation puisque le Caire était co- propriétaire de la colonie soudanaise soit à l’Ouganda si la Grande Bretagne était allée au bout de son idée quand elle y avait pensé. Mais, le destin, pour ne pas dire le résultat du référendum du 1er février 1956, a voulu que le Sud-Soudan (environ 700 000 Km2) fasse partie du grand ensemble soudanais.

Pour l’Egypte une indépendance du Sud-Soudan ne serait pas une bonne nouvelle parce qu’à défaut d’avoir obtenu la souveraineté sur le Soudan indépendant, Le Caire a su entretenir de bonnes relations avec Khartoum. Des rapports de bon voisinage que traduit si bien le respect scrupuleux par les deux Etats du traité de 1959 conclus dans le cadre de la construction du barrage d’Assouan et relatif à l’exploitation des eaux du Nil, le plus long fleuve du continent (6, 671 km).

Danger pour le pacte soudano-égyptien de 1959

Au terme du Traité, les 2 Etats voisins, et surtout l’Egypte, se taillent la part du lion dans l’utilisation des eaux du grand fleuve, au détriment des autres pays situés sur le bassin du Nil : Ethiopie, Ouganda, Erythrée, Rwanda, Burundi, République démocratique du Congo (RDC), Kenya, Tanzanie. Malgré les protestations des Etats lésés par l’Accord, l’Egypte et le Soudan y sont restés fermement attachés.

Mais avec cette probable indépendance du Sud-Soudan, l’application du pacte soudano-égyptien sur les eaux du Nil devient de facto très compliquée parce que le Nil blanc (un affluent du Nil) traverse le territoire sud-soudanais. A cela il faut ajouter le récent Accord à quatre signé en mai dernier par l’Ethiopie, l’Erythrée, l’Ouganda et la Tanzanie, et visant à remettre en cause le traité de 1959. Le Sud-Soudan indépendant va probablement se démarquer du Soudan pour regarder du côté des signataires du traité de mai 2010. Or, comme nous l’avons appris au secondaire, « L’Egypte est un don du Nil », la vie d’un bon nombre d’habitants de ce pays dépendant du fleuve. En effet, les ressources hydrauliques des Egyptiens proviennent en grande partie du Nil.

Une guerre de l’or bleu ?

Les problèmes du Caire avec Juba débuteront quand les Sud-Soudanais vont vouloir utiliser les eaux du Nil blanc pour mettre en valeur leurs terres. Parce que le Traité de 1959 interdit toute exploitation des eaux du Nil sans un accord préalable de l’Egypte et du Soudan. Comme quoi, une guerre de l’or bleu n’est pas à exclure.
Kampala, pour ce qui le concerne, pourrait trouver dans le Sud-Soudan indépendant un allié contre la LRA (l’armée de résistance du « seigneur »), bootée hors des frontières ougandaises mais qui continue de sévir dans la région.

Pour l’Ethiopie et la Tanzanie, le Sud-Soudan affranchi du joug de Khartoum constituera sans doute un soutien inestimable dans la fronde du Traité soudano-égyptien sur l’utilisation des eaux du Nil.
La RDC et les autres grands ensembles territoriaux de l’Afrique ne peuvent guère voir d’un bon œil une indépendance du Sud-Soudan. Car, cela ne peut que contribuer à fragiliser davantage l’unité de ces Etats-continents, mise parfois à mal par des mouvements séparatistes latents ou contenus par les régimes en place.

Mauvais pour l’Afrique, bon pour les USA

Il est vrai que l’Accord de Nairobi de 2005 oblige, mais l’indépendance annoncée du Sud-Soudan ne sera rien d’autre qu’une violation du sacro-saint principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Dans ce contexte, le Sud-Soudan, s’il accédait finalement à la souveraineté, risque bien de ne pas être le dernier pays africain. En clair, la carte de l’Afrique pourrait, dans les années à venir, subir de profondes modifications.

Les Etats-Unis et la Chine suivent également de près l’évolution de la situation politique à Juba parce que l’issue du référendum ne sera pas sans conséquence sur l’influence de l’une ou l’autre puissance dans la contrée. Soutien indéfectible du Sud-Soudan depuis des années, les USA seront très heureux, en cas de victoire du « Oui », de se voir confier l’exploitation de l’or noir sud-soudanais au détriment de la Chine, alliée inconditionnelle de Khartoum. Mais, pour autant, Pékin ne perdra pas totalement la face, parce qu’en plus du Nord Soudan, l’empire du milieu reste fortement présent dans des grands pays de la région comme la République démocratique du Congo.

Grégoire B. BAZIE

Lefaso.net

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Vos commentaires

  • Le 12 janvier 2011 à 12:09, par Yacine En réponse à : Indépendance du Sud-Soudan : Une aspiration légitime aux gros enjeux géopolitiques

    Belle analyse Monsieur Bazié. C’est l’interet qui mène les puissances occidentales. C’est pourquoi ils ne montrent pas beaucoup d’empressement à l’autodétermination du Sahara Occidental et de la Casamance !

  • Le 12 janvier 2011 à 16:41, par abou En réponse à : Indépendance du Sud-Soudan : Une aspiration légitime aux gros enjeux géopolitiques

    J’ai beaucoup aime votre analyse, travail bien fait. Les USA sont tellement impliques qu’on penserai un instant qu’ils sont une partie du Soudan. Google a deployer une surveiance satellitaire pour enregistrer tout ce qui se passe au referendum. Cela n’a jamais ete le cas dans les luttes d’independance comme le polisario, la casamance, L’ethiopie et l’Erythree. Esperons que les Sud Soudanais verront leurs conditions de vie positivement changes. Les USA vont bientot enrailler le Soudan de la liste terroriste, pourtant c’est eux meme qui ont appeler OMAr El Bashir a la CPI. Maintenant tout ca a ete oublier au profit de la course pour le petrole.

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