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Fesman III - Dakar 10-31 décembre 2010 : « L’Afrique-Monde » c’est l’Afrique qui, avec enthousiasme, rencontre sa diaspora partout dans le monde !

Publié le lundi 20 décembre 2010 à 18h08min

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Le Festival mondial des arts nègres (Fesman III) vient de boucler sa première semaine. Et prend sa vitesse de croisière. Après la bousculade des premiers jours, les milliers d’invités (dont une flopée non programmée) ont fini par être casés un peu partout dans Dakar. Et les manifestations officielles ont abandonné la « une » face à un foisonnement inimaginable de spectacles, conférences, tables-rondes, ateliers, forums, expositions…

Théâtre, musique, danse, culture urbaine, cinéma, mode, littérature, café littéraire (y compris café littéraire pour enfants), architecture… rythment, du matin jusqu’au cœur de la nuit, la vie dakaroise (y compris l’île de Gorée) et saint-louisienne. L’imagination et la création ont, ici, pris le pouvoir et, disons-le d’emblée : grâce à l’enthousiasme suscité par cette manifestation au sein de la diaspora noire. Je n’évoque pas la diaspora africaine stricto sensu (les Africains qui ont quitté volontairement le continent pour s’installer ailleurs) mais la diaspora qui, depuis plusieurs siècles, avait oublié que l’Afrique était sa terre-mère et la retrouve avec une délectation non dissimulée.

Il est vrai que la presqu’île du Cap Vert était, géographiquement, bien placée pour accueillir une telle manifestation. L’océan Atlantique tout autour, les îles de Ngor et de Gorée non loin de la côte, une corniche réhabilitée, des rivages sauvegardés, des zones résidentielles qui font rêver… Hors des quartiers populaires et des banlieues misérables, il faut reconnaître que Dakar a de la gueule, malgré ses innombrables chantiers, et que ses réceptifs hôteliers sont, désormais, à la hauteur de ses ambitions de « cité mondiale ». Et le « monument de la Renaissance africaine », sujet de polémique (esthétique, politique et sociale), s’inscrit désormais pleinement dans le paysage dakarois et trouve sa place dans la vie « internationale » de la capitale comme pôle de fixation de certaines manifestations. Et puis il y a l’image que véhicule le Sénégal : Gorée, bien sûr ; Léopold Sédar Senghor (dont le 9ème anniversaire de sa mort sera célébré le lundi 20 décembre 2010), aussi ; la « teranga »…

Il y avait, d’abord, le risque que le Fesman soit « étatique », confisqué par la classe dirigeante pour célébrer la « gloire du régime ». Il y avait, ensuite, le risque qu’il soit « élitiste », une compétition stérile entre « intellectuels », artistes, créateurs, etc. Il y avait le risque, enfin, qu’il soit « impopulaire » et coupé totalement de la population. Il y avait, surtout, le risque qu’il veuille être un « remake » du Fesman I et tourné, bien plus, vers le passé plutôt que l’avenir. Certes, il n’a pas échappé au « griotisme », ni à l’auto-célébration de leurs talents par quelques uns, et la population dakaroise a été plus spectateur qu’acteur du Fesman (il est difficile d’inverser la donne ; en France, même « la fête de la musique », bien que ce soit son ambition initiale, n’y est pas parvenue ; elle est devenue, au fil des ans, institutionnelle). Mais la grande réussite de ce Fesman III aura été son impact dans la diaspora. Les retrouvailles de « l’Afrique-Monde » autour de la célébration de sa négritude et, plus encore, de son africanité, sont, selon moi, un événement majeur. Retrouvailles d’autant plus remarquables que la réalité africaine que découvre la diaspora est en rupture avec l’image « médiatisée » de l’Afrique noire.

Les diasporas afro-américaines ne sont pas au mieux de leur forme. Au Brésil - deuxième communauté noire après le Nigeria - leur promotion politique, économique et sociale est en panne alors que, culturellement, elle s’est imposée comme une composante majeure (identitaire) du pays. Les Caraïbes ne sont pas mieux lotis ; et Haïti, première République noire, symboliserait plus que jamais la malédiction qui frappe les « Nègres » si je croyais aux malédictions.

Marginalisées au mieux, « ghettoïsées » souvent, réprimées parfois, stigmatisées régulièrement partout ailleurs les diasporas de « l’Afrique-Monde » découvrent avec enthousiasme la vitalité sénégalaise et ce que « téranga » veut dire ; elles font la connaissance d’un pays qui est, de l’aéroport Léopold-Sédar-Senghor jusqu’aux hôtels internationaux, en rupture avec l’image misérabiliste que proposent les médias quand ils évoquent le continent noir. Loin de Sao Paulo, Rio de Janeiro, Recife, Los Angeles, Atlanta, Washington, New York, Montréal, Port-au-Prince, Paris, Londres, Berlin, Moscou…, loin des ghettos, loin des favelas, loin des banlieues… Dakar donne une raison d’espérer à la diaspora de « l’Afrique-Monde » et une fierté jusqu’alors trop diluée : elle sait désormais qu’elle appartient à une communauté qui a des acquis et des atouts.

Le Sénégal démontre qu’il est capable d’organiser une manifestation « mondiale » d’une ampleur exceptionnelle (45 pays représentés dont 10 délégations conduites par des ministres ; 400 artistes présents, 1.200 attendus pour le 20 décembre) dont la tenue intellectuelle et culturelle a été à la hauteur des annonces. Et de mobiliser non seulement sa propre diaspora mais celle de « l’Afrique-Monde ». Cette réussite est exemplaire en un temps où, la Côte d’Ivoire sombre, à nouveau, dans le chaos tandis que Laurent Gbagbo s’affiche, mondialement, comme le pire « despote » africain au pouvoir - faisant tirer ses milices sur la population civile -, Wade ne peut que se réjouir de donner à « l’Afrique-Monde » une image sereine et constructive. C’était, aussi, l’objectif de cette manifestation ; mais rien ne prouvait que le challenge serait gagné.

Les participants, eux, veulent aller plus vite, plus loin. A quelque niveau que ce soit, de la plus modeste table-ronde sur un sujet « pointu » (ou inattendu) à la plus prestigieuse « conférence structurante », les participants mettent l’accent sur la nécessité, désormais, d’aller au-delà des mots pour passer à l’action. Le foisonnement de manifestations « intellectuelles » (autrement dit les lieux où l’on parle en opposition aux lieux où on écoute et où on regarde) ne facilite certes pas la lisibilité de ce Fesman III mais il faut espérer que les organisateurs ne tarderont pas à publier les différentes contributions et qu’il y aura quelques coordonnateurs nommés pour non seulement en tirer des conclusions mais, surtout, pour définir des lignes d’action.

Une question essentielle reste posée. Etait-il nécessaire que le Sénégal organise cette (ambitieuse) manifestation alors que le pays n’est pas sorti, loin de là, de l’ornière du non-développement ? Les Sénégalais ne cessent d’évoquer, en boucle, les maux qui les frappent ; ceux de la crise économique mondiale certes, mais aussi ceux qu’ils jugent être le résultat de « l’impéritie » des responsables politiques. La liste est longue ; nul ne peut le nier. L’opposition pourra bien stigmatiser les dépenses engagées pour le Fesman III (et, plus encore, la volatilité de certains financements), elle n’empêchera pas que le Fesman aura donné une plus grande visibilité internationale au Sénégal. Si on peut contester cette démarche, on ne peut nier qu’elle s’inscrit dans la stratégie globale qui est celle de Wade depuis son accession au pouvoir. Surfer sur la mondialisation (avec ce que cela implique d’accroissement de la dette publique) plutôt que s’en exclure !

Je n’ai jamais été partisan des politiques misérabilistes sublimant le sous-équipement des pays et la pauvreté des populations (au Burkina Faso, cela a conduit Thomas Sankara dans le mur) ; le Brésil a fait irruption sur la scène internationale parce qu’il s’en est donné les moyens, pas parce qu’il s’est appesanti sur la misère des populations « noires » ; et c’est en tant que puissance émergente qu’il est parvenu à mettre en place une politique de lutte contre la pauvreté, notamment des populations « noires ». C’est un schéma de développement ; reste à savoir s’il est adapté au Sénégal. On ne peut que l’espérer.

Jean-¨Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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